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La voltige équestre : rencontre avec Nicolas Andréani et Éric Favory

Propos recueillis par Charlène Catalifaud

Nicolas Andréani est un voltigeur de haut niveau, qui s’est fraîchement retiré de la compétition après avoir raflé de nombreux titres, dont une troisième coupe du monde en 2015. Le Dr Éric Favory l’a suivi au sein de l’équipe de France de voltige pendant près de 20 ans. Interview croisée.

PRÉSENTATION

 

Dr Éric Favory

J’ai été médecin de l’équipe de France de voltige pendant plus de 20 ans. J’ai donc suivi Nicolas pendant près de l’ensemble de sa carrière. Jusqu’aux Jeux de Sydney, j’étais le médecin de toutes les équipes de France d’équitation, puis j’ai sollicité d’autres médecins afin que nous ayons un médecin par discipline équestre. Aujourd’hui, je suis médecin du sport, consultant à l’Institut français du Cheval et de l’Équitation (IFCE) et je continue de suivre l’équipe de France de complet (une des disciplines équestres).
Je suis également moi-même cavalier.

Il est l’auteur du livre Santé et équitation, paru aux Éditions Chiron (Collection Sport et santé) en 2011.

Nicolas Andréani

J’ai commencé la gymnastique tout petit, à l’âge de 3 ans. Je suis venu à la voltige vers 6 ans. Le côté artistique de la voltige, que je ne retrouvais pas dans la gymnastique, m’a tout de suite plu. Quand on commence petit, on se retrouve à monter sur les épaules des grands, et quand on est là-haut on a l’impression d’être au sommet du Mont-Blanc. Cette notion acrobatique m’a séduit. L’entraîneur national de l’époque, Jean-Michel Pinel, m’a remarqué lorsque j’étais en seconde. J’ai ensuite intégré l’Insep. Et à partir de là, les performances se sont accumulées.
Désormais, je suis coach itinérant : je parcours la France et j’organise des stages dans les clubs de voltige. J’en fais également quelques-uns à l’étranger. Je me suis aussi lancé dans le show équestre. Avec Jacques Ferrari, nous avons créé la compagnie Noroc. La reconversion se fait donc en douceur ! Je ne quitte pas vraiment la voltige même si ce n’est plus en tant que compétiteur. Le spectacle, contrairement à la compétition, c’est 100 % de plaisir.

Ses titres principaux :
Champion d’Europe en 2009
Champion du monde en 2012
Vainqueur de la Coupe du monde en 2013, 2014 et 2015

LA VOLTIGE ÉQUESTRE : UNE ALCHIMIE ENTRE VOLTIGEUR, LONGEUR ET CHEVAL

Médecins du sport : Comment définiriez-vous la voltige équestre ?
Dr Éric Favory : La voltige est un sport équestre à part entière dans le sens où l’élément moteur est le cheval : il va produire une énergie que le voltigeur va exploiter. Pour le voltigeur, la voltige est un sport d’exigence, d’excellence gymnique, mais qui a la particularité, par rapport à la gymnastique, d’être réalisé sur un support mobile. Il y a tout un aspect de régulation tonique, en harmonie avec le cheval, qui doit se faire. La voltige est aussi un sport d’expression, avec une dimension de transmission artistique vers le public.
La voltige, c’est une histoire à trois entre le cheval, le longeur et le voltigeur, c’est une alchimie complexe. C’est très difficile en termes de compétition, car si l’un des trois éléments n’est pas présent, il n’y a pas de performance.

Nicolas Andréani : Effectivement, c’est vraiment un trio. Merci Éric de souligner le travail des longeurs qui sont trop souvent mis dans l’ombre des voltigeurs. Sans le travail de ma longeuse, Marina Joosten-Dupon, qui passe des heures à cadencer le cheval, je ne serai qu’un pantin sur un âne. Il faut vraiment que le cheval soit comme un métronome, qu’il ait une attitude hyper régulière. Le travail du longeur est monumental. Il doit connaître par coeur l’enchaînement et anticiper les mouvements du voltigeur susceptibles de déséquilibrer le cheval.

