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Ça s’en va…et ça revient… : Gonflement isolé et circonscrit de la cheville chez un jeune rugbyman

Dr William Vanbiervliet (Hôpital Léon-Bérard, Hyères)

Que peut signifier un gonflement de la cheville chez un sportif ? Quel examen clinique et quel bilan radiologique peuvent être effectués ?

Historique

Il s’agit d’un adolescent de 16 ans, rugbyman, évoluant pour la 1re année comme sportif de haut niveau et présentant à la consultation un gonflement pré-malléolaire interne de la cheville droite, apparu semble-t-il brutalement sans notion de traumatisme récent direct ou indirect. Le sujet décrit une gêne essentiellement à l’échauffement, sans handicap ressenti par la suite au cours de l’entraînement ou même en compétition. A l’interrogatoire initial, le patient avoue quelques traumatismes bénins des chevilles type “entorses” dont il est difficile de situer le niveau de gravité et le traitement proposé. On ne retrouve aucune plainte d’instabilité. Le jeune joueur évolue comme ¾ aile et ne décrit aucune difficulté lors des changements brutaux de direction, fréquents à ce poste. Dans un premier temps, vu la pauvreté de l’examen clinique, on lui propose un repos sportif de 15 jours et une mésothérapie à visée trophique et antalgique. L’évolution est favorable et la reprise sportive est autorisée à l’entraînement sous surveillance. On constate alors une récidive rapide de la symptomatologie.

 

 

DIAGNOSTIC

L’examen clinique reste assez pauvre, ne retrouvant aucune limitation articulaire à la fois talo-crurale et sous-talienne, malgré une très légère sensibilité antérieure en flexion plantaire de la cheville. On ne retient aucune laxité. Il n’existe également aucun signe de tendinopathie ou de ténosynovite. La percussion malléolaire ne déclenche aucune douleur. Seule la palpation de l’interligne talo-crural antéro-interne en regard du gonflement est sensible. On ne retient in situ aucun processus local inflammatoire ou autres signes cutanés. La reprise de l’interrogatoire de l’enfant et de la famille permet de retrouver la notion de gonflements identiques plutôt négligés ayant seulement abouti à la réalisation de semelles orthopédiques sur pieds plats valgus.

L’ensemble fait évoquer ainsi un processus évolutif chronique mécanique, n’apparaissant qu’à la course, pouvant être d’origine synoviale ou cartilagineuse.

Les clichés radiologiques standard permettent d’émettre un doute sur une lésion du talus de la cheville gauche (Fig. 1). Dans ce contexte, une IRM est demandée éliminant une pathologie péri-articulaire mais confirmant le diagnostic d’ostéochondrite circonscrite du dôme talien en zone portante postéro-interne (Fig. 2).

Une tomodensitométrie est demandée secondairement sur les deux chevilles excluant la bilatéralité des lésions et précisant le type de lésion, stade III ou “O”, avec la présence d’un séquestre détaché en place dans sa niche et un affaissement du dôme dans la zone lésée sur moins d’un quart de la surface cartilagineuse totale du talus (Fig. 3).

Figure 1 – Clichés radiologiques d’interprétation difficile : doute sur une lésion du talus.

Figure 2 – L’IRM confirme le diagnostic d’ostéochondrite circonscrite du dôme talien.

Figure 3 – La tomodensitométrie précise le type de lésion.

Discussion

L’ostéochondrite disséquante de l’adolescent fait partie des lésions ostéochondrales du dôme talien dont on distingue habituellement plusieurs formes souvent confondues sur un plan nosologique.

Pour les formes antéro-externes, l’anamnèse est souvent un traumatisme récent et bruyant de la cheville ou ancien, clairement individualisable dans 90 % des cas. Souvent la clinique est parlante avec des douleurs à l’appui, des craquements et des pseudoblocages. On parle alors de fracture ostéochondrale parcellaire du dôme astragalien qui évolue volontiers vers la pseudo-arthrose en cas de négligence thérapeutique.

