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Allergies et intolérances alimentaires, quelles différences ?

Dr Paule Nathan (Médecin du sport, nutritionniste, endocrinologue, Paris)

Les troubles digestifs sont très fréquents chez le sportif et peuvent être responsables d’abandon en compétition et de baisse de la performance. Mais il est parfois difficile de classifier certains patients dans une pathologie claire. On évoque régulièrement le rôle du gluten, des intolérances alimentaires… Les études s’étant affinées, les cadres nosographiques sont maintenant mieux définis entre les différentes sensibilités alimentaires. Une mise au point paraît nécessaire.

La sensibilité aux aliments est fréquente

L’hypersensibilité alimentaire relève de plusieurs mécanismes. Si plus de 20 % de la population rapporte des troubles digestifs en rapport avec des aliments, on dénombre seulement 4 % de véritables allergiques chez l’adulte et 6 % chez l’enfant (Tab. 1).

L’intolérance au gluten ou la maladie cœliaque (1)

La maladie cœliaque (MC) ou intolérance au gluten est une entéropathie auto-immune induite par un antigène alimentaire survenant chez des sujets génétiquement prédisposés (haplotypes DR3-DQ2 ou DR4- DQ8). Ainsi, en cas d’apparentés du 1er degré atteints de MC, la prévalence augmente à 10-15 %. Elle est déclenchée par une cause environnementale, la consommation de gluten. L’atteinte auto-immune sur la surface absorbante de l’intestin entraîne une inflammation intestinale chronique avec une atrophie villositaire responsable d’une malabsorption. La MC fait partie des intolérances alimentaires les plus courantes dans le monde. Elle concerne 1 à 3 % de la population des pays développés et, comme la plupart des maladies auto-immunes (diabète de type 1, thyroïdite auto-immune), a tendance à augmenter dans les pays industrialisés. Les athlètes ne sont pas épargnés. D’autre part, on estime qu’elle est sous-évaluée : en France, seulement 10 à 20 % des cas seraient aujourd’hui diagnostiqués.

Diagnostic

Chez l’adulte, le diagnostic est plus difficile que chez l’enfant. Les signes peuvent être multiples et variés, plus ou moins marqués : anorexie, amaigrissement, fatigue chronique et/ou syndrome dépressif. Le diagnostic est plus facile s’il existe des signes digestifs comme des douleurs abdominales, une diarrhée chronique, des nausées ou vomissements, voire des aphtes buccaux récidivants. Il faut également évoquer la MC devant des pathologies osseuses comme des douleurs osseuses, des fractures pathologiques, ou encore une ostéoporose. On la suspecte aussi devant une infertilité ou des avortements à répétition, des ecchymoses faciles, une petite taille. On doit la rechercher en association avec d’autres maladies, comme la dermite herpétiforme, une ostéoporose, un diabète insulinodépendant de type 1, une thyroïdite, un syndrome de Sjögren ou encore une cirrhose biliaire primitive.

Biologiquement, ce sont des signes de malabsorption qui orientent : hypoalbuminémie, carence en vitamine D, en vitamine B12, en folates, anémie par carence martiale, diminution du TP (temps de prothrombine). Ces carences doivent absolument être détectées et corrigées.

Le diagnostic est affirmé sur le dosage des anticorps anti-transglutaminases de classe IgA et IgG et des anticorps anti-endomysium de classe IgA (se méfier des déficits en IgA qui faussent les résultats chez 2 % des coeliaques). Une biopsie de l’intestin grêle est nécessaire pour confirmer le diagnostic. Le typage génétique HLA retrouve les gènes HLA DQ2 et HLA DQ8.

Le régime sans gluten

Le traitement repose sur la correction des carences et l’exclusion complète et définitive du gluten de l’alimentation, avec la suppression de tous les aliments contenant les céréales toxiques et leurs dérivés (blé, orge et seigle) et leur substitution par les autres céréales pour éviter les carences. L’avoine pourrait être maintenue du fait de sa bonne tolérance. Le risque de contamination des produits contenant de l’avoine par du gluten est pris en compte dans l’étiquetage de ces produits.

Le régime d’exclusion a deux objectifs : d’une part, la régression complète de l’atrophie villositaire donc de l’anémie et du syndrome de malabsorption, et d’autre part, la prévention des complications de la maladie coeliaque, en particulier le lymphome ou autre carcinome du tube digestif, l’ostéoporose, les troubles neurologiques ou la stérilité. Les complications sont d’autant plus fréquentes que le régime sans gluten n’est pas ou mal suivi.

L’amélioration clinique sous régime d’exclusion peut être assez rapide, de quelques jours à quelques semaines. La réponse biologique des anticorps s’évalue à 6 mois et à 1 an, la réponse histologique de l’atrophie villositaire et de l’hyperlymphocytose à 1 an. L’absence de réponse après 6 à 12 mois doit faire suspecter une mauvaise observance du régime, voulue ou non par le patient, mais dans 5 % des cas on peut noter une vraie résistance. Par ailleurs, il faut se méfier des prises médicamenteuses contenant du gluten.

