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La course à pied en chaussures minimalistes : se rapprocher de la course pieds nus

Philippe Le Tilly (Masseur-Kinésithérapeute D.E., Marseille)

INTRODUCTION

Le “sport-santé”

Jusque dans les années 1970, lorsque le sportif amateur faisait du sport, il pratiquait “son sport” : le tennisman jouait au tennis, le footballeur jouait au football, etc. À partir de 1970 apparaît sur la côte ouest des États-Unis le concept de “sport-santé”, tout le monde se met à courir : les sportifs amateurs pour améliorer leur capacité cardio-respiratoire, les non-sportifs pour perdre du poids et d’une manière plus générale être en bonne santé.

Des chaussures innovantes

Les équipementiers sportifs, qui jusqu’alors fabriquaient des chaussures spécifiques à chaque sport, flairent un nouveau marché et se lancent dans la fabrication de chaussures de running avec comme principale philosophie le confort. Ils fabriquent donc des chaussures extrêmement confortables avec comme principales caractéristiques : un gros talon amortisseur et des semelles qui épousent la voute plantaire.
Dès lors, toutes les innovations tourneront autour de l’idée qu’il faut aider le pied à supporter les énormes contraintes liées à cette succession de “sauts d’un pied sur l’autre”. Les uns utilisant du gel, les autres de l’air, d’autres enfin des barres de torsion dans le but de protéger le pied des déformations qui apparaissent en son sein lors de la phase d’appuis.

Des pieds nus aux chaussures minimalistes

À partir des années 2000, toujours aux États-Unis, commencent à apparaître quelques sportifs amateurs courant pieds nus. Le mouvement prend rapidement de l’ampleur.
Les équipementiers sportifs, flairant l’opportunité de (re)séduire un public qu’ils étaient en train de perdre, se lancent dans la fabrication de chaussures répondant à cette double contrainte : protéger le pied des agressions du sol (abrasion, coupures, etc.), et libérer le pied du cocon confortable dans lequel il évoluait depuis deux décennies.
La chaussure minimaliste est née, elle se caractérise par :
• un drop nul (pas de pente entre le talon et les orteils),
• une semelle extrêmement fine,
• la plus grande liberté possible pour la cheville, le pied, et les orteils.

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Dès la fin des années 1990, deux grandes démarches vont apporter un nouvel éclairage sur la course à pied, sa biomécanique et les blessures qui peuvent en résulter.

Une démarche empirique

Christopher Mc Dougall, auteur et journaliste américain, court très régulièrement et, comme beaucoup de ses partenaires de running, il est souvent blessé.
Au cours d’un reportage dans le nord du Mexique, il découvre les Tarahumara. Ce peuple est réputé pour sa capacité à courir longtemps, pour subvenir à ses besoins essentiels, mais aussi pour son plaisir. Par ailleurs ses habitants, pauvres, ne disposent évidemment pas d’accès aux magasins de sport, que nous pouvons trouver dans nos régions, et courent pieds nus ou avec de fines sandales qu’ils fabriquent eux-mêmes.
Le plus étonnant est que les Tarahumara ne présentent aucune des blessures auxquelles le journaliste est abonné, et ce malgré un volume d’entraînement considérablement plus important.

Mc Dougall se passionne pour ce peuple et son mode de vie. En 2009 ,il publie Born to run (1). Le livre est immédiatement un succès aux États-Unis, où beaucoup de coureurs à pied se reconnaissent dans la démarche du journaliste. Le livre sera traduit en français en 2012 et connaîtra chez nous le même succès.

Dès lors, on voit apparaître dans les stades, parcs et bords de route des coureurs pieds nus.