Pour les formes postéro-internes, comme dans notre exemple, l’origine micro-traumatique est souvent évoquée mais très discutée. La notion de traumatisme franc est alors plus floue, inconstamment mise en évidence à l’interrogatoire, dans 40 à 50 % des cas (1). Malgré tout, certains auteurs ne retiennent que cette étiologie traumatique, qui serait responsable d’une lésion chondrale ou d’un tassement sous-chondral évoluant défavorablement vers une nécrose osseuse (2). Dans certains cas, ces lésions peuvent se révéler tardivement avec un nouveau traumatisme, ou progressivement, après une période asymptomatique plus ou moins longue, l’ostéochondrite se révélant alors de manière fortuite sur une radiographie standard (10 % des cas en moyenne). En 1986, Blaimont et al. ont suggéré également la possibilité d’un desserrage de la pince malléolaire post-traumatique (3).

En effet, un diastasis tibio-fibulaire distal, même minime, diminue la surface d’appui de la poulie et occasionne un décentrage interne responsable alors d’une augmentation des contraintes de compression dans cette même zone. Enfin, l’atteinte bilatérale n’étant pas rare (40 % des cas), certains évoquent également une éventuelle composante vasculaire dans la physiopathologie de ces lésions ainsi que des causes métaboliques et génétiques.

Sur le plan anatomo-pathologique, il est important de différencier le noyau d’ossification sous-chondral susceptible de se séquestrer de l’ostéochondrite de l’adolescent, des lésions dystrophiques avec tissu nécrotique aux limites imprécises, de potentiel évolutif très lent et des lésions kystiques intra-osseuses quant à elles souvent évolutives, retrouvées chez l’adulte. Le pic de fréquence de cette pathologie se situe habituellement entre 15 et 20 ans préférentiellement dans la population masculine pratiquant de manière intensive une activité sportive en charge. Cette augmentation de contrainte peut déclarer la pathologie encore asymptomatique jusque-là. Dans notre exemple, les gonflements et/ ou gênes itératives initiales jusqu’alors rapidement régressives sont devenues plus gênantes avec l’augmentation de l’activité et ont fini par attirer l’attention du sportif et de son entourage.

Cliniquement, le gonflement peut donc être le seul signe accompagné plus rarement dans l’évolution de pseudoblocage lorsque le fragment osseux détaché se promène dans l’articulation. Ce gonflement est le plus souvent intermittent à prédominance vespérale. L’examen doit rechercher par ailleurs, un craquement lors du mouvement de tiroir antérieur et une douleur aux tests d’impaction en varus/valgus.

Le bilan radiologique standard avec le cliché de face en rotation interne de 15 à 20° du pied et/ou le cliché en flexion dorsale en charge recherche une (ou des) géode(s), un tassement souschondral, une fracture ostéochondrale incomplète, un noyau d’ossification avec ou non détachement parfois du séquestre osseux, voire un diastasis fibulo-tibial inférieur. Cet examen peut être très sensible si la réalisation et la pénétration sont bonnes. La classique classification des images de Berndt et Harty en 4 stades tend à être remplacée par la classification “FOG” de Doré et al. : “F” pour fracture récente (souvent latérale), “O” pour ostéochondrose (souvent médiale) et “G” pour géode (toujours médiale) qui semble plus proche de la réalité histo-anatomique (4, 5). De son côté, la scintigraphie est un examen intéressant pour les lésions discrètes micro-traumatiques ou dystrophiques nécrosantes partielles mais sa spécificité reste faible.

Même si la radiographie standard permet de faire le diagnostic dans la quasi-totalité des cas évolués, la tomodensitométrie reste l’examen de choix (Fig. 4). Cet examen donne la possibilité d’effectuer des coupes fines et donc d’augmenter la précision du diagnostic histo-pathologique de la lésion (séquestre, géodes, profondeur de la nécrose…). L’injection d’un produit de contraste, souvent demandée par le chirurgien en pré-opératoire, peut parfois masquer un fragment intra-articulaire. Les deux temps (avant et après injection) semblent donc importants, l’arthro-scanner précisant alors l’état cartilagineux qui conditionne souvent le mode chirurgical.

Figure 4 – La tomodensitométrie reste l’examen de choix.

