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Cas clinique : une instabilité douloureuse de cheville…

Dr Romain Rousseau (Chirurgien du sport, Paris) , Dr Pierre-Emmanuel Moreau (Chirurgien orthopédique, Paris)

Dossier médical

Il s’agit d’une patiente de 41 ans, ancienne basketteuse de niveau régional, présentant des épisodes d’entorse de cheville à répétition. Le premier épisode a eu lieu il y a une vingtaine d’années et avait nécessité un traitement fonctionnel. Les comptes-rendus de suivi médical de l’époque concluaient à une entorse bénigne du ligament collatéral latéral. Par la suite, la patiente présentait des épisodes d’entorse récidivants tous les 3 à 6 mois l’obligeant à jouer avec un strapping en permanence. Elle a arrêté la compétition il y a 8 ans et continue un entretien physique hebdomadaire en salle de fitness et en course à pied. Par la suite, les épisodes traumatiques ont été de plus en plus rares, mais elle a toujours gardé une appréhension et la sensation de devoir en permanence « contrôler » sa cheville. Elle ne présente pas d’antécédents médicaux et consulte devant l’apparition de douleurs apparues progressivement il y a 3 ans. Depuis, elle a l’impression que sa cheville devient à nouveau instable avec un épisode d’entorse il y a 6 mois pour lequel elle a effectué une dizaine de séances de rééducation axées sur un travail proprioceptif. Elle est actuellement gênée dans la vie quotidienne avec un fond douloureux quasi permanent diurne et nocturne et une instabilité. Le périmètre de marche reste illimité.

Quiz 1 D’après les données de l’interrogatoire, quels diagnostics évoquez-vous parmi ces propositions ?

A. Une instabilité latérale  chronique de cheville isolée sur séquelle d’entorse

B. Une instabilité latérale de cheville compliquée d’arthrose talo-crurale post-traumatique

C. Une instabilité latérale de cheville compliquée d’une lésion ostéochondrale du dôme talien (LODA)

Message cle n1

La patiente présente une longue histoire traumatique au niveau de sa cheville avec une instabilité résiduelle liée à une probable incompétence de son ligament collatéral latéral. Toutefois, le caractère douloureux présent actuellement en dehors de tout épisode d’entorse fait évoquer des lésions chondrales sous-jacentes. L’instabilité chronique est à l’origine de l’arthrose post-traumatique. Il peut également s’agir d’une lésion ostéochondrale du dôme talien, à évoquer de principe devant la persistance des douleurs après cet ultime épisode d’entorse il y a 6 mois. Une instabilité chronique entraîne un inconfort articulaire et des sensations d’entorse, mais n’est pas douloureuse.

Données de l’examen physique :
L’examen physique retrouve des mobilités en flexion et extension symétriques et indolores. On ne retrouve pas d’épanchement talocrurale. En charge, l’arrière pied est en léger pied plat valgus. Il existe un empâtement douloureux rétromalléolaire externe. La palpation du faisceau antérieur du ligament collatéral latéral est sensible jusqu’en pointe de malléole. La contraction contrariée des fibulaires ne majore pas la douleur et il n’existe pas de luxation des tendons fibulaires. L’articulation sous-talienne est libre. On retrouve une laxité en varus et un tiroir antérieur talo-crural asymétrique comparativement au côté opposé.

Réponses :  B et C

Quiz 2 Quelles imageries demanderiez-vous à ce stade ?

A. Une radiographie en charge de la cheville de face et de profil

B. Des clichés radiographiques dynamiques bilatéraux et comparatifs et en tiroir antérieur

C. Un arthroscanner de l’articulation talo-crurale

D. Une IRM de la cheville

Message cle n2

La radiographie standard est indispensable à ce stade pour objectiver un pincement articulaire et rechercher des signes d’arthroses ou de lésions sous-chondrales. Les clichés dynamiques permettront de confirmer la laxité différentielle entre les 2 chevilles et sont nécessaires avant toute intervention chirurgicale de stabilisation. L’IRM est intéressante pour confirmer les lésions ligamentaires et repérer d’éventuelles zones de souffrance cartilagineuse. Dans ce cas, l’IRM permet également d’explorer les douleurs rétromalléolaires externes et notamment de rechercher une tendinopathie des tendons fibulaires. L’arthroscanner pourrait être intéressant si on y couple une infiltration intra-articulaire de corticoïdes à titre diagnostique et thérapeutique. Par ailleurs, c’est l’examen de choix pour caractériser les lésions ostéochondrales du dôme talien. Toutefois, cet examen reste invasif et irradiant et dans ce cas, il est intéressant en 2e intention.