Une démarche scientifique

À la fin des années 1990, quelques scientifiques commencent à utiliser leurs laboratoires pour étudier plus finement la biomécanique de la course à pied telle qu’elle est pratiquée habituellement dans nos régions, c’est-à-dire avec des chaussures amortissantes.
Les premiers résultats commencent à arriver et les conclusions sont particulièrement étonnantes :
• Roblin en 1991 (2) et 1997 (3) dans le British Journal of Sport Medecine : “Plus la chaussure est chère et plus il y a de blessures”.
• Craig Richard en 2009 (4) dans le British Journal of Sport Medecine : “Il n’existe aucune étude montrant un lien entre l’utilisation de chaussures hyper amortissantes et une augmentation de la performance ou une diminution des blessures”.
• Daniel Lieberman dirige le Skeletal Biology Lab dans le Department of Human Evolutionary Biology de l’Université de Harvard, son domaine de prédilection est l’évolution du corps humain.
Il pratique lui-même la course à pied et va se passionner pour la course barefoot, c’est-à-dire pieds nus. En 2010, il publie dans Nature une étude intitulée Foot strike patterns and collision forces in habitually barefoot versus shod runner (5). Il y fait une étude comparative très précise des impacts sur les membres inférieurs lors de la course avec chaussures et de la course pieds nus.

LES COURSES

La course avec chaussures (Fig. 1)

• Le premier contact du pied au sol se fait par le talon.
• Le talon se trouve à ce moment-là en avant du centre de gravité.
• Le genou est en extension.
• On note une réponse très rapide du sol.

Figure 1 – La courbe traduit la réponse du sol lors des différentes phases de la foulée lors d’une course avec chaussures (5).

La course pieds nus (Fig. 2)

• Le premier contact du pied au sol se fait par le médio-pied.
• Le médio-pied se trouve à ce moment-là sous le centre de gravité.
• Le genou est légèrement fléchi.
• La réponse du sol est plus douce.

Figure 2 – La courbe traduit la réponse du sol lors des différentes
phases de la foulée lors d’une course pieds nus (5).

COMMENT ÇA MARCHE ?

On parlera désormais de course à pied avec attaque talon, qui concerne 80 % des pratiquants et de course à pied avec attaque médio-pied qui concerne elle 20 % des coureurs.
Lors de la course avec attaque médio-pied, la réponse du sol est plus douce et il semble logique de penser que cette foulée soit moins génératrice de pathologies ostéoarticulaires et musculo-tendineuses tout au moins.
Tout se passe comme si le corps, n’ayant plus d’amortisseurs extrinsèques, devait retrouver ses propres capacités d’amortissement, à savoir : flexion plantaire dorsale de la cheville et flexion extension du genou pour l’essentiel. Le coureur retrouve alors une foulée plus naturelle, plus légère et plus dynamique.

LA PRUDENCE EST DE MISE

Respecter une progression

Il convient toutefois de rester extrêmement prudent et de ne pas conseiller à tous les coureurs de pratiquer du jour au lendemain la course avec attaque médio-pied, c’est-à-dire pieds nus ou en chaussures minimalistes.
Des pathologies de surmenage du système suro-achiléo-plantaire feraient, a minima, immédiatement leur apparition.
Il faut absolument respecter une progression, à la fois sur les temps de course et sur le type de chaussure minimaliste : commencer avec un drop faible mais existant pour finir éventuellement avec un drop nul. Une chaussure traditionnelle présente le plus souvent un drop de 12 mm, une chaussure peut être considérée comme minimaliste à partir de 4 mm. On trouve maintenant dans le commerce toute une gamme de chaussures présentant des drops intermédiaires : 8 mm et 6 mm.

Se faire conseiller

Le coureur, séduit par l’aspect naturel de cette nouvelle approche et désirant “se mettre au minimalisme” doit impérativement se faire conseiller par un professionnel du running (podologue du sport ou vendeur spécialisé) qui seul saura adapter la nouvelle chaussure au sportif. Il pourra aussi se rapprocher d’un club de sport dédié où il pourra trouver des conseils pour modifier progressivement sa foulée : raccourcir la longueur du pas, augmenter la fréquence…

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