De son côté, l’IRM sans et avec injection intra-articulaire de gadolinium deviendra l’examen de choix dans les années à venir. Elle donne la possibilité d’analyser l’ensemble des structures articulaires et ab-articulaires et donc de proposer dans la quasi-totalité une étiologie à certaines chevilles douloureuses chroniques (Fig. 5). Par ailleurs, l’IRM se montre très performante dans la découverte de fracture respectant la continuité de la corticale, en particulier les impactions trabéculaires sous-chondrales non visibles au scanner. Mais l’analyse du cartilage d’encroûtement reste sujette à caution et très opérateur-dépendant. Pour cette raison l’arthro-IRM semble indispensable mais aujourd’hui son accessibilité reste délicate et son prix élevé.

Figure 5 – L’IRM sans et avec injection intraarticulaire de gadolinium permet d’analyser l’ensemble des structures articulaires et abarticulaires.

La stratégie est donc de demander un bilan radiographique standard suivi au moindre doute d’un examen tomodensitométrique. La scintigraphie peut être demandée si les précédents examens sont négatifs et que la suspicion d’une ostéochondrite reste importante. L’IRM sera alors plutôt demandée dans les cas difficiles.

Chez le jeune adolescent, le traitement médical domine et l’immobilisation plâtrée de 6 semaines minimum suivie d’un repos sportif conséquent de plus de 3 mois peuvent être indiqués dans l’espoir d’obtenir la fusion du noyau d’ossification. Chez les plus âgés, le traitement est adapté à l’intensité de la symptomatologie et à la gêne fonctionnelle occasionnée. En effet, l’abstention thérapeutique sera de mise lors de découverte fortuite chez des sujets sportifs ou non, la décompensation restant toujours possible en cas de nouveau traumatisme de la cheville. Le patient devra alors être informé de cette éventualité. Dans ce cas de figure, certains sportifs peuvent souhaiter un traitement chirurgical “préventif”. La discussion est alors ouverte. Si le noyau est séquestré et le cartilage fissuré, cette proposition thérapeutique s’impose. L’ablation du noyau sous arthroscopie sera réalisée, suivie d’une perforation simple du fond de la niche talienne (6, 7). Les résultats sont très souvent satisfaisants avec régularisation du dôme mais la reprise des activités sportives en charge est souvent repoussée tardivement au-delà du 6e mois. Les résultats sont plus aléatoires pour les chirurgies conventionnelles (avivement et ostéosynthèse par vis) justifiées lorsque le noyau est très volumineux. Enfin, le curetage avec comblement spongieux se justifie dans des lésions dystrophiques ou de nécrose partielle, généralement profondes (8). Il s’agit alors d’une entité différente de l’ostéochondrite disséquante de l’adolescent.

 

 

Conclusion

Parmi les lésions ostéochondrales du dôme astragalien, l’ostéochondrite vraie est l’apanage de l’adolescent. Pouvant rester longtemps asymptomatique, elle se révèle à distance de traumatismes souvent oubliés et/ou à la suite d’une hyper-sollicitation répétée de la cheville. Certains signes récurrents a priori bénins sont alors les seuls éléments avertisseurs. Il ne faut pas les négliger. La radiographie standard comparative s’impose donc, suivie au moindre doute de l’arthro-TDM toujours indispensable. L’attitude thérapeutique variera en fonction du niveau d’atteinte clinique. En cas de découverte fortuite, le sport n’est pas contre-indiqué mais le sportif doit être informé du potentiel d’aggravation. Dans les autres cas, l’âge, le niveau sportif, mais surtout la gêne clinique et le stade lésionnel, influenceront la décision entre traitement médical et intervention arthroscopique.

Ce qu’il faut retenir sur l’ostéochondrite disséquante du talus de l’adolescent.

• Elle est à différencier des lésions ostéochondrales dystrophiques ou nécrotiques de l’adulte jeune.

• La localisation est postéro-interne.

• La clinique est souvent pauvre.

• L’interrogatoire ne retrouve pas toujours un traumatisme de la cheville.

• Le bilan radiologique standard comparatif est systématique.

• L’arthro-TDM reste aujourd’hui encore l’examen de choix en attendant l’arthro-IRM.

• Le traitement est en premier lieu médical (immobilisation, décharge et repos sportif prolongé > 3 mois).

• L’arthroscopie est indiquée pour l’ablation du séquestre osseux associé à une perforation simple avec d’excellents résultats.

• La reprise sportive est alors possible au-delà du 6e mois.

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