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Cas clinique : une périostite très compliquée

Dr Jacques Pruvost (Athlétologue, Marseille)

Anne, adepte de la course à pied, se plaint de douleurs aux jambes.

Lors d’une consultation

Anne G., 30 ans, infirmière libérale et coureuse à pied licenciée en club d’athlétisme, vient consulter pour des douleurs de jambes évoluant depuis plus de 6 mois. Ces douleurs sont situées au niveau du tiers moyen des deux tibias et sont essentiellement déclenchées par la course à pied, mais elles sont aussi ressenties à la marche. Elles sont aggravées par les séances d’entraînement sur la piste, limitent la durée et la fréquence des entraînements et empêchent d’envisager une réelle programmation en vue de compétitions. L’examen clinique montre des douleurs « exquises » bien localisées à la pression des faces médiales des deux tibias.
Les traitements médicaux habituels (étirements des muscles de la jambe, travail d’équilibre, semelles orthopédiques pour diminuer la pronation, rééducation avec renforcement excentrique des muscles tibiaux postérieurs et antérieurs), mis en place depuis plusieurs mois, n’ont en rien fait évoluer favorablement la symptomatologie douloureuse.

A et B : coupe axiale en pondération T2 ; C : coupe sagittale en pondération T2. Flèche rouge : œdème périosté ; Flèche bleue : œdème osseux

Quiz 1 • Qu’en pensez-vous ?

Chez une coureuse à pied qui présente depuis plusieurs mois des douleurs des deux jambes associées à une importante gêne fonctionnelle, nous devons envisager :

A. Une périostite bilatérale

B. Une fracture de contrainte bilatérale

C. Une enthésopathie de l’insertion tibiale des muscles tibiaux postérieurs

Message cle n1

Chez les coureurs à pied, une périostite qui évolue défavorablement depuis plusieurs mois, alors que tous les traitements médicaux habituels ont été mis en place, doit être considérée jusqu’à preuve du contraire comme une fracture de contrainte. Plusieurs études prospectives ont montré que l’incidence des fractures de fatigue des membres inférieurs chez les coureurs à pied peut se situer entre 15 et 20 %. La fréquence des fractures de fatigue est toujours supérieure chez la femme, les raisons sont sans doute multifactorielles : biomécaniques, hormonales, nutritionnelles. Si pour Louis Aragon la femme est l’avenir de l’homme, pour les médecins du sport la femme qui pratique la course à pied est l’avenir des fractures de contrainte.

Réponse : B

Quiz 2 • Quelle imagerie demanderiez-vous ?

Pour préciser le niveau et le type de l’atteinte osseuse, vous appelez votre radiologue ressource pour qu’il organise :

A. Une radiographie standard des deux tibias

B. Une scintigraphie osseuse

C. Une IRM des deux tibias

Message cle n2

Chez cette sportive, l’IRM montre :

  • Au niveau du tiers proximal du tibia droit, une fracture de contrainte de la partie postérieure de la corticale de la diaphyse tibiale avec cal osseux en voie de formation associée à un œdème osseux médullaire. À la jonction métaphyso-diaphysaire, il existe une deuxième plage d’œdème osseux avec un œdème périosté associé, mais sans trait de fracture.
  • À la jonction du tiers moyen et du tiers distal du tibia gauche, des images d’œdème médullaire et d’œdème périosté sans trait de fracture visible.

L’IRM est l’examen de référence en cas de fracture de fatigue, car elle permet de réaliser un bilan précis des atteintes corticales et des atteintes trabéculaires, des fractures par distraction ou par compression. Merci de ne pas considérer l’IRM comme une « coquetterie » marseillaise, mais plutôt comme le meilleur élément pour pouvoir donner un diagnostic précis au sportif et le conseiller sur les délais de reprise des activités physiques.

Réponse : C

Quiz 3 • Quel délai de reprise de la course à pied recommanderiez-vous à cette patiente ?

Vous devez conseiller à la sportive d’arrêter la course à pied :

A. Pendant 1 mois

B. Pendant 3 mois

C. Pendant 6 mois

Message cle n3

Si les fractures du tibia sont moins à risque de complications que d’autres fractures comme celles du col fémoral ou de la patella par exemple, il n’en reste pas moins que les douleurs de jambe peuvent persister plusieurs années si les sportifs ne respectent pas les délais de cicatrisation. Il serait logique, dans un premier temps, de conseiller la mise en place d’une botte plâtrée et l’absence d’appuis pendant 6 semaines. Ceci est difficilement réalisable quand la fracture est bilatérale et que la patiente est infirmière libérale… La course à pied doit être absolument proscrite pendant au moins 3 mois. Cet arrêt prolongé n’est pas simple à imposer à un sportif ou à une sportive qui présente une addiction au mouvement et chez qui la course à pied est un plaisir inégalable. Il faudra pourtant que la sportive soit consciente des risques d’absence de guérison si les ondes de choc déclenchées par les impacts au sol persistent à agresser les structures osseuses tibiales. La négociation va donc être compliquée et, une fois encore, l’IRM sera un argument solide pour faire prendre conscience à la sportive de la gravité de l’atteinte osseuse. La reprise sur bicyclette pour entretenir la condition physique peut être recommandée à partir de 8 à 10 semaines d’arrêt de la course à pied.

