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Autorisations d’Usage à des fins Thérapeutiques : Quelques exercices

Dr Jacques Pruvost (Médecin conseiller DRJSCS-PACA, Marseille)

Dr Jacques Pruvost

Le standard international pour l’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques a été adopté lors de la mise en place du Code mondial antidopage en 2004 et est entré en vigueur en 2005. Ce standard international a pour but de garantir l’harmonisation des procédures suivies pour accorder ces AUT dans tous les sports et dans tous les pays. Le Code autorise à demander une AUT c’est-à-dire à utiliser des produits interdits inscrits sur la liste de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) des substances et des méthodes interdites. Bien entendu les critères d’autorisation pour l’accord d’une AUT sont très stricts. Dans chaque pays, les organisations nationales antidopage sont chargées de la mise en place des processus permettant aux sportifs de demander une AUT. En France, l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) est l’organisme de référence en cas de demande d’AUT par le sportif et son médecin.

DANS LA PEAU D’UN EXPERT POUR LES AUT

Pour illustrer les options parfois difficiles que doivent prendre les experts choisis par l’AFLD dans l’accord ou au contraire le refus pour l’acceptation des AUT, nous avons choisi de vous présenter quelques cas cliniques sur un mode pratique et ludique. Afin de démontrer que le “jeu” thérapeutique est parfois complexe, nous laisserons les médecins généralistes et les médecins du sport prendre les décisions qui leur paraissent les mieux coller à leur pratique et à leur éthique. Vous voici donc dans la peau d’un expert agréé par l’AFLD et vous allez devoir prendre des orientations médico-légales face à des dossiers de demande d’AUT qui vous sont confiés.

LE JEU

Le jeu consiste à faire en sorte que, en cas de prescription de produits interdits chez un sportif, ce sportif ne risque pas d’être suspendu pour dopage. Selon l’article L. 232-2 du Code du sport : “Si le praticien prescrit des substances ou des procédés dont l’utilisation est interdite, le sportif n’encourt pas de sanction disciplinaire s’il a reçu une autorisation accordée pour usage à des fins thérapeutiques, de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage”. Cette autorisation est délivrée après avis conforme d’un comité composé de médecins placés auprès de l’agence. Votre mission est d’effectuer le contrôle des demandes d’AUT et de déclarer si le dossier est légitime au niveau médical.

LES RÈGLES DU JEU

Les critères d’obtention d’une AUT sont très stricts : le sportif subirait un préjudice de santé important si la substance ou la méthode interdite n’était pas administrée, il n’y a pas d’alternative thérapeutique raisonnable pouvant se substituer à la substance interdite, l’usage de la substance ne devrait produire aucune amélioration significative de la performance, la pathologie n’est pas la conséquence de l’usage antérieur de produits interdits.

 

L’article R. 232-72 du Code du sport précise : “L’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques d’une substance ou d’un procédé interdit est refusée à un sportif par l’Agence française de lutte contre le dopage si la demande ne satisfait pas l’une des conditions suivantes :

1) la substance ou le procédé interdit pour lequel l’autorisation est demandée est prescrit au demandeur dans le cadre de la prise en charge d’un état pathologique aigu ou chronique et l’intéressé subirait un préjudice de santé significatif s’il ne pouvait en faire usage, faute notamment d’alternative thérapeutique exclusive d’usage de substance ou de procédé interdit ;

2) l’usage à des fins thérapeutiques de ladite substance ou dudit procédé n’est susceptible de produire aucune amélioration de la performance autre que celle attribuable au retour à un état de santé normal ;

3) la nécessité de la prescription n’est pas une conséquence de l’usage antérieur à des fins non thérapeutiques de substances ou procédés interdits”.

LES JOUEURS

Le comité est composé de trois médecins. Le secrétaire du comité est un médecin dont les compétences sont reconnues dans la spécialité qui concerne la demande d’AUT : par exemple endocrinologie et cardiologie pour les cas cliniques que nous allons traiter. Les deux autres médecins possèdent une expérience dans le soin et le traitement des sportifs. Pour l’instruction de la demande d’autorisation, l’agence peut demander au sportif tous les examens médicaux ou documents complémentaires jugés nécessaires par le comité de médecins (article R. 232-76). Vous disposez d’un délai de 10 jours pour transmettre vos discussions et votre réponse. Cette réponse doit être prise à la majorité des membres et doit être notifiée par le secrétaire du comité. La décision d’autorisation précise la substance et sa posologie, ou le procédé auquel elle se rapporte. Elle précise la durée pour laquelle elle est accordée, qui ne peut excéder un an (article R. 232-78).

