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Morgan Bourc’his : un champion au service de la science

Clémentine Vignon

Morgan Bourc’his, apnéiste français, est le troisième performer mondial. Il nous fait partager sa passion pour le milieu aquatique et pour sa discipline sportive, dont les contraintes importantes sont compensées par des sensations inégalables.

Morgan Bourc’his n’est pas un homme comme les autres. La preuve, il est capable de descendre à 90 mètres de profondeur sous l’eau, en apnée, et sans palmes ! Sa discipline de prédilection : le poids constant sans palmes. Il s’agit de descendre à une profondeur indiquée à l’avance le long d’un câble qui matérialise la verticalité, mais ne doit pas servir d’aide pour avancer. « Dans le poids constant sans palmes, le mouvement est uniquement créé par la brasse », indique Morgan Bourc’his. Ancien nageur spécialiste de la brasse, cette discipline s’est donc imposée comme une évidence pour l’apnéiste.

Une discipline qui exige peu de matériel

Le matériel de l’apnéiste est réduit par rapport à celui du plongeur bouteille. Il a avant tout besoin d’une combinaison pour se protéger du froid. L’eau étant un bien meilleur conducteur de la chaleur que l’air, les pertes de chaleur de notre corps sont environ 25 fois supérieures dans l’eau que dans l’air, à températures égales. Un autre accessoire indispensable est le pince-nez. En effet, l’eau est un environnement à haute pression – on gagne 1 bar de pression tous les 10 mètres – ce qui a pour conséquences de comprimer l’air présent dans l’oreille moyenne* et de déformer le tympan, à l’origine de douleurs.

Le pince-nez permet lors de la descente « d’équilibrer les pressions » de nos oreilles, notamment grâce à la manœuvre de Valsalva. Tout le monde l’a déjà pratiquée un jour ou l’autre sans en connaître le nom. En avion, sous l’eau, en passant sous un tunnel, en cas de rhume, cette technique consiste à se pincer le nez, puis à expirer doucement tout en maintenant la bouche fermée. Cela a pour effet de forcer l’ouverture de la trompe d’Eustache, le conduit reliant l’oreille moyenne au nasopharynx, pour amener l’air du pharynx à l’oreille moyenne et ainsi rétablir l’équilibre des pressions.

Enfin, en apnée, « on ne met rien sur les yeux », précise Morgan Bourc’his. En effet, le volume d’air présent dans le masque se compresse lui aussi sous l’effet de la pression de l’eau, et « le masque devient un frein, car on gaspille de l’air à en mettre dedans pour équilibrer les pressions et éviter le “placage de masque” ».

Mais des risques à mesurer

La syncope

L’accident le plus fréquent en apnée est la syncope liée au manque d’approvisionnement de notre cerveau en oxygène. Il s’agit d’un mécanisme de protection du cerveau qui consiste à le mettre en veille. Ainsi, la syncope se manifeste par une perte de connaissance transitoire. Heureusement, prise en charge rapidement, elle n’entraîne pas de séquelles. « La syncope n’arrive qu’en surface, ou proche de la surface, quand nous sommes sur le retour », témoigne Morgan Bourc’his, permettant une prise en charge rapide. Finalement, le risque principal est la noyade, surtout si l’apnéiste plonge seul, ce qui est surtout le cas des chasseurs sous-marins. Un autre phénomène retrouvé en apnée est la narcose, encore appelée « ivresse des profondeurs » (voir encadré). Elle survient aux alentours de 70 ou 80 mètres de profondeur et serait liée à une augmentation de la quantité d’azote dans le cerveau.

Le barotraumatisme

L’autre difficulté pouvant être rencontrée en apnée est le barotraumatisme, lié aux variations de pression sous l’eau. Il concerne majoritairement les oreilles et se manifeste par des douleurs au niveau des tympans. « Nous maîtrisons différentes techniques pour envoyer de l’air à l’oreille moyenne et redresser le tympan », explique Morgan Bourc’his.

L’œdème pulmonaire d’immersion

Un autre barotraumatisme non négligeable est l’œdème pulmonaire d’immersion. Redouté de tous les apnéistes, mais quasiment inévitable au cours de leur carrière, il se manifeste par une toux, une gêne thoracique, voire un crachat de sang. Autant de symptômes qui témoignent de la souffrance des alvéoles pulmonaires, lieu des échanges gazeux avec le sang. Le lung squeeze, c’est-à-dire la réduction du volume pulmonaire liée à l’augmentation de la pression environnante, est notamment à l’origine de la déchirure des alvéoles. « L’œdème pulmonaire n’étant pas douloureux, on ne le constate souvent qu’après l’apnée, lorsque les premiers symptômes surviennent », précise Morgan. La prise en charge doit alors être rapide.

Se confronter aux autres et dépasser ses limites

Si l’apnée est avant tout une expérience personnelle et intime, pratiquée en compétition, elle est aussi l’occasion de se confronter aux autres et de dépasser ses limites. La performance est liée à la profondeur maximale atteinte en mer. La profondeur choisie est annoncée par chaque apnéiste la veille de la compétition, à bulletin secret. Avant le début du championnat, on a donc déjà une idée du podium, en fonction de ce que chaque compétiteur a annoncé. « Mais encore faut-il réaliser son annonce, déclare Morgan Bourc’his. Et bien souvent, ça ne se passe pas comme prévu ! » L’annonce est tactique. Vaut-il mieux choisir une profondeur confortable et réalisable ou bien prendre des risques et tenter de dépasser ses limites ? Tout dépend de la forme et de l’état de confiance de l’apnéiste au moment de la compétition. « Le jour où j’ai annoncé 90 mètres, mon record à ce jour, je savais que j’allais au-delà de mes limites… » témoigne Morgan, qui n’avait encore jamais atteint une telle profondeur à l’entraînement.