La voltige équestre en compétition

• En compétition, la voltige se pratique en individuel (non mixte) ou en équipe (généralement constituée de six voltigeurs [mixtes]).
• Un concours de voltige international se déroule en deux manches.
• Les différents programmes :
– Programme imposé.
– Programme technique.
– Programme libre.
• Un programme consiste à enchaîner en peu de temps plusieurs figures.
• Lors d’une épreuve de voltige, quatre juges sont situés autour du cercle. Trois aspects sont pris en compte :
– Le cheval (1/4 de la note).
– La chorégraphie (1/4 de la note).
– La technique (2/4 de la note).
À noter que le travail du longeur est reflété par la note du cheval.

Médecins du sport : Quelles sont les qualités principales d’un cheval de voltige ?
N. A. : Pour la voltige, il nous faut plutôt des grands et gros chevaux, car plus la foulée sera ample, plus ce sera facile et agréable pour le voltigeur. Un peu comme au ski de bosses : plus les bosses sont rapprochées, plus c’est compliqué. Une foulée ample amène plus d’énergie.

Médecins du sport : Quelles sont les principales difficultés liées à la pratique de la voltige équestre ?
N. A. : La principale difficulté, c’est d’avoir le bon trio. En tant que voltigeur, il faut que quand tu arrives en piste, tu aies 100 % confiance en ton longeur et ton cheval pour arriver à te concentrer pleinement sur toi. Je pense que c’est ce qui a fait ma force. Je suis arrivé dans le club hippique de Meaux à 6 ans, et dès lors, j’ai fait toute ma carrière avec Marina. C’est un peu comme ma deuxième maman. De plus, j’ai acquis mon cheval. Marina a trouvé mon cheval, Idéfix de Braize, en 2005 et elle en a fait un cador de la discipline. J’ai concouru avec lui jusqu’en 2012. J’ai ensuite concouru avec Just-a-Kiss, un haras national du club hippique de Meaux.

Nicolas Andréani et Marina Joosten-Dupon, sa longeuse.

L’équipement

L’équipement pour la voltige comprend :
• Sur le cheval :
– Surfaix (équipé de poignées pour que le voltigeur puisse effectuer les figures)
– Tapis
– Mousse
– Protections au niveau des jambes
– Enrênements
• Pour le longeur :
– Longe
– Chambrière

Médecins du sport : En quoi consiste l’entraînement d’un voltigeur ?
N. A. : L’entraînement se découpe en trois temps :

  • La préparation physique générale pour renforcer toute la musculature. On utilise les barres parallèles, le trampoline, etc. pour travailler les sorties notamment.
  • L’entraînement sur le tonneau pour travailler les spécificités de la voltige. On s’entraîne à l’exécution technique des programmes.
  • Enfin, l’entraînement sur le cheval.

Le travail au sol et sur le tonneau est essentiel pour préserver nos chevaux de voltige qui nous sont chers.
Lorsque j’étais à l’Insep, l’entraînement se faisait du lundi au vendredi, à hauteur de deux séances par jour, avec une séance de voltige le mercredi sur des chevaux dits de répétition.
Le week-end, je retournais dans mon club de Meaux pour faire des séances avec mon cheval.

Médecins du sport : Quelle est la place de la dimension artistique dans la voltige ?
N. A. : La voltige française a des assez bons résultats, notamment parce qu’elle est riche au niveau artistique. La chorégraphie fait partie intégrante de notre entraînement. Grâce à Armelle Cornillon, et maintenant Romain Bernard, on arrive avec des thématiques beaucoup plus parlantes et touchantes que la voltige allemande notamment, qui est très juste au niveau technique, mais assez fade sur le plan artistique. Si on arrive à toucher le public et le jury, c’est dans la poche.
La place de la chorégraphie dans la note m’a permis de me distinguer.