 

Selon l’article R. 232-77 : “Le comité mentionné à l’article L. 232-2 du Code du sport comprend au moins trois médecins, choisis par l’agence sur la liste arrêtée par elle en application de l’article R. 232-10. Le secrétaire du comité dresse et signe le procès-verbal de la réunion, qui comprend l’avis motivé du comité. Un extrait de cet avis est adressé au président de l’agence dans le respect des règles prévues à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique”.

LE JOKER

Si vous décidez d’accorder l’AUT, votre décision ne peut être utilisée par le sportif, ou son encadrement médical, comme un sésame pour l’obtention d’une licence ou bien d’un produit interdit. L’article R. 232-83 indique que : “L’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques ne tient pas lieu de certificat attestant l’absence de contre-indication à la participation à des compétitions sportives délivré en application de l’article L. 231- 3. Elle ne tient pas lieu de prescription par un médecin de la substance ou du procédé dont elle autorise l’usage”.

L’ARBITRE

La décision de refus d’usage à des fins thérapeutiques prise par les médecins choisis par les organismes nationaux antidopage peuvent faire l’objet d’un appel. En France, les sportifs de niveau national peuvent saisir le tribunal administratif de Paris. Cet appel peut être déposé devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) par les sportifs de niveau international. Lorsqu’une instance nationale d’appel renverse la décision de refus d’AUT, l’AMA peut faire appel de cette décision devant le TAS.

Les cas cliniques : quelle décision prendriez-vous ?

Cas clinique n°1

Sportif licencié de 19 ans pratiquant le football en compétition.
Gynécomastie “inconfortable” apparue depuis quelques mois.

Bilans endocrinien et échographique normaux. Demande d’AUT pour stéroïdes anabolisants androgènes endogènes par administration exogène : Andractim® gel, une dose par jour pendant 6 mois.

Discussions

Pour le secrétaire, spécialiste en endocrinologie, devant toute gynécomastie idiopathique chez un adolescent, le traitement par Andractim® est logique et répond aux thérapeutiques proposées par les sociétés savantes dans cette pathologie. Si cette pathologie n’est sans doute pas la conséquence de l’usage antérieur d’un produit interdit, peut-on, par contre, parler de préjudice de santé significatif si ce sportif n’était pas traité par anabolisants ? Cette gynécomastie est décrite comme simplement “inconfortable” et probablement gênante sur le plan esthétique. Les anabolisants ayant fait largement la preuve de leur efficacité sur la force musculaire, il est quasi certain que le traitement proposé va être un facteur d’amélioration de la performance. Nous pouvons donc considérer que ce traitement ne répond pas à deux des trois critères essentiels pour l’accord d’une AUT. Les deux médecins possédant une expérience dans le soin et le suivi des sportifs ne devraient pas accepter cette AUT et le secrétaire adresser un avis négatif à l’AFLD.

 

Cas clinique n°2

Sportive licenciée de 35 ans pratiquant l’athlétisme en compétition à un niveau national. Syndrome prémenstruel douloureux avec œdèmes.

Demande d’AUT pour traitement par spironolactone (Aldactone 75®).

Discussions

Pour le secrétaire, spécialiste en endocrinologie, les symptômes du syndrome prémenstruel sont très variés et la thérapeutique doit être individualisée. Ce “mystère physiopathologique” est habituellement traité par l’association de progestatifs de synthèse et de spironolactone utilisée dans cette indication comme anti-androgène. Les diurétiques étant interdits en permanence (hors et en compétition), la discussion peut se faire autour du préjudice de santé “significatif”, de l’absence d’amélioration de la performance et des alternatives thérapeutiques.
La liste AMA 2010 précisant le caractère non interdit du drospérinone associé à l’éthinyl- œstradiol sous forme de contraceptif oral (Angéliq®, Jasmine®, Jasminelle®), cette AUT ne devrait pas être accordée car il existe des alternatives thérapeutiques en principe parfaitement adaptées à la prise en charge de cette pathologie.

