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Espérance de vie des athlètes français d’élite : les leçons des JO et du Tour de France

Il n’est pas nécessaire de rappeler, surtout dans ce journal, les bénéfices de l’exercice physique. Ses bienfaits ont été maintes fois confirmés sur des cohortes importantes et portent sur de très nombreux secteurs de la médecine et, en particulier, sur la plupart des maladies chroniques non transmissibles associées à l’âge (1). La longévité des athlètes est, en revanche, un sujet plus controversé, même récemment, et l’opinion la plus répandue est que la courbe de la mortalité en fonction de l’intensité de l’effort physique est une courbe en U (2). La mortalité est plus élevée chez les sédentaires, mais il suffit d’une demi-heure par jour de jogging pour que la courbe décolle. Les bénéfices ne portent pas seulement sur la mortalité coronarienne, mais aussi sur la fibrillation atriale et, ce qui est souvent moins connu, les cancers ou même certaines maladies neurodégénératives.

Mais chez les actifs, voire les actifs… extrêmes, c’est-à-dire les grands athlètes comme nos champions olympiques, qu’en est-il ? Beaucoup soulignent le fait que des efforts excessifs peuvent mettre en évidence des affections sous-jacentes, des arythmies graves ou des maladies coronariennes silencieuses, en particulier chez les jeunes (3). D’autres font état de séries d’athlètes de compétition, comme la cohorte de 15 000 athlètes olympiques de Clarke et al. (4), dont la longévité paraît bien supérieure à celle du commun des mortels, mais sans que l’on sache dans quel groupe d’affections se situe l’amélioration de la durée de vie. Qu’en est-il ? Cette longévité peut-elle être attribuée au seul exercice ou au mode de vie de ces athlètes habitués depuis toujours à une alimentation équilibrée et au jogging matinal ? La chose n’est pas claire.

Le cœur des athlètes

Le cœur d’athlète est une identité clinique connue depuis longtemps, et ses spécificités sont bien documentées, en particulier depuis le travail de référence de Maron (3, 5). On entend par là que le myocarde des athlètes, surtout ceux qui pratiquent un sport d’endurance – ski de fond, marathon… – est modifié à la fois structurellement et fonctionnellement. Le remodelage myocardique y est généralement qualifié de “physiologique”… avec précaution, ce terme étant souvent utilisé de façon ambiguë par opposition à “pathologique” (6). L’hypertrophie et l’augmentation de l’épaisseur de la paroi ventriculaire sont associées à une dilatation des cavités, y compris le ventricule droit et l’oreillette gauche. Néanmoins, “la possibilité que la persistance d’un remodelage extrême après un entraînement prolongé et intensif puisse à la fin avoir des conséquences cardiovasculaires chez certains athlètes est peut-être improbable, mais, au stade où nous en sommes, ne peut être exclue” (3). La fréquence et la gravité des troubles du rythme, en particulier lors de l’entraînement, sont elles-mêmes bien documentées. La fréquence est très variable selon le type de sport pratiqué (3, 5). Les morts subites sur le terrain de jeunes athlètes en compétition et leur étiologie sont également bien connues, mais elles peuvent ne pas être d’origine cardiaque (5).

La toute récente thèse de Juliana Antero-Jacquemin, menée à l’Institut de recherches biomédicales et d’épidémiologie du sport (Irmes, la filiale recherche de l’Insep, dont le directeur est Jean-François Toussaint), apporte des éléments décisifs dans ce débat (7, 8).

L’espérance de vie des athlètes olympiques

L’outil de base utilisé par l’auteur est une cohorte de 2 814 athlètes olympiques français (de 1912 à 2012 ; dont 455 décès). Ce travail est le seul du genre à avoir analysé la mortalité selon le type d’effort et selon les causes de décès. Il en ressort deux données capitales et originales. Les JO incluent 448 disciplines différentes, et les événements sportifs peuvent y être classés en six catégories selon la durée de l’effort continu (D en secondes ) en compétition :

  1. puissance (D < 45 s ; 15 %) ;
  2. intermédiaire (45 s < D < 600 s ; 28 %) ;
  3. endurance (D > 600 s ; 9 %) ;
  4. polyvalent (par exemple le décathlon ; 9 %) ;
  5. intermittent (effort discontinu, comme dans les sports d’équipe ; 32 %) ;
  6. précision (épreuves avec dépenses énergétiques faibles, comme le tir ou le tir à l’arc ; 3 % ; mais ce groupe est trop restreint pour permettre une évaluation utilisable).

