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La voltige aérienne : rencontre avec Christine Génin-Zanetta, championne du monde en 1994

Dr Gérard Nicolet, Charlène Catalifaud

Championne du monde de voltige aérienne en programme libre en 1994, Christine Génin-Zanetta entraîne les futures générations à suivre ses pas. Elle nous raconte son parcours et présente les spécificités de sa discipline.

Le parcours de Christine Génin-Zanetta

Médecins du sport : Comment êtes-vous venue à la voltige aérienne ?

J’ai appris à piloter à 16 ans avec mon père qui était pilote privé et qui avait envie que je suive ses traces. Moi qui étais adepte de la gymnastique depuis toute petite, j’ai vite fait le rapprochement entre voltige et gymnastique. En raison d’une hernie discale, je n’ai toutefois pu commencer la voltige qu’à l’âge de 19 ans, au moment où j’entrais en première année de médecine, en 1987. J’ai fait toute ma carrière de sportive pendant mes études de médecine.

Médecins du sport : Racontez-nous votre parcours sportif…

Le club Lons-le-Saunier où j’ai appris à piloter disposait d’un avion de voltige, j’ai donc commencé naturellement dans ce club. J’ai fait ma première compétition sur biplace, avec déjà dans l’idée d’être championne du monde. Je suis ensuite allée rencontrer le meilleur français de l’époque, Claude Bessière (champion du monde en 1990) pour lui demander comment y parvenir. Il m’a conseillé de changer de club pour celui de Dole où il y avait une équipe importante. Je suis donc allée à l’aéroclub de Dole à partir de 1988, où j’ai été entraînée par Paul Prudent. J’ai passé les deux niveaux supérieurs en 1988. J’ai été championne de France féminin et j’ai ainsi pu passer sur monoplace en juillet 1988. À partir de ce moment-là, Claude Bessière est devenu mon entraîneur. Toutefois, pour des raisons techniques, je n’ai pu participer à la compétition qui devait avoir lieu en septembre.
J’ai ensuite participé à une compétition en septembre 1989. J’ai gagné devant les garçons, ce qui m’a ouvert les portes de la catégorie Élite et de l’équipe de France. Je suis donc sélectionnée en équipe de France au début de l’année 1990, et j’ai participé à tous les stages de l’équipe de France. En général, six ou sept stages par an sont organisés pour préparer les échéances internationales. Il s’agit de stages de 5 jours. Je participe alors à mes premiers championnats du monde, qui avaient lieu à Yverdon, en Suisse, et je décroche le titre de championne du monde pour le programme libre.
1991 est l’année du Championnat d’Europe, à Muret en France. Là aussi je gagne le programme libre. En 1992, le Championnat du monde a dû être annulé en raison des conditions météorologiques. En 1993, je gagne les championnats d’Europe et en 1994, je suis championne du monde.

Médecin du sport : Vous avez ensuite arrêté la compétition ?

Je me suis mariée en 1994, et nous avons décidé d’avoir un enfant. J’avais dans l’idée de reprendre la compétition après, mais malheureusement, j’ai perdu l’usage d’un œil, en raison d’une cataracte, qui s’est compliquée. C’est ce qui a mis fin à ma carrière sportive.

Médecin du sport : Mais vous n’avez pas quitté le milieu de la voltige aérienne…

En effet, je suis salariée du ministère de la Jeunesse et des Sports, et rattachée à la fédération française d’aéronautique. En fait, j’entraîne les voltigeurs au sein du pôle France que j’ai créé il y a 15 ans à Dijon-Darois. Il s’agit de l’unique pôle France de notre discipline.
Côté médecine, je m’occupe du suivi des 45 sportifs de haut niveau de ma fédération, et je suis médecin de l’équipe de France.

Les spécificités de la voltige

Médecin du sport : Comment se déroulent les compétitions ?

Tout d’abord, la zone de vol est délimitée par un « box » d’1 km3. On peut voler entre 100 et 1 100 m d’altitude.
La compétition (en monoplace) est constituée de quatre programmes :

  • le programme imposé : il est connu dès le début de la saison en janvier.
  • le programme libre : il est toutefois soumis à certaines obligations afin qu’il y ait une diversité des figures.
  • le programme imposé inconnu : il y en a souvent deux dans les compétitions de haut niveau. Il est donné 24 h avant le début de la compétition, il n’est donc pas possible de s’entraîner.

Médecin du sport : Comment sont notées les performances ?