Le régime sans gluten est un régime très contraignant, puisque le gluten est présent dans tous les produits à base de blé, comme la farine, le pain, les pâtes, les pizzas et dans beaucoup de produits issus de l’industrie agroalimentaire, où des additifs contenant du gluten sont utilisés comme agent de texture ou de stabilité. Sont donc à exclure les plats cuisinés, les desserts et les entremets, les produits contenant de l’amidon, de l’amidon modifié ou des substances amylacées d’origine végétale. Une directive européenne impose que soit spécifiée sur l’emballage la présence ou non de gluten dans ces substances (2). La seule solution est d’apprendre aux patients la lecture attentive des étiquettes, avec si besoin le recours à une diététicienne. L’observance du régime est une astreinte considérable. La liste des produits interdits est longue et la vigilance doit être extrême du fait de la nécessité de l’exclusion totale, dans un premier temps.

Le suivi du régime n’est pas toujours facile à réaliser et à suivre pour l’athlète, surtout lors des déplacements. Une approche multidisciplinaire pour aider l’athlète nouvellement diagnostiqué porteur d’une maladie coeliaque est importante. On peut aussi l’orienter vers des associations de patients comme l’Association française des intolérants au gluten (AFDIAG) (3).

Depuis 1996, l’Assurance maladie prend en charge une partie des dépenses supplémentaires liées à la réalisation du régime sans gluten (arrêté de 30/04/96 publié au JO du 18/05/96). Toute interruption du régime sans gluten peut conduire à une reprise de symptômes ou à une diminution des performances. C’est toute une stratégie nutritionnelle qui doit être mise en place, comme nous le relate Black dans son article sur la prise en charge de la maladie coeliaque durant un raid cycliste ultra-endurant (4).

La maladie cœliaque chez l’athlète

Black (4) et Mancini (2) posent bien le problème chez nos athlètes. L’intolérance alimentaire est de plus en plus répandue et un nombre croissant d’athlètes souffrent de maladie cœliaque. Les médecins d’équipe doivent savoir la diagnostiquer sur des signes qui peuvent paraître discrets, comme une carence en vitamine D ou en fer. Il faut donc y penser systématiquement lors de l’évaluation des athlètes ayant des maladies prolongées inexpliquées et prescrire les examens pour établir le diagnostic. C’est un défi, puisque les recommandations diététiques pour l’exercice sont basées en grande partie sur les nourritures riches en glucides contenant du gluten. Par exemple, la course cycliste K4 qui couvre 384 km autour de la péninsule Coromandel, en Nouvelle-Zélande, se déroule dans des conditions particulières, avec un manque de sommeil et des variations de température qui posent un certain nombre de défis nutritionnels. Les choix alimentaires sont limités pour les athlètes présentant une MC. Il faut tenir compte de la valeur énergétique des aliments sans gluten et essayer de maintenir l’apport énergétique adéquat, la consistance des aliments et leur satiété sensorielle spécifique. Même les athlètes atteints d’une maladie coeliaque connue et de longue date ont besoin de soins et de surveillances supplémentaires pour s’assurer qu’il n’y ait pas de perturbation dans leur alimentation sans gluten, qui pourrait entraîner une recrudescence des symptômes ou une diminution des performances.

Enfin, il ne faut pas confondre la maladie cœliaque avec l’anorexie athletica ou l’anorexie mentale. Le tableau peut être trompeur quand surviennent une fatigue et une perte de poids. L’absence de troubles du comportement alimentaire ainsi que les carences orientent vers la maladie coeliaque. Il ne faut pas hésiter à demander une consultation spécialisée, comme dans le cas de cette volleyeuse de haut niveau qui avait perdu 8 kg en début de saison (5).

Les allergies alimentaires (6, 7)

L’allergie alimentaire est assez fréquente. Elle concerne 4 % de la population générale et 6 % des enfants. Elle est en augmentation, surtout du fait de l’industrialisation et des manipulations technologiques de l’industrie agroalimentaire ainsi que de la consommation d’aliments plus exotiques. Certains évoquent les conditions d’accouchement comme les césariennes et l’usage des antibiotiques qui modifient la sensibilité des récepteurs Toll digestifs et l’équilibre du microbiote. Certaines allergies ne peuvent se dévoiler qu’à l’effort.

Les symptômes des allergies alimentaires sont variés :

  • bucco-pharyngés : oedème des lèvres, de la langue, du palais, de la gorge, des oreilles;
  • systémiques : urticaire aiguë, rougeurs, angioedème, anaphylaxie ;
  • respiratoires : rhinite, éternuement, rhinoconjonctivite, asthme ; • cutanés : eczéma, démangeaisons, éruptions, rougeurs ;
  • digestifs : nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales.