Réponse : B

Lors d’une consultation 7 mois plus tard…

Anne n’a pu suspendre son activité professionnelle, mais a accepté de ne pas courir pendant 3 mois. Elle a repris ensuite l’entraînement, mais en diminuant le nombre (deux séances par semaine) et la durée des séances (45 minutes maximum par séance). Elle a arrêté de s’entraîner sur la piste et ne court que sur les chemins.
Pourtant, après 4 mois de reprise avec simplement deux séances de 45 minutes par semaine, la sportive vient consulter pour des sensations de jambes lourdes et de courbatures au niveau des deux mollets et de la face antérolatérale des deux jambes avec une prépondérance à droite. Ces douleurs ne perturbent pas l’entraînement, mais sont très gênantes le lendemain des séances. Elles sont aggravées par la marche, la descente des escaliers, s’accompagnent d’une sensation d’instabilité de cheville et limitent l’activité professionnelle. À l’examen, 3 jours après une séance de course à pied, la clinique est très pauvre, les douleurs osseuses à la pression de la face médiale des tibias ont totalement disparu.

Quiz 4 • Face à des douleurs persistantes, à quoi pensez-vous ?

Devant des douleurs musculaires à distance de l’exercice, vous devez envisager chez cette sportive :

A. Des courbatures induites par l’exercice ou Delayed Onset Muscle Soreness (DOMS)

B. Des pièges vasculaires du creux poplité

C. Une insuffisance veineuse chronique

D. Un syndrome de loge bilatéral

Message cle n4

Les causes de survenue d’une périostite ou d’une fracture de fatigue sont toujours mieux comprises. En France, médecins du sport et spécialistes de la biomécanique sont actuellement d’accord sur le fait que les facteurs favorisants sont plus clairs et insistent sur l’importance des éléments suivants : les forces créées à l’impact au sol, l’hyperpronation à la course, une flexion plantaire exagérée et une hyperrotation externe de la hanche. Pour les Anglo-saxons en revanche, les différences entre périostite, fracture de fatigue et syndrome de loge à l’exercice ne sont pas évidentes. De ce fait, ils préfèrent regrouper ces trois pathologies qu’ils considèrent comme intriquées sous le terme de « medial tibial stress syndrome ». Ce cas clinique montre bien que notre infirmière-coureuse à pied a commencé son périple traumatique par une périostite bilatérale qui s’est ensuite compliquée d’une fracture de fatigue des deux tibias puis est enfin apparu un syndrome de loge qui était probablement sous-jacent dès le début des symptômes douloureux.

Réponse : D

Ce qu'il faut savoir

La périostite, une pathologie complexe qui guérit presque toujours avec des solutions simples et connues.
En cas de périostite, dans la grande majorité des cas, les coureurs ne viennent pas consulter les médecins du sport. Les simples conseils donnés par les entraîneurs, les autres coureurs ou les articles sur Internet suffisent très souvent à faire disparaître les phénomènes douloureux. Un changement de chaussure, un changement de mode d’entraînement (durée, fréquence, intensité), un changement des surfaces d’entraînement, les étirements des muscles de la jambe, le glaçage de la zone douloureuse après chaque sortie, les pansements à base d’argile ou d’anti-inflammatoires et le port de chaussettes ou de manchons de contention sont des solutions connues des coureurs à pied et qui permettent le plus souvent de faire disparaitre la symptomatologie douloureuse.

Pour toute pathologie complexe, il y a des solutions simples, connues et fausses…
Devant un coureur à pied qui consulte le médecin du sport pour des douleurs de jambe évoluant depuis plusieurs mois, nous devons d’emblée envisager les causes les plus redoutables : fracture de fatigue et syndrome de loge à l’exercice. En cas de syndrome de loge avéré par la prise des pressions intramusculaires au repos et à l’exercice, le traitement est chirurgical. Ce geste chirurgical est très lourd puisque la technique recommandée par W. Turnipseed, leader internationalement reconnu de la chirurgie des syndromes de loge à l’effort, associe trois niveaux d’intervention : une phlébolyse complète de tous les éléments compressifs du creux poplité, une résection proximale du plantaire grêle, une aponévrectomie étendue des trois aponévroses de la jambe.

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