Un athlète au service de la science et de l’environnement

Morgan Bourc’his est également dévoué à la recherche scientifique, un penchant lié à ses années d’études en sciences du sport. S’il a finalement choisi la voie de l’enseignement et de l’apnée en compétition, il n’est pas pour autant sorti du milieu scientifique, puisqu’il participe désormais à des études en tant que cobaye.

La sensibilité aux syncopes

Il a notamment contribué à une étude évaluant les raisons de la différence de sensibilité aux syncopes entre les individus. « Certains apnéistes continuent à faire régulièrement des syncopes, même après 10 ou 15 ans d’expérience. Nous nous sommes dit qu’ils avaient peut-être un trouble d’ordre physiologique qui les rendait plus sensibles à ces pertes de connaissance », explique Morgan Bourc’his. Une hypothèse qui s’est avérée. En effet, les expériences ont permis de révéler que ces apnéistes avaient un taux d’adénosine [1] (puissant vasodilatateur) beaucoup plus important que la normale. Or en apnée, un des réflexes de notre corps pour préserver les organes vitaux les plus vulnérables que sont le cœur et le cerveau, est la vasoconstriction de tous les territoires périphériques. Celle-ci permet de rediriger la majeure partie du sang vers le cœur et le cerveau, non concernés par cette vasoconstriction. Chez les personnes ayant un taux d’adénosine trop important, ce mécanisme d’adaptation va être perturbé par l’action vasodilatatrice de l’adénosine, et au final, le sang ne va pas aller suffisamment vers le cœur et le cerveau. « Ceux qui étaient connus pour faire des syncopes étaient dans le groupe “adénosine élevée”, ce qui n’était heureusement pas mon cas », témoigne Bourc’his.

Les conditions de très haute altitude

Il a également participé à une expérience originale au centre hyperbare de Marseille. Celle-ci visait à reproduire en caisson les conditions retrouvées en très haute altitude (7 500 m). « En altitude, nous sommes dans un milieu hypobare contrairement à l’eau qui est hyperbare, mais on retrouve le même phénomène de manque d’oxygène », explique l’apnéiste. La mission de Morgan Bourc’his était de faire de l’apnée statique dans ce caisson pendant plusieurs semaines, pour voir comment son corps réagissait. Les résultats ont été spectaculaires. « Après cette adaptation de plusieurs semaines à l’hypoxie, je n’étais plus le même quand j’allais en mer, j’avais une aisance dans l’eau assez impressionnante, et faisais des temps vraiment inhabituels, confie Morgan Bourc’his. On était vraiment aux frontières du dopage technologique ». C’est pourquoi cette expérience a été réalisée loin des compétitions.

Défense de l’environnement aquatique

Enfin, l’athlète est également un fervent défenseur de l’environnement aquatique, sa “deuxième maison”. Il est ambassadeur de l’association Longitude 181 qui lutte pour la préservation des océans et des grands mammifères marins ou requins, et se fait porteur de messages de sensibilisation : « Le grand requin blanc en méditerranée est particulièrement menacé, bien qu’essentiel à l’équilibre de l’écosystème… »

Le saviez-vous ?

Les premières études expérimentales sur la physiologie de l’apnée ont été réalisées à la fin du XIXe siècle par le physiologiste français Paul Bert sur… des canards !

L’ivresse des profondeurs

L’ivresse des profondeurs, ou narcose, serait liée à une accumulation d’azote dans le cerveau. Elle est quasiment inévitable à partir de 70 ou 80 m de profondeur, même si l’entraînement permet de faire reculer la profondeur d’apparition. La narcose est à l’origine d’une perturbation des sens, d’altérations du jugement plus ou moins conscientes, voire d’hallucinations. « On est soumis à des pensées généralement noires et morbides qu’il faut savoir gérer », témoigne Morgan Bourc’his.

À voir

Pour avoir une idée plus précise du type d’hallucinations retrouvées dans la narcose, nous vous conseillons le court-métrage Narcose réalisé par Julie Gauthier, à partir des expériences vécues par le champion d’apnée français Guillaume Néry.

Un voyage intérieur

La pratique de l’apnée permet d’atteindre un état de concentration proche de la méditation. Il s’agit d’être focalisé sur le relâchement, sur l’acceptation et la gestion de la pression de l’eau sur le corps, sur l’hydrodynamisme… « Au bout d’un moment, on coule naturellement et on se laisse aspirer par l’eau », raconte Morgan Bourc’his, qui mentionne des sensations de glisse et de vitesse très grisantes. « Comme une chute libre », ajoute-t-il. Avant la remontée, qui nécessite un effort important pour lutter contre le phénomène naturel qui nous aspire vers le fond.

Les plongeuses de l’île de Jeju

La culture des haenyeo (plongeuses) de l’île de Jeju en République de Corée est inscrite depuis 2016 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Il s’agit d’une communauté de femmes parfois très âgées qui ont fait de la pêche sous-marine en apnée leur gagne-pain. Elles plongent plus de 7 heures par jour, 90 jours par an, jusqu’à environ 10 ou 20 mètres de profondeur pendant 1 à 2 minutes à chaque plongée. Cette pratique tend à décliner avec les nouvelles générations de femmes, mais force aujourd’hui l’admiration de la communauté internationale.

Bibliographie
1. Habif TP. Maladies cutanées : diagnostic et traitement. Éd. Elsevier Masson 2008.Saadjian AY, Lévy S, Franceschi F et al. Role of endogenous adenosine as a modulator of syncope induced during tilt testing. Circulation 2002 ; 106 : 569-74.

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