 

Cas clinique n°3

Sportif licencié de 48 ans pratiquant le tir à l’arc en compétition à un niveau national. Infarctus du myocarde sur sténose serrée bitronculaire traité par fibrinolyse puis par angioplastie avec mise en place de deux stents.

Traitement associant antiagrégants plaquettaires, hypolipémiants et bêtabloquants. Demande d’AUT pour traitement par bêtabloquants.

Discussions

Pour le secrétaire, cardiologue, la demande d’AUT est parfaitement justifiée car le traitement par bêtabloquant est le traitement de référence en post-infarctus. Mais la liste AMA 2010 et le décret du 10 février 2010 précisent que tous les bêtabloquants sont interdits chez les tireurs à l’arc en et hors compétition. Nous sommes dans le cadre d’un état pathologique et l’intéressé subirait un préjudice de santé significatif s’il ne pouvait faire usage du traitement car il n’existe pas a priori d’alternative thérapeutique. Doit-on pour autant accorder d’emblée cette AUT ? La discussion va se faire sur la phrase suivante : “l’usage à des fins thérapeutiques ne doit produire aucune amélioration de la performance autre que celle attribuable au retour à un état de santé normal”.
Une partie de nos confrères va accorder l’AUT en considérant que les bêtabloquants sont légitimés par ce critère, une autre partie va considérer que le sportif doit attendre d’être guéri pour reprendre la compétition car les bêtabloquants sont considérés comme d’excellents produits dans l’amélioration des performances. Au niveau international, il est très probable qu’une demande d’AUT de ce type ne serait pas accordée par la Fédération Internationale du Tir à l’Arc (FITA).

 

Cas clinique n°4

Sportif licencié de 64 ans pratiquant le sport automobile en compétition.
HTA essentielle connue et équilibrée depuis plus de 15 ans par bithérapie associant IEC et inhibiteur calcique. Aggravation récente de l’HTA avec retentissement cardiaque, l’échocardiographie montrant une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique.

Equilibration par trithérapie nécessaire. Demande d’AUT pour traitement diurétique thiazidique.

Discussions

Pour le secrétaire, cardiologue, le recours à la trithérapie et aux diurétiques est parfaitement justifié en cas d’HTA mal équilibrée avec retentissement cardiaque et il n’existe pas d’alternatives thérapeutiques. Faut-il pour autant accorder un produit interdit chez un patient âgé de plus de 60 ans victime d’une hypertension artérielle mal équilibrée pour qu’il puisse pratiquer un sport à risque, la conduite automobile en rallye ? Nous pouvons revenir à cette question de principe : auriez-vous accepté de signer le certificat de non contre-indication et la licence de ce patient sportif ? Et si vous accordez l’AUT, le sportif ne risque-t-il pas de s’en servir ensuite pour accéder à un CNCI ? Le joker décrit plus haut peut vous rassurer sur ce dernier point (article R. 232-83 du Code du sport). Vous pouvez prendre deux orientations très différentes : soit accorder l’AUT sous prétexte que ce sportif n’utilise pas le diurétique pour améliorer ses performances, soit refuser l’AUT en considérant que, si ce sportif est malade et qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique, il ne doit pas pratiquer le sport en compétition pendant la durée de la prise du produit interdit.

 

CONCLUSIONS

Ces quelques cas cliniques montrent que le choix d’accorder ou de refuser une AUT peut ne pas être simple. Les discussions entre experts sont quelquefois longues et les arguments doivent être souvent développés pour arriver à une éventuelle unanimité. Dans les cas difficiles, il arrive souvent que les décisions soient prises après de longs échanges à la majorité des membres, c’est-à-dire à deux contre un. Les orientations thérapeutiques sont souvent difficiles à prendre en médecine quelle que soit la spécialité du praticien. La réglementation des prescriptions face à un compétiteur ne fait que rendre encore plus complexe le choix médico-légal et éthique des médecins qui ont choisi d’exercer leur passion en protégeant la santé des sportifs.

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