VOLTIGE ET SANTÉ

Médecins du sport : Quelles sont les qualités requises pour le voltigeur ?
N. A. : Pour moi, la voltige équestre requiert trois grandes qualités physiques :

  • La souplesse, notamment au niveau des ischio-jambiers et des mollets.
  • L’explosivité au niveau de la ceinture scapulaire (pectoraux, triceps) : il faut être capable en un quart de seconde de soulever son poids de corps.
  • Un gainage à toute épreuve. Quelle que soit la figure réalisée, le cheval va bouger, mais le voltigeur doit rester immobile.

E. F. : En effet, il faut une capacité de régulation en phase avec le mouvement du cheval. Il faut être capable d’optimiser l’énergie provenant du cheval pour arriver à une énergie potentielle maximale, c’est-à-dire le plus haut possible sur les appuis. Le voltigeur doit en permanence s’adapter à l’équilibre et à la motricité du cheval. À partir de l’énergie potentielle acquise là-haut, le voltigeur va pouvoir enchaîner les figures jusqu’au sol.
Le voltigeur doit contrôler les rotations pour arriver à une réception sûre. Au moment de la réception, le voltigeur passe d’une régulation en harmonie avec le cheval à une régulation sur le sol : le niveau de tonicité est complètement différent. Il y a vraiment une force intelligente qui doit être en adaptation permanente.
Un autre aspect déterminant est la capacité du voltigeur à utiliser sa respiration. La respiration du voltigeur, et du cavalier en général, a un impact important sur le cheval.
Le voltigeur doit aussi apprendre à gérer son système de perception. Le voltigeur est sur une courbe en permanence, avec une force centrifuge. Il doit bien intégrer  cette notion et s’appuyer prioritairement sur son système vestibulaire et proprioceptif.

N. A. : La respiration est effectivement pour moi l’un des fondamentaux de la voltige. Mais c’est surtout le plus difficile à acquérir. Savoir où respirer, quel type de souffle utiliser… Il n’y a pas de respiration type. Cela s’acquiert avec l’expérience.

Médecins du sport : Quelles sont les blessures les plus fréquentes en voltige équestre ?
E. F. : En voltige équestre, le voltigeur fait face à des pathologies traumatiques et à des pathologies microtraumatiques, les efforts demandés étant relativement brefs et intenses.
Les pathologies les plus fréquentes sont celles liées à la réception : entorses du genou, entorse de la cheville… Le fléau pour les voltigeurs est la rupture du ligament croisé antéro-externe. Elle survient généralement lors d’une sortie soit intérieur-extérieur, soit avec rotation en l’air, départ debout sur le cheval, dont la hauteur au garrot est de 1 m 70 à 1 m 80. Entrent en jeu également les composantes de la force centrifuge, les composantes de rotation résiduelle, et un sol qui n’est pas normé. En effet, le sol varie d’un terrain de compétition à l’autre, et même d’un moment de compétition à l’autre.
Nous avons également dit que la voltige était un sport qui nécessitait beaucoup de souplesse au niveau des membres inférieurs. Pour les voltigeurs, comme Nicolas, qui ont une très forte tonicité, ce n’est pas un problème, mais souvent aux niveaux inférieurs, on rencontre des personnes très laxes. Être souple au niveau musculaire est un avantage, mais au niveau articulaire, c’est un facteur de risque. Des lésions pouvant être fatales pour une carrière sont souvent rencontrées dans les petits niveaux.
Il existe aussi une pathologie liée à la rotation des appuis, au niveau des épaules, notamment la lésion du bourrelet glénoïdien.
Et puis, il y a des pathologies microtraumatiques au niveau des poignets, du rachis lombaire. Ces pathologies sont généralement liées à un déficit de gainage.

