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La mésothérapie : quelle place en traumatologie du sport ?

Dr Laurent Winkler - Centre d'investigation en médecine du sport, Hôtel-Dieu de Paris et service médical, Insep

Dans un contexte global de défiance vis-à-vis de la médecine moderne traditionnelle et sous l’influence culturelle mondiale, les sportifs français se tournent de plus en plus vers les médecines alternatives complémentaires. Il n’y a qu’à voir fleurir les bandes multicolores de K-taping et les traces de ventouses (cupping therapy) sur la peau de nos plus célèbres sportifs français. Tout comme l’ostéopathie, l’acupuncture et l’homéopathie, la mésothérapie fait partie de ces médecines alternatives complémentaires reconnues par l’Ordre des médecins. Cette thérapeutique a su s’imposer progressivement et fait désormais partie des pratiques incontournables dans l’arsenal thérapeutique des staffs médicaux (1).

La mésothérapie

Principe

Inventée dans les années 50 par un médecin français du nom de Pistor, la mésothérapie consiste en l’injection loco dolenti et/ou au niveau de trigger points par voie intra-épidermique et intra-dermique superficielle ou profonde (de 1 à 13 mm) de mélanges de produits pharmaceutiques (2 ou 3 maximum) ayant l’AMM en France : décontracturants, anti-oedémateux, anti-inflammatoires, vasodilatateurs, calcitonine, complexes polyvitaminiques… (2). Les injections sont réalisées manuellement ou à l’aide d’une seringue montée sur un injecteur électronique permettant de contrôler profondeur et débit avec des aiguilles de 4 ou 13 mm. L’étude pharmacologique des injections intra- dermiques permet de constater que la diffusion des produits médicamenteux dans les tissus sousjacents est plus lente et que les niveaux de concentration sont plus élevés dans le temps qu’au cours d’injections plus profondes comme les injections intramusculaires (3).

Indications

Cette thérapeutique s’adresse en priorité au traitement des douleurs de l’appareil locomoteur : arthropathies, lombalgies, névralgies, douleurs tendineuses, ligamentaires et musculaires. Il existe en France un diplôme inter-universitaire (DIU) de mésothérapie accessible exclusivement aux docteurs en médecine. Aux yeux des médecins du sport, l’image de la mésothérapie est brouillée par son usage à des fins esthétiques et dermatologiques comme le traitement de l’alopécie, la réduction de graisse locale et de cellulite, et ses supposés effets antiâge (4).

Effets indésirables

Alors que le Dr Pistor publiait son premier article sur la mésothérapie en 1958 et créait la Société française de mésothérapie en 1964 (5), une soixantaine d’année plus tard, la littérature scientifique concernant la mésothérapie reste très pauvre (seulement 226 articles sont référencés actuellement sur Pubmed), dominée par son bras esthétique et dermatologique, mais aussi par ses effets secondaires. Ces derniers sont pourtant limités par les faibles doses de produits administrées et par le respect des règles d’asepsie conventionnelles. On constate néanmoins des séries d’infections graves à mycobactéries et de très rares cas d’arthrites septiques (6-8). Par ailleurs, les injections de plusieurs mélanges de produits pharmaceutiques répétées dans le temps augmentent les risques allergiques et les effets indésirables cutanés locaux. Dans une étude multicentrique menée sur 2 839 observations et appelée ENATOME 1, utilisant un anesthésique local, deux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), un myorelaxant, un antalgique, le Dr Le Coz ne mettait en évidence aucun choc anaphylactique, ni aucun choc vagal. Les réactions locales (douleurs, hématome, prurit, induration, érythème) n’excédaient pas les 10 % et avaient tendance à diminuer au fil des séances (2). L’étude ENATOME 2 permettait quant à elle de démontrer que les effets indésirables étaient sensiblement majorés (jusqu’à 15 % de réactions locales) chez les patients traités par voie générale en parallèle de la mésothérapie. Le versant positif de cet état de fait est qu’il existe un effet potentialisant de la mésothérapie par les thérapies médicamenteuses orales (9).

