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Fractures de fatigue et lésions de stress du membre supérieur du joueur de tennis : L’expérience française

Dr Jacques Parier (médecine physique, Paris), Dr Bernard Montalvan (rhumatologue, Paris)

Au premier abord, les fractures de fatigue et les lésions de stress du membre supérieur sont rares (3 à 8 %), surtout si on les compare au membre inférieur. Dans une étude de 2006, sur une population de 139 joueurs de haut niveau, Maquirriain retrouve 18 fractures (1). Le membre supérieur est peu touché car il concerne seulement deux atteintes. Après une vingtaine d’années de surveillance des joueurs de tennis de haut niveau, qu’il s’agisse du Centre national d’entraînement (CNE), des Internationaux de Roland-Garros ou de Bercy, nous avons pu colliger une cinquantaine de pathologies de localisations variées.

Les joueurs de tennis sont particulièrement touchés par les fractures de fatigue et les lésions de stress (photo reprise avec l’aimable autorisation de Tennis magazine).

L’apparition des fractures de fatigue et des lésions de stress du membre supérieur coïncide le plus souvent avec une majoration des contraintes : entraînement plus intense, modification de matériel ou de technique. La radiologie est le plus souvent normale. La scintigraphie est très sensible mais peu spécifique. Elle peut révéler des foyers associés à distance de la zone symptomatique mais toujours sur des zones de contrainte. L’IRM est l’examen de choix. Elle révèle précocement un oedème de l’os spongieux (lésion de stress). Kiuri, dans une étude de 2005 (2), a noté un œdème de l’os spongieux dès la 6e semaine d’un exercice intensif chez de jeunes recrues dans 75 % des cas, dont 60 % sont asymptomatiques. L’œdème indique une concentration de fluide dans la zone de contrainte. Le trait de fracture, s’il existe, se traduit par un hyposignal en T1 et un hypersignal en T2 (fracture de fatigue). Dans ce cas, un oedème des parties molles est souvent associé, ainsi qu’une réaction périostée. Pour certains, ces souffrances osseuses sont purement des lésions de contrainte et l’os serait ainsi amené à s’adapter, l’autre tableau étant celui des fractures de fatigue par insuffisance osseuse, objectivées par densitométrie osseuse (2).

L’épaule

Les fractures de fatigue de l’épaule touchent principalement l’acromion (Fig. 1). Il s’agit d’une douleur réveillée principalement en coup droit frappé au-dessus de la ligne des épaules qui peut évoluer de manière plus ou moins intense pendant quelques mois. La clinique oriente vers une souffrance acromioclaviculaire ou un conflit sousacromial. C’est le membre dominant qui est touché. Les joueurs sont jeunes : pour nos cinq cas, la moyenne est de 17 ans, ce qui correspond bien à la littérature. La radio est normale, l’échographie peut être trompeuse car elle oriente vers un défilé sous-acromial. L’IRM met en évidence un oedème de l’acromion qui déborde souvent sur la clavicule. Le mécanisme est controversé. Pour certains, lors des coups au-dessus de l’épaule, il s’agit d’un phénomène de traction du deltoïde et du trapèze avec réaction de l’acromio-claviculaire générant une tension à la partie ventrale et des forces de compression sur la partie dorsale de l’acromion. Lors du service, c’est le mouvement de rotation interne et d’adduction du bras qui provoque une charge excentrique importante sur la partie postérieure de l’épaule (infraépineux, petit rond, partie postérieure du deltoïde) durant la fin de geste. L’évolution s’étale sur quelques semaines. L’arrêt complet n’est pas toujours nécessaire.

Figure 1 – Lésion de stress de l’acromion.

À ce tableau clinique, il faut rattacher la souffrance de l’acromion bipartite (Fig. 2) dont la fréquence semble majorée chez les joueurs de tennis et qui peut être en relation avec une anomalie d’ossification de l’acromion sollicité de manière répétitive dès le plus jeune âge. Les trois cas recensés sont des joueurs jeunes moins de 15 ans pour les premiers, 26 ans pour le 3e joueur international.

Figure 2 – Lésion de stress de l’acromion bipartite.