Les figures sont codifiées en fonction de leur difficulté. Un coefficient leur est attribué. Il y a des figures de base et des rotations qu’on ajoute à ces figures (répertoriées dans le catalogue ARESTI). Par exemple, une figure très simple a un coefficient 6, alors qu’une figure complexe peut avoir un coefficient de 80, si on lui ajoute des rotations.
Chaque figure est notée sur 10, et un programme est composé de 12 à 14 figures qui s’enchaînent, pour une durée de 4-5 minutes maximum. C’est court, mais très intense !
Le jury (5 juges) est au sol pour noter les figures et donner une note globale.
La précision des figures est le critère principal de jugement. Par exemple, lors d’une rotation de 180° horizontale, s’il y a une erreur de 5°, c’est un point en moins. Il faut donc être très concentré ! Nous disposons d’une aide technique précieuse, un triangle, que l’on pose sur l’horizon. Il permet d’avoir la verticale, et deux barres à 45°.

Les spécificités de la compétition en voltige aérienne

• Six niveaux de compétition

Six niveaux de compétition : trois en biplace et trois en monoplace. Pour passer d’un niveau à l’autre, une note de 7 minimum est requise.

• Les différentes compétitions :

– Chaque année, alternance entre Championnat d’Europe et Championnat du monde
– Quelques compétitions amicales internationales
– Une compétition officielle internationale par an

• Spécificité :

Les hommes et les femmes passent en même temps et sont notés de la même façon. À la fin, il y a deux classements : un classement mixte et un classement séparé pour les remises de médaille.

Médecin du sport : Quelles sont les vitesses atteintes ?

Cela dépend des avions, mais les vitesses maximales peuvent atteindre 400 à 450 km/h. La vitesse varie selon les figures, de 250 à 400 km/h.

Médecin du sport : Quelles sont les règles de sécurité mises en place ?

  • En France, la réglementation impose de ne pas descendre en dessous de 150 m (pour les Championnats du monde, la limite est 100 m).
  • Il faut respecter la structure de l’avion. La spécificité de la voltige est l’accélération. À 400 km/h, quand on monte ou quand on est en descente, on se retrouve soumis à la force centrifuge. Sur un monoplace, on peut monter jusqu’à plus de 10 G. Le pilote fait alors dix fois son poids, et l’avion aussi ! Il faut donc que l’avion soit suffisamment solide pour supporter cela. Le pilote doit respecter les limites de son avion qui sont différentes selon la fabrication de l’avion en termes de structure, de motorisation… Certains sont limités à 10 G, d’autres à 14 G.
  • Les avions sont inspectés avant chaque vol, même si deux vols sont faits à la suite.
  • En vol, il faut être attentif à tous les bruits inhabituels, comme une petite vibration. Et dès qu’on a le moindre doute, on s’arrête.
  • Le port du parachute est obligatoire. Pour ma part, je n’ai jamais sauté en parachute. Il n’y a aucune formation. Mais c’est rare qu’on ait à sauter. Cela a dû arriver trois à quatre fois en 15 ans. Et cela s’est très bien passé !
  • Nous sommes attachés avec une ceinture cinq points et une de sécurité.

Il ne faut pas oublier que l’on cherche à avoir le moins de poids possible, donc l’intérieur d’un avion est très sommaire et très peu confortable.

Médecin du sport : En quoi consistent l’entraînement et la préparation ?

Pour la voltige, plus vous êtes musclé, plus vous arrivez à être tonique en vol. L’entraînement comprend donc beaucoup d’abdos, et certains travaillent beaucoup la musculation des bras et des jambes, pour travailler la tonicité et la rapidité des gestes. Nous faisons également de l’endurance.
Pour ma part, grâce à mes années de gym, j’étais très musclée et tonique. Ce fut un réel avantage, et j’ai pu progresser très vite.

Médecin du sport : Combien de temps de vol comprend l’entraînement ?

Le problème avec la voltige c’est que les vols sont coûteux. Finalement, nous nous entraînons très peu.À très haut niveau, cela représente 100 h d’entraînement par an. Chaque entraînement dure en moyenne une quinzaine de minutes. C’est très physique, au bout de 15 minutes, on est épuisé. Lors des stages, il y deux entraînements par jour, un le matin, un l’aprèsmidi.
À ce rythme, au bout de 5 à 6 jours, on n’a plus suffisamment d’énergie pour s’entraîner et nous avons besoin de plusieurs jours pour récupérer.

Voltige et santé

Médecin du sport : Quels sont les effets de l’accélération sur l’organisme ?

Lors de l’exécution des figures, on peut monter jusqu’à plus de 10 G, lors d’une descente en piqué par exemple, lorsque la force centrifuge vous tasse au fond de l’avion. À l’inverse, si au lieu de tirer en bas, vous poussez, vous allez prendre de – 5 à – 8 G. Dans tous les programmes, il y a alternance d’accélérations positives et négatives.