Données de l’imagerie (Fig. 1 à 3) :
Le bilan d’imagerie retrouve l’absence de pincement articulaire. Les clichés en varus montrent une différentielle de 12° (une laxité est considérée comme significative lorsque les varus différentiels sont > 10° et les tiroirs antérieurs différentiels sont > 8 mm). L’IRM confirme l’absence de lésion ostéochondrale et confirme l’absence de ligament tibio-fibulaire antérieur et un aspect épaissi du ligament calcanéo-fibulaire.
Le compte-rendu IRM notifie par ailleurs un épaississement de la gaine des fibulaires avec signal hétérogène en T1 et infiltration autour des tendons sans spécificité. Les tendons fibulaires ne présentent pas de lésions. Devant cet aspect IRM, une échographie complémentaire est réalisée et conclut à une ténosynovite sans lésions tendineuses des fibulaires avec infiltration d’allure tissulaire de la gaine des tendons.

Réponses : A, B et D

Figure 1

Figure 2

Figure 3

Proposition thérapeutique

En raison de l’instabilité douloureuse chronique et de l’absence de lésion cartilagineuse, le dossier a été discuté en staff médico-chirurgical avec relecture complète de l’imagerie par des radiologues rompus à la radio ostéo-articulaire. Malgré le caractère aspécifique de l’infiltration de la gaine des fibulaires, le diagnostic de synovite villonodulaire de la gaine synoviale a été évoqué et l’option d’un traitement chirurgical par biopsie exérèse a été retenue, associée à une ligamentoplastie du plan externe par technique d’Hémi Castaing utilisant un demi court fibulaire suturé à lui-même et passant dans la malléole externe. En peropératoire, la gaine des fibulaires était bombante et son incision retrouvait un tissu mou hématique et diffus. Les tendons fibulaires étaient sains. L’analyse anatomo-pathologique confirmait le diagnostic de synovite villonodulaire de la gaine synoviale.

Ce qu'il faut savoir

L’instabilité chronique de cheville n’est classiquement pas douloureuse en dehors des épisodes d’entorse. Une douleur persistante après entorse aiguë doit faire suspecter une lésion ostéochondrale du dôme talien associée (?). L’examen de choix pour l’exploration de ces lésions ostéochondrales est l’arthroscanner. Une évolution douloureuse chronique à distance d’épisodes récidivants d’entorse de cheville oriente vers une arthrose post-traumatique et le traitement chirurgical de stabilisation n’aura que peu d’effet sur les douleurs. Lorsque l’instabilité devient douloureuse, toujours évoquer l’état du cartilage.

La synovite villonodulaire de la gaine synoviale et les tumeurs à cellules géantes des gaines sont apparentées. Cette pathologie est relativement rare et touche plus volontiers la femme de 30 à 40 ans. La localisation la plus fréquente reste les tendons fléchisseurs des doigts. Dans les formes typiques, l’IRM permet le diagnostic en retrouvant un hyposignal en T1 et en T2 en présence de dépôts d’hémosidérine. Le traitement est chirurgical et consiste en une exérèse exhaustive. La transformation maligne est exceptionnelle et la récidive locale n’est pas rare.

Pour cette patiente, le premier piège était la démarche diagnostique devant une instabilité douloureuse de cheville. Par ailleurs, la douleur rétromalléolaire externe et l’empâtement de cette région sont atypiques dans ce contexte et nous ont alertés sur le caractère singulier de ce dossier. Enfin, ces signes pouvaient également orienter vers une luxation chronique des tendons des fibulaires pouvant se présenter sous cette forme et être éliminée par un examen clinique orienté.

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