L’humérus

Les lésions de l’humérus (Fig. 3) touchent des sujets jeunes dans notre série mais l’on peut rencontrer des sujets ayant dépassé la trentaine.
L’atteinte se situe à la partie moyenne ou distale de l’humérus. Le service semble identifié comme le coup le plus agressif pour cette zone et c’est ce geste qui est le plus douloureux. L’IRM est l’examen roi, il permet de visualiser la lésion. Elle évalue l’importance de l’oedème médullaire en pourcentage de la zone atteinte : 0 à 25, 25 à 50, 50 à 75 et plus de 75 %. On parle plutôt de réaction de stress que de fracture de fatigue.

Figure 3 – Lésion de stress de l’humérus.

Une étude a examiné un groupe témoin et seulement 10 % ont une réaction minime, ce qui est loin des chiffres du poignet pour lequel l’on estime à plus de 40 % les réactions de stress. Sur le plan biomécanique, on retient la rotation interne durant la phase d’accélération au service. Il existe également un valgus au niveau du coude avec retentissement possible à la partie interne et postérieure de l’humérus.
La durée d’évolution varie, selon le stade de l’atteinte (simple oedème, fracture de fatigue), de 4 à 12 semaines. Nos trois cas ont respectivement 17, 21 et 31 ans.

Le coude

Les fractures de fatigue du coude sont rares chez les joueurs. À notre connaissance, il n’y a pas eu de publication sur ce sujet. Elles se localisent essentiellement au niveau de l’olécrane (Fig. 4, 5), mais d’autres localisations existent au niveau de l’épitrochlée ou de l’épicondyle chez des sujets très jeunes. Ces fractures sont beaucoup plus fréquentes chez des sportifs de lancer, comme le javelot ou les pitchers au base-ball.

• Les signes cliniques sont essentiellement la douleur lors du service, régressant avec le repos et à la palpation de l’olécrane. La mise en tension du triceps est douloureuse. Les radios peuvent signer le diagnostic en fonction de la forme clinique. C’est habituellement l’IRM, voire le scanner, qui permet de localiser la lésion. Lorsqu’il existe un véritable trait de fracture, les suites sont longues et il faut attendre plusieurs mois avant de pouvoir pratiquer à nouveau dans de bonnes conditions. S’il s’agit d’un simple oedème, l’évolution est alors plus rapide. Nous avons rencontré trois cas chez des joueurs internationaux, un garçon et deux filles, dont la moyenne d’âge est de 25 ans. Le joueur qui présentait un trait de fracture a pu reprendre normalement au bout de 6 mois.

• La “fracture de fatigue” dans le cadre d’une anomalie de croissance, au niveau de l’épicondyle, reste exceptionnelle (Fig. 6). C’est la plaque chondrale qui, du fait des tractions incessantes, peine à s’ossifier. Elle est, en revanche, beaucoup plus fréquente au niveau de l’épitrochlée. Secondairement, il existe parfois un noyau épitrochléen totalement détaché de son implantation originelle. Le diagnostic est fait facilement par une radio comparative. L’évolution est variable. Au niveau du compartiment externe, la durée d’évolution s’étend sur 1 à 3 mois. Au niveau du compartiment interne, la fracture est souvent moins douloureuse, et sa découverte est parfois fortuite. Les douleurs peuvent rester acceptables alors que l’imagerie est relativement inquiétante.

• Il existe chez des sujets plus âgés, après la cinquantaine, des “fractures de fatigue”, par assimilation, de l’éperon olécranien, enthésophyte de traction (Fig. 7), qui se développe au cours de leur carrière. La douleur est souvent d’apparition brutale. La radio permet d’établir le diagnostic. Le traitement est soit médical avec repos et antalgiques, soit chirurgical avec ablation du fragment gênant.

Figure 4 – Fracture de fatigue de l’olécrane.

Figure 5 – Lésion de stress de l’olécrane par traction.

Figure 6 – Souffrance de la zone de croissance du coude.

A – De l’épicondyle.

B – De l’épitrochlée.

Figure 7 – A – Fracture de fatigue de l’enthésophyte. B – Ablation chirurgicale de l’enthésophyte.