  • Lorsque G est positif : le sang est transféré dans le bas du corps. Le cerveau se retrouve en légère hypoxie. On a alors un phénomène de voile noir qui peut survenir. Le champ visuel rétrécit. Et si on insiste, cela peut mener à la perte de connaissance.
  • Lorsque G est négatif : le sang afflue en grande quantité dans la tête. Dans ce cas, on parle plutôt de voile rouge, en raison du sang qui arrive aux yeux. Les sensations sont assez désagréables, car on le sent également dans les sinus, mais il n’y a pas de perte de connaissance.

Voltige et météo.

La voltige aérienne est dépendante des conditions météorologiques. Voici les paramètres à prendre en compte.

  • La base des nuages :

– si elle est inférieure à 750 m : interdiction de voler.
– si elle est entre 750 et 1 000 m : possibilité de voler. Les pilotes sont autorisés à faire une coupure pour reprendre un peu d’altitude.
– si elle est supérieure à 1 000 m : possibilité de voler, sans coupure autorisée.

  • Le vent : au-delà de 15 nœuds, le vol en compétition est interdit.
  • La pluie : interdiction de voler.

Médecin du sport : Avez-vous déjà perdu connaissance en vol ?

Cela ne m’est arrivé qu’une fois, à mes débuts en 1989. J’ai perdu connaissance une douzaine de secondes. Quand je me suis réveillée, je ne savais déjà pas que j’étais en avion. Il m’a fallu une ou deux secondes pour me dire qu’il fallait que je pilote. J’avais fait un certain nombre d’erreurs ce jour-là : j’avais peu dormi, pas mangé et pas bu d’eau alors que c’était en plein été… De plus, j’avais fait une erreur de respiration dans mon programme.
Heureusement, les pertes de connaissance ne sont pas très fréquentes. Et il y a très peu d’accidents mortels en voltige aérienne.

Médecin du sport : Comment varie la fréquence cardiaque pendant le vol ?

De temps en temps, nous utilisons des capteurs pour étudier le rythme cardiaque : il peut varier de 30 à 180 bpm ! Mais on n’en a pas conscience en vol. Il y a une bonne adaptation. Même si au bout de dix vols lors des stages d’entraînement, on épuise nos capacités d’adaptation. On s’essouffle et on fatigue plus vite.

Médecin du sport : Au niveau traumatologique, la voltige aérienne entraîne-t-elle des blessures ?

La voltige n’entraîne pas de pathologies graves spécifiques. Toutefois, on constate des pathologies au niveau rachidien. En effet, lors des vols, on change souvent de position notre regard. Au moment où on va prendre une verticale, on va faire une rotation de la tête de 90°, alors que l’accélération atteint + 8 ou + 10 G. Je pense que les voltigeurs ont plus de pathologies cervicales et lombaires que la population générale. Les lumbagos sont assez fréquents. La position n’est pas bonne avec les accélérations, et peut entraîner aussi des contractures.
Par ailleurs, en raison d’un impact au niveau de l’oreille interne, des vertiges peuvent survenir, surtout en fin de saison. En fait, la vision a du mal à se stabiliser quand on sort d’une rotation rapide par exemple. Sachant qu’on a tendance à tourner plus souvent à gauche qu’à droite, en prévention, il est recommandé de faire autant de rotations à gauche qu’à droite.

Médecin du sport : Y a-t-il un suivi médical spécifique ?

Le suivi est le même que pour tout sportif de haut niveau. Les voltigeurs consultent en plus annuellement un ORL et un ophtalmologiste.

Médecin du sport : Quelles sont les contre-indications à la pratique de la voltige aérienne ?

Les principales contre-indications sont d’ordre cardiaque : dysfonction de la valve cardiaque, anévrisme aortique… Mais en pratique, il est rare que je prononce des contre-indications. En effet, la voltige étant physiquement très engageante et fatigante de toute façon, une personne avec une faible tension par exemple va vite sentir qu’elle va voiler sans arrêt et n’aura pas envie de continuer.

Médecin du sport : Comment préparer un vol et gérer le stress ?

Il faut adapter à chacun. Nous faisons notamment des exercices respiratoires et du yoga avant les vols. Certains pilotes font appel à des préparateurs mentaux : hypnose, programmation neurolinguistique (PNL)…
Nous travaillons aussi beaucoup la visualisation avant les vols pour nous concentrer. Nous dessinons un box au sol dans lequel nous travaillons notre programme en reproduisant les verticales, les rotations… Cela permet de se concentrer et de se sentir prêt, et donc le stress diminue.
La concentration se fait surtout avec cette étape. Quand on est en compétition, on peut arriver à se concentrer pendant presque une journée entière, à ne penser quasiment qu’à ça… La voltige, c’est complexe, il y a beaucoup de choses à gérer. Cela nécessite une grande disponibilité mentale.

Propos recueillis par le Dr Gérard Nicolet
et Charlène Catalifaud

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