Stabilité pharmacologique des mélanges

À l’instar des errances méthodologiques qui émaillent actuellement le développement des PRP (platelet rich plasma), les associations de produits pharmaceutiques qui constituent la mésothérapie restent empiriques. Quelle est la stabilité pharmacologique de chacun des mélanges proposés ? En 2011, le Dr Blondel montre que la stabilité pharmacologique d’une des associations les plus fréquemment utilisées en médecine du sport, anesthésique local + AINS + myorelaxant, n’excède pas les 5 minutes à température ambiante. La dégradation physicochimique des produits pharmaceutiques débute dès l’ouverture de l’ampoule et est accélérée par le mélange des produits (10). Il rappelle ainsi que l’utilisation d’une ampoule ouverte pour la consultation suivante est à proscrire et que la préparation du mélange doit intervenir entre les deux temps de désinfection cutanée.

Supériorité par rapport au gold standard ?

La littérature française, incarnée par les Annales de réadaptation et de médecine physique, ne permet de recenser aucun article de haut niveau de preuve. Il faut admettre que la réalisation d’études randomisées en double aveugle contre placebo reste une gageure quand il s’agit de comparer un traitement à de multiples injections locales. Chacun des articles originaux sur le sujet s’attèle à prouver que l’utilisation de la mésothérapie sur les pathologies ostéo-articulaires est associée à des effets positifs, avec une balance bénéfice/risque toujours favorable. Mais, aucune des études françaises ne démontre de supériorité par rapport à un traitement gold standard dans des conditions de haut niveau de preuve.
Un bon exemple est l’étude de 2013 du Dr Laurens portant sur 54 patients souffrant d’un conflit sous-acromial lié à une tendinopathie du sus-épineux sans lésion de la coiffe. L’étude mettait en évidence une diminution de l’EVA (échelle visuelle analogique de la douleur), de la douleur à la palpation, de la douleur au testing musculaire isométrique du muscle sus-épineux, une amélioration de l’amplitude articulaire en abduction de l’épaule et une amélioration de la qualité de vie chez les patients traités par mésothérapie (technique mixte en IDP (intra-épidermique profond : AINS + anesthésique local + antalgique) en regard du trochiter et en IED (intra-épidermique : myorelaxant + anesthésique local), en regard du corps du supra-épineux) entre j0 et j30 (11). Mais aucune comparaison n’était effectuée par rapport à un traitement associant kinésithérapie et AINS ou même par rapport à des injections de sérum physiologique. Ainsi, rien ne permettait de prouver qu’un repos relatif de 30 jours n’aurait pu donner des résultats similaires.

Exemples des douleurs ostéo-articulaires et musculo-squelettiques

Dans le cadre du traitement des douleurs ostéo-articulaires, seule une trentaine d’articles a été publiée dans la littérature internationale. Une revue de la littérature rédigée par la société italienne de mésothérapie en 2012 au sujet des douleurs musculo-squelettiques décrivait 20 études. Ces dernières mettaient toutes en évidence une réduction des douleurs musculosquelettiques grâce à la mésothérapie, mais seule une étude était randomisée contre placebo (3).

Lombalgie aiguë

Une étude randomisée sur 84 patients menée par le Dr Constantino en 2011 comparait l’utilisation de la mésothérapie à celle de l’association médicamenteuse per os de corticoïdes et d’AINS dans le cadre du traitement des lombalgies aiguës. Il n’existait pas de différence significative entre ces deux thérapies (12).

Arthrose du genou

En 2018, le Dr Chen publiait une étude comparant la mésothérapie aux AINS per os dans le traitement de l’arthrose du genou (13). L’intérêt de ce travail résidait dans la démonstration conjointe d’une efficacité équivalente dans les 3 premiers mois des AINS per os et de la mésothérapie mesurée par le WOMAC (Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index : douleurs, raideur, fonction) et surtout dans le fait que les patients traités par mésothérapie avaient moins de plaintes digestives et besoin de moins de traitements adjuvants de la douleur que les patients traités par AINS per os.