L’avant-bras

Les lésions de stress des deux os de l’avant-bras sont relativement fréquentes (Fig. 8). Les véritables fractures sont beaucoup plus rares. Le plus souvent, c’est le côté dominant qui est touché, mais chez des joueurs qui effectuent le revers à deux mains, la fracture de fatigue se situe de l’autre côté, non dominant. Les filles, jeunes, sont plus touchées que les garçons.

Dans notre expérience portant sur 12 cas chez des joueurs de niveau international, l’ulna est le plus souvent touché (huit cas : six joueuses et deux joueurs). Le radius concerne quatre cas (trois hommes et une femme). La majorité des joueurs ont moins de 20 ans. La durée d’évolution est de  partie moyenne ou basse. L’IRM permet le diagnostic.

Bollen (3) estime qu’il s’agit d’un mécanisme équivalent à celui reporté par Watanabe chez les joueurs de softball pour lesquels la fracture de fatigue est au tiers moyen. La  pronation excessive est responsable des contraintes exagérées. Des éléments anatomiques locaux sont sans doute impliqués. Nous avons l’exemple d’une joueuse de 15 ans avec un déficit congénital de supination avec ulna court qui a présenté une fracture de l’ulna.

Figure 8 – Lésions de stress de l’ulna (A) et du radius (B).

Le poignet

Les poignets ont changé de statut sur un plan technique. Les deux poignets sont aussi sollicités l’un que l’autre du fait du revers très fréquemment frappé à deux mains, en particulier chez les joueuses. Aujourd’hui, le poignet ne se contente pas d’être ferme au moment de l’impact, il est aussi dynamique pour rechercher effets, angles, puissance… Elliot (4) a estimé à 20 % la part du poignet dans la vitesse du coup.

Beaucoup de lésions de stress peuvent se rencontrer. La pratique de l’IRM du poignet chez un joueur de tennis de haut niveau est souvent impressionnante et déroutante car plusieurs structures peuvent, de manière concomitante, se retrouver en souffrance. La clinique est essentielle pour faire la part des choses. Au niveau de la première rangée du carpe, le lunatum vient en première ligne (Fig. 9, 10).

Notre série comporte sept cas : cinq joueurs internationaux et un amateur de 50 ans, une femme de 30 ans. La localisation est variable sur l’os à la partie supérieure ou inférieure, elle est rarement globale. Nous n’avons pas la notion de plus grande fréquence de la maladie de Kienböck. Dans notre série, il s’agit de lésions de stress avec un cas pour lequel on peut noter un trait de fracture. L’évolution varie selon l’intensité de la lésion. Parfois, une simple modification de matériel ou de technique suffit pour guérir le joueur sans nécessiter d’arrêt. Souvent, une immobilisation et un arrêt de 4 à 8 semaines sont nécessaires.

Figure 9 – Fracture de fatigue du lunatum.

Figure 10 – Lésion de stress du lunatum.

Le scaphoïde (Fig. 11) est également victime de lésions de stress et de fractures de fatigue, et ce, de manière exceptionnelle chez les joueurs. Plusieurs mécanismes sont possibles.

Les chocs directs répétitifs sur le scaphoïde du fait d’une styloïde de l’ulna trop longue lors des mouvements d’adduction créent des traumatismes sur le corps de l’os, pouvant aboutir à une souffrance osseuse ou à une fracture. La biomécanique du mécanisme indirect n’est pas formelle. Aucun cas n’a été publié dans la littérature. Notre expérience concerne deux joueurs de 15 et 17 ans de niveau national et régional ; une intervention chirurgicale a été nécessaire pour l’un d’eux.

Figure 11 – Fracture de fatigue du scaphoïde.

La lésion de l’apophyse unciforme de l’os crochu est peu décrite dans la littérature concernant le joueur de tennis, elle l’est davantage pour les joueurs de golf (Fig. 12, 13). Nous en rapportons cinq cas : quatre joueurs de niveau international (trois joueuses et un joueur), dont l’âge moyen est de 25 ans, et un joueur amateur de 50 ans. Le choc direct du manche de la raquette sur l’apophyse unciforme est responsable de la pathologie. Le diagnostic n’est pas toujours évident surtout si le début est brutal. Une radiographie de face peut faire suspecter le diagnostic mais le scanner est le meilleur examen.