Les bénéfices santé de ces différentes disciplines ont, pour la première fois, été évalués. La première évidence est que, quelle que soit la discipline, la durée de vie de tous ces athlètes est plus élevée que celle de la population générale. Ces athlètes vivent en moyenne 6,9 années de plus. En revanche, l’amélioration de la mortalité d’origine cardiovasculaire semble être assez sélective selon le type de compétition envisagée. Elle est indiscutable pour les disciplines intermédiaire, polyvalente (décathlon) et intermittente (sports d’équipe), mais la mortalité cardiovasculaire est moins affectée dans les disciplines de type puissance, et reste inchangée dans le groupe dit endurance. Les sports d’endurance type marathon ou course de longue distance sont en effet des sports très intensifs et il a souvent été suggéré que ce type de sport pouvait à long terme entraîner une fibrillation atriale et avoir parfois d’autres incidences cardiovasculaires (9). Une seconde évidence est plus inattendue : la mortalité due aux cancers est significativement plus faible chez tous ces athlètes, et ce, quelle que soit la discipline.

Cancer et exercice

Cancers et infarctus du myocarde ont au moins cinq facteurs de risque en commun : la surcharge pondérale, le tabac, la sédentarité, la faible consommation de fruits et légumes, la consommation d’alcool et la pauvreté. Les liens forts entre l’exercice et/ou l’hygiène de vie et la cancérogenèse sont très bien documentés (16-20). Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls facteurs de risque, et de loin, qui soient communs au cancer et aux maladies cardiovasculaires. L’exemple fourni par les actions communes de l’American Heart Association et de l’American Society for Cancer n’a malheureusement pas d’équivalent à l’échelle française ou européenne.

Tous les athlètes masculins gagnent en moyenne 2,2 années en ce qui concerne la seule mortalité d’origine cancéreuse. Chez l’homme aussi, d’autres causes de mortalité, dues aux maladies mentales, respiratoires, endocriniennes, nutritionnelles ou digestives, sont aussi significativement affectées. En d’autres termes, ces athlètes vivent plus longtemps parce qu’ils sont globalement moins malades, quel que soit le secteur morbide concerné. L’activité physique et le mode de vie sont clairement concernés tous les deux. L’absence de résultats significatifs chez les femmes est très probablement due à leur plus faible nombre (n = 601, pour n = 1 892 chez les hommes), mais bien que non significatifs, les résultats chez les femmes vont dans le même sens.

Ces résultats ont été confirmés par une étude finlandaise. Lorsque l’on compare l’incidence du cancer chez 2 448 athlètes d’élite (coureurs de marathon ou sauteurs) à celle de la population finlandaise, elle est très significativement plus faible (rapport de l’incidence des cas observés/cas prévus [SIR] = 0,89). Le lien avec l’hygiène de vie et, bien évidemment, l’absence de tabagisme jouent un rôle important. Pour les cancers du poumon, le SIR augmente significativement lorsqu’il est ajusté pour le tabac (SIR = 33/82), mais l’incidence est également très faible pour les cancers du rein (SIR = 4/17) (10).

L’espérance de vie des autres athlètes de haut niveau

Deux autres études centrées sur des sports plus précis confirment l’essentiel de ces conclusions.

  • L’une qui porte sur l’élite de l’aviron français, avec un siècle de suivi, montre que les rameurs vivent également plus longtemps, mais ceci n’est dû qu’à la seule réduction de la mortalité cardiovasculaire (8).
  • Les coureurs français du Tour de France, malgré tous les accidents de la route et le dopage souvent évoqué, améliorent, eux aussi, leur durée de vie et gagnent en moyenne 6,3 années de vie par rapport à la population de référence. Cette longévité est due à une réduction de la mortalité de pratiquement toutes les causes de mortalité, cancers et maladies cardiovasculaires, bien évidemment, mais aussi maladies respiratoires et digestives (11).

Dopage, mode de vie et hérédité

Le dopage

Un des poisons et tainted glorydoping (12) des JO et du Tour de France, le dopage pose bien entendu un problème éthique résumé, par exemple, dans deux éditoriaux, l’un du New England Journal of Medicine (12), l’autre dans Nature (13). Il est, pour le moment, impossible d’en apprécier la portée médicale réelle pour des raisons qui n’ont rien de scientifique, l’actualité en fait état tous les mois, mais surtout du fait de la multiplicité des formes de dopage et, de ce fait, de l’absence d’études extensives. Ce que l’on peut dire, c’est que courir le Tour de France, dont la réputation en matière de dopage n’est malheureusement plus à faire, n’affecte pas en moins la durée de vie.

Le mode de vie

Il est certain que les anciens athlètes continuent, en moyenne, à avoir une meilleure hygiène de vie que l’ensemble de la population. Une autre étude, finlandaise aussi, analyse cette relation en détail, à partir d’un questionnaire. La majorité des athlètes se considère comme étant en meilleure santé, même tard, que ne le font les référents, ils sont toujours en pleine forme physique et pratiquent beaucoup plus souvent un sport, ne consomment pas d’alcool, mais continuent à fumer (14).