N. A. : En France, le préparateur physique, Samuel Dumont, a été Champion d’Europe de gymnastique. Nous avons donc, je pense, une des voltiges les plus gymniques du circuit. Ce qui entraîne son lot de blessures… Effectivement, le bourrelet et les croisés, ce sont vraiment les deux blessures principales des voltigeurs.
La talonnade est également très fréquente.
Une mauvaise chute peut mettre un gros coup de frein à une carrière. Mon amie qui est hollandaise s’est fracturé la cheville au dernier Championnat d’Europe. Elle a mis 1 an à se remettre et a toujours des douleurs 2 ans après…

Médecins du sport : Quelles blessures avez-vous eues au cours de votre carrière ?
N. A. : J’ai eu de la chance de ne pas avoir eu de blessures majeures qui ont eu un impact sur ma carrière. C’est souvent lors des six premières semaines de reprise de l’activité après la pause hivernale que je me suis blessé, sûrement par manque de lucidité. En effet, à la reprise, on croit qu’on est capable de reprendre au même niveau et de travailler de nouvelles difficultés. Mais j’arrivais toujours à revenir pour la saison qui commence en mars.
Je me suis fait opérer au niveau de l’épaule pour le bourrelet glénoïdien qui s’est fissuré et j’ai eu une rupture partielle du ligament latéral interne du genou. Et bien sûr, quelques entorses.

Médecins du sport : Y a-t-il d’autres risques associés à la voltige équestre ?
E. F. : Un des risques est le surentraînement, le manque de récupération. Les états de fatigue peuvent entraîner des tendinopathies.

Médecins du sport : Quelles sont les contre-indications à la voltige ?
E. F. : Les personnes ayant un risque à la réception, un genou laxe non opéré, un croisé rompu… Cela constitue une contre-indication relative.
Une dystrophie rachidienne de croissance chez l’enfant ou une lyse isthmique chez l’adolescent sont également des contre-indications.
En raison du risque de chute, la prise d’anticoagulant n’est pas compatible avec la pratique de la voltige.
La voltige équestre requiert un appareil locomoteur qui permette une réception sans risque, ne présentant pas de fragilité anormale.

VOLTIGE ET SANTÉ

Médecins du sport : Et sur le plan cardiovasculaire ?
E. F. :
Le voltigeur doit être capable de monter sa fréquence cardiaque à des niveaux très élevés. Sur une prestation de voltige, on est au-dessus de 95 % de la fréquence cardiaque maximale théorique. Un bon niveau d’aptitude cardiovasculaire est donc nécessaire.

Médecins du sport : Les voltigeurs de haut niveau ont-ils un suivi médical spécifique ?
E. F. :
Il y a deux types de suivi :

  • Le suivi institutionnel qui est le même pour tous les sportifs de haut niveau, défini par le Ministère des Sports.
  • Un suivi beaucoup plus personnalisé réservé aux meilleurs voltigeurs. Ce suivi comprend la prise en compte des facteurs de risque traumatiques, la prévention, les règles hygiénodiététiques… Tout ceci se fait en tandem avec le kinésithérapeute de l’équipe de France, qui est une pièce maîtresse. C’est lui qui va accompagner les joueurs sur les déplacements internationaux notamment. Il fait également le relai entre le staff médical et le préparateur physique et l’entraîneur.

La préparation mentale est une dimension non négligeable. Elle est soit assurée par une personne spécifique, soit par un des membres.

Médecins du sport : Comment gérer une équipe aussi hétéroclite qu’une équipe de voltigeurs ?
N. A. :
Effectivement, les équipes de voltige sont mixtes, mais également très disparates en termes d’âge. Je vais prendre l’exemple des Jeux de Lexington de 2010 : le plus jeune avait 9 ans alors que le plus vieux en avait 27. Pour le staff, ce n’est pas simple à gérer !

E. F. : C’est une problématique qui est vraie en termes d’entraînement et en termes de management. Par exemple, la gestion du sommeil et de la récupération ne va pas être la même.

Propos recueillis par Charlène Catalifaud

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