Conclusion

Toutes les études réalisées dans le cadre du traitement de douleurs musculo-squelettiques et tendineuses par la mésothérapie mettent en évidence une amélioration de la douleur avec une balance bénéfice/ risque favorable. On sait désormais que l’effet de la mésothérapie peut être potentialisé par la prise concomitante d’un traitement per os, mais la pharmacodynamique des différents mélanges utilisés en mésothérapie reste à explorer. Compte tenu des effets secondaires des AINS per os (saignements digestifs, augmentation du risque cardiovasculaire, insuffisance rénale), la mésothérapie apparaît comme une alternative thérapeutique efficace chez les patients pour lesquels les AINS per os sont contre-indiqués. Cependant, la mésothérapie n’a jamais montré de supériorité par rapport aux traitements gold standard dans des conditions de haut niveau de preuve, cette thérapeutique ne doit donc pas se substituer aux soins de kinésithérapie ou à tout autre traitement de référence. Par exemple, aucune étude randomisée n’a comparée la mésothérapie aux infiltrations locales de corticoïdes. La place de la mésothérapie reste donc pour l’instant bien celle d’une médecine alternative complémentaire.

Bibliographie

  1. Ordre des médecins. Webzine n°3. 2015 [consulté le 2 avril 2018]. Disponible sur : www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/ cn_webzine/2015-07/www/index.php#/page-4
  2. Le Coz J. Traité de mésothérapie. Masson, 2011 ; 360p.
  3. Mammucari M, Gatti A, Maggiori S, Sabato AF. Role of mesotherapy in musculoskeletal pain: opinions from the Italian Society of Mesotherapy. Evid-Based Complement Altern Med 2012 ; 2012 : 436959.
  4. Atiyeh BS, Ibrahim AE, Dibo SA. Cosmetic Mesotherapy: between scientific evidence, science fiction, and lucrative business. Aesthetic Plast Surg 2008 ; 32 : 842-9.
  5. Société française de mésothérapie. [consulté le 3 juillet 2018]. Disponible sur : www.sfmesotherapie.com
  6. Régnier S, Meningaud JP, Desforges L et al. T-01 Épidémie d’infections cutanées à mycobactéries après mésothérapie. Médecine Mal Infect 2008 ; 38 : S184.
  7. Couderc C, Carbonne A, Thiolet JM et al. Infections à mycobactéries atypiques liées à des soins esthétiques en France, 2001-2010. Médecine Mal Infect 2011 ; 41 : 379‑83.
  8. Ehrmann J, Loeuille D, Dintinger H et al. Les complications infectieuses ostéo-articulaires de la mésothérapie. Rev Rhum 2007 ; 74 : 1120‑1.
  9. Mammucari M, Gatti A, Maggiori S et al. Mesotherapy, definition, rationale and clinical role: a consensus report from the Italian Society of Mesotherapy. Eur Rev Med Pharmacol Sci 2011 ; 15 : 682-94.
  10. Blondel R, Ceysson C, Guittard F et al. Stabilité physicochimique de trois produits régulièrement utilisés seuls ou en association en mésothérapie traumatologique. J Traumatol Sport 2011 ; 28 : 37‑40.
  11. Laurens D, Borg P. Effet de la mésothérapie sur la mobilité de l’épaule dans le conflit sous acromial par tendinopathie du supra spinatus à propos de 54 cas. Ann Phys Rehabil Med 2013 ; 56 : e409.
  12. Costantino C, Marangio E, Coruzzi G. Mesotherapy versus systemic therapy in the treatment of acute low back pain: a randomized trial. Evid Based Complement Altern Med 2011 ; 2011 : 317183.
  13. Chen L, Li D, Zhong J et al. Therapeutic effectiveness and safety of mesotherapy in patients with osteoarthritis of the knee. Evid Based Complement Altern Med 2018 ; 2018 : 6513049.

Revues

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