L’hérédité

On a parfois du mal à l’imaginer, mais il est évident qu’être un athlète olympique est, dans une certaine mesure, héréditaire. Ainsi, 27 % des Français sont hétérozygotes pour une mutation sur le gène de l’hémochromatose HFE qui code une protéine impliquée dans l’homéostasie du fer, et donc du transport de l’oxygène, dans l’organisme. Mais 80 % des athlètes ayant gagné une compétition internationale d’aviron, de ski nordique ou de judo ont une mutation sur l’un des allèles d’HFE (15). On sait aussi que les capacités physiques dépendent beaucoup de certains traits comme la taille qui sont eux aussi fortement héritables. L’héritabilité de la médaille olympique a été démontrée dans cette thèse : un participant aux JO qui a dans sa famille un médaillé olympique a deux fois plus de chances d’être lui-même médaillé que s’il n’a aucune parenté médaillée. La probabilité est même plus élevée en cas de fratrie, et atteint les 80 % chez des jumeaux.

 Bernard Swynghedauw

Bibliographie

  1. Swynghedauw B. L’exercice physique, seul traitement validé du vieillissement. Évidence. Limites. Mécanismes. Revue de Gériatrie 2009 ; 34 : 209.
  2. Merghani A, Malhotra A, Sharma S. The U-shaped relationship between exercise and cardiac morbidity. Trends Cardiovasc Med 2016 ; 26 : 232-40.
  3. Maron BJ, Pelliccia A. The heart of trained athletes: Cardiac remodeling and the risks of sports, including sudden deaths. Circulation 2006 ; 114 : 1633-44.
  4. Clarke PM, Walter SJ, Hayen A et al. Survival of the fittest: retrospective cohort study of the longevity of Olympic medalists in the modern era. BMJ 2012 ; 345 : e8308.
  5. Maron BJ. Sudden death in young athletes. N Eng J Med 2003 ; 349 : 1064.
  6. Swynghedauw B. Evolutionary paradigms in cardiology: heart failure In evolutionary thinking in medicine: from research to policy and practice. Alvergne A, Faure C eds. Springer pub. In press 2016.
  7. Antero-Jacquemin J, Rey G, Marc A et al. Mortality in female and male French Olympians: a 1948-2013 cohort study. Am J Sports Med 2015 ; 43 : 1505-12.
  8. Antero-Jacquemin J, Desgorces FD, Dor F et al. Row for your life: a century of mortality follow-up of French Olympic rowers. PLOS One 2014 ;9 : e113362.
  9. Abdulla J, Nielsen JR. Is the risk of atrial fibrillation higher in athletes than in the general population? A systematic review and metaanalysis. Europace 2009 ; 11 : 1156-9.
  10. Sormunen J, Bäckmand HM, Sarna S et al. Lifetime physical activity and cancer incidence – a cohort study of male former elite athletes in Finland. J Sci Med Sport 2014 ; 17 : 479-84.
  11. Marijon E, Tafflet M, Antero-Jacquemin J et al. Mortality of French participants in the Tour de France (1947-2012). Eur Heart J 2013 ; 34 : 3145-50.
  12. Noakes TD. Tainted glory-doping and athletic performance. N Engl J Med 2004 ; 351 : 847-9.
  13. Callaway E. Sports doping: Racing just to keep up. Nature 2011 ; 475 : 283-5.
  14. Bäckmand H, Kujala U, Sarna S, Kaprio J. Former athletes’ healthrelated lifestyle behaviours and self-rated health in late adulthood. Int J Sports Med 2010 ; 31 : 751-8.
  15. Hermine O, Dine G, Genty V et al. Eighty percent of French sport winners in Olympic, World and Europeans competitions have mutations in the hemochromatosis HFE gene. Biochimie 2015 ; 119 : 1-5.
  16. Galvão DA, Newton RU. Review of reserve intervention studies in cancer patients. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 899-909.
  17. Renehan AG, Howell A. Preventing cancer, cardiovascular disease, and diabetes. Lancet 2005 ; 365 : 1449-51.
  18. Rockhill B, Willett WC, Hunter DJ et al. A prospective study of recreational physical activity and breast cancer risk. Arch Int Med 1999 ; 159 : 2290-6.
  19. Thune I, Furberg AS. Physical activity and cancer risk: dose-response and cancer all-sites and site-specific. Med Sci Sports Exerc 2001 ; 33 : S530-50.
  20. Wannamethee SG, Shaper AG, Macfarlane PW. Heart rate, physical activity, and mortality from cancer and other non cardiovascular diseases. Am J Epidemiol 1993 ; 137 : 735-48.

Pour en savoir plus

  • Antero-Jacquemin J et al. The heritability of an Olympic medal: a population-based study on Olympians from the Games of 1896 up to 2012. Malmö: 2015. doi:http://www.ecss2006.com/asp/ongress/ ScPro1AbstractText.asp?MyAbstractID=1911.
  • Booth FW, Gordon SE, Carlson CJ, Hamilton MT. Waging war on modern chronic diseases: primary prevention through exercise biology. J Appl Physiol 2000 ; 88 : 774-87.
  • Handschin C, Spiegelman BM. The role of exercise and PGC1alpha in inflammation and chronic disease. Nature 2008 ; 454 : 463-9.
  • Wen CP, Wai JP, Tsai MK et al. Minimum amount of physical activity for reduced mortality and extended life expectancy: a prospective cohort study. Lancet 2011 ; 378 : 1244-53.

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