En cas de fracture incomplète, l’immobilisation est logique. Si la fracture est complète et a fortiori déplacée, l’ablation chirurgicale du fragment est nécessaire. La reprise du tennis peut s’effectuer dans un délai de 2 à 3 mois. Nous avons rencontré un cas de lésion de stress du triquetrum chez un joueur professionnel âgé de 26 ans (Fig. 14).

Notre expérience des lésions des métacarpiens comprend cinq cas : quatre joueurs et une joueuse, de moyenne d’âge 17 ans et de niveau national. Là encore, il s’agit de sujets jeunes. Les localisations sont variées : base du métacarpien ou pleine diaphyse (Fig. 15, 16, 17). La partie distale n’est jamais touchée. La radio est normale, l’IRM permet le diagnostic. À l’exception du 4e métacarpien, tous peuvent être touchés. Le diagnostic différentiel avec un carpe bossu peut se poser. L’atteinte se situe le plus souvent au niveau du 2e métacarpien. Le type de prise semble un élément déterminant. L’évolution s’étale sur 4 à 8 semaines.

Figure 12 – Appui du manche de raquette sur l’apophyse unciforme.

Figure 13 – Fracture de fatigue de l’apophyse unciforme de l’os crochu.

Conclusion

Les lésions de stress du membre supérieur du joueur de tennis sont sans doute beaucoup plus fréquentes que le nombre de cas décrits. Il ne fait aucun doute que la facilité d’obtention d’une IRM se simplifiant, un certain nombre de pathologies, jusque-là sans étiquette, seront répertoriées dans les lésions de stress. La biomécanique doit préciser les circonstances et les zones de majoration de pression pour pouvoir développer des stratégies préventives adaptées. Les possibilités des nouvelles raquettes doivent être réservées aux joueurs capables “d’encaisser” un surcroît de contraintes.

POUR EN SAVOIR PLUS

L’épaule

1. Maquirriain J, Ghisi JP, Bigliani L. Shoulder stress fracture in high level tennis players. Med Science Tennis 2008 : 13 : 8-9

L’humérus

2. Balius R, Pedret C, Estruch A et al. Stress reaction of the humerus in tennis players. Am J Sports Med 2010 ; 38 : 1215-20.

3. Lee JC, Malara FA, Wood T. MRI of stress reaction of the distal humerus in elite tennis players. AJR 2006 ; 187 : 901-4.

4. Rettig AC, Beltz HF. Stress fracture in the humerus in an adolescent tennis tournament player. Am J Sport Med 1985 ; 13 : 55-8.

5. Teixeira S. Stress lesion in the humerus in tennis players. Br J Sports Med 2007 ; 41 : 824-6.

L’avant-bras

6. Bell RH, Hawkins RJ. Stress fracture of the distal ulna. A case report. Clin Orthop Relat Res 1986 ; 209 : 169-71.

7. Bollen SR, Robinson DG, Crichton KJ, Cross MJ. Stress fractures of the ulna in tennis players using a double-handed backhand stroke. Am J Sports Med 1993 ; 21 : 751-2.

8. Fragnière B, Landry M, Siegrist O. Stress fracture of the ulna in a professional tennis player using a double-handed backhand stroke. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 2001 ; 9 : 239-41.

Le poignet

9. Murakami Y. Stress fracture of the metacarpal in a adolescent tennis player. Am J Sports Med 1988 ; 16 : 419-20.

10. Muramatsu K, Kuriyama R. Stress fracture at the base of second metacarpal in a soft tennis player. Clin J Sport Med 2005 ; 15 : 279-80.

11. Silva RT, Hartmann LG, Laurino CF. Stress fractures of the metacarpal bones in adolescent tennis players: a case series. Br J Sports Med 2007 ; 41 : 824-6.

12. Waninger KN, Lombardo JA. Stress fracture of index metacarpal in an adolescent tennis player. Clin J Sport Med 1995 ; 5 : 63-6.

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