Les facteurs influençant la réponse allergique sont :

concernant l’aliment : les conditions de culture, de mûrissement, de stockage et de conservation, la cuisson et les modes de cuisson. D’autres modes de pénétration de l’aliment peuvent être en cause comme l’inhalation, par exemple des vapeurs de cuisson, ou le contact cutané avec l’aliment.

concernant le patient : le stress, l’anxiété, la prise d’alcool, la prise de certains médicaments (anti-inflammatoires, laxatifs, antiacides), l’existence de parasitoses ou de mycoses digestives.

Les allergènes alimentaires sont dans l’ordre décroissant : la pomme (7 %), la noisette (6 %), le céleri (5 %), l’oeuf (5 %), l’avocat (5 %), le sésame (5 %), l’arachide (4 %) et la banane (3 %).

Diagnostic

Le diagnostic d’une allergie alimentaire comporte plusieurs étapes. Il peut être difficile et implique une démarche rigoureuse et policière en trois temps : étape clinique, étape biologique et étape d’examens complémentaires. L’entretien est capital. Il permet de préciser les antécédents, l’histoire familiale, les réactions, les aliments suspectés, le contexte de survenue (médicaments, alcool, exercice physique) ainsi que d’éventuels facteurs favorisants ou aggravants. Par ailleurs, la tenue d’un carnet alimentaire est précieuse.

Le diagnostic est posé après un bilan allergologique avec dosage des IgE sériques spécifiques et, si nécessaire, des tests multiallergéniques ou des tests cutanés. Des tests de provocation ou de réintroduction peuvent être envisagés dans certaines situations. Si les tests de provocation labiale peuvent être réalisés en cabinet, en raison de l’absence de risque de réaction générale, la plupart des tests de provocation se font en milieu hospitalier pour des raisons de sécurité.

La prise en charge de l’allergie doit être spécialisée et aidée, et repose sur l’éviction de l’allergène.

Allergies dévoilées à l’effort

Bien que rare, il faut se méfier des allergies induites par l’effort (6, 7). L’aliment, jusque-là bien toléré au repos, va induire une allergie lorsque sa consommation est suivie d’un effort. L’ingestion alimentaire et l’effort, réalisés indépendamment, sont asymptomatiques. Si la prévalence est très faible, moins de 0,02 %, les manifestations peuvent être graves avec la possibilité d’urticaires, d’oedèmes de Quincke, voire de chocs anaphylactiques. Divers aliments ont été incriminés dont le riz.

En cas d’allergies dévoilées à l’effort, il est fortement déconseillé de prendre de l’alcool, de l’aspirine ou des antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) avant l’effort. On recommande de faire attention aux aliments masqués dans les plats et les produits énergétiques pour sportifs, de ne pas faire d’effort dans les 4 heures qui suivent l’ingestion de cet aliment, de boire de façon abondante pendant l’effort, d’éviter les efforts en cas de grosses chaleurs (ou de froid intense), d’arrêter l’effort dès le moindre signe de survenue d’une allergie et d’avoir à portée de main un stylo d’auto-injection d’adrénaline.

Les intolérances alimentaires

Les intolérances alimentaires n’impliquent pas le système immunitaire de la même manière que les allergies (Tab. 2).

Dans le cas de l’intolérance alimentaire, l’organisme n’est plus capable de digérer un aliment ou un composant de l’aliment. Contrairement à l’allergie, des petites doses sont supportées. Les symptômes d’une intolérance alimentaire peuvent être multiples, surtout d’ordre digestif comme des douleurs abdominales, des flatulences, une diarrhée ou une constipation, mais peuvent aussi être plus généraux comme une sensation générale de malaise ou des troubles cutanés. D’autres symptômes plus disparates peuvent survenir tels qu’une fatigue, une irritabilité, des éruptions cutanées, une migraine ou des douleurs articulaires. Le diagnostic peut être difficile. C’est souvent le régime d’exclusion qui permet le diagnostic.

Les intolérances regroupent des entités cliniques variées. Elles peuvent être :

  • enzymatiques : déficit en disaccharidases comme la lactase (intolérance au lactose), la galactosémie, déficit en G6PD (favisme), la phénylcétonurie.
  • pharmacologiques : additifs alimentaires comme les sulfites, le glutamate de sodium (exhausteur de goût E621), la tartrazine (colorant jaune sous la dénomination E102).
  • réactives aux amines vasoactives présentes dans certains aliments : histamine, tyramine, aliments histaminolibérateurs… (Tab. 3)
  • liées à une sensibilité.

Les intolérances enzymatiques : le cas de l’intolérance au lactose (8, 9)

Il existe des déficits enzymatiques ou déficiences enzymatiques qui entraînent une incapacité à digérer certains composants des aliments. Ils peuvent être génétiques, comme l’intolérance au fructose héréditaire et l’intolérance au galactose (galactosémie), ou acquis comme l’intolérance au lactose, à l’histamine, au saccharose, au sorbitol ou la malabsorption du fructose. Nous traiterons ici du déficit le plus courant : l’intolérance au lactose.

Prévalence

L’intolérance au lactose est assez fréquente dans le monde (10) (Fig. 1).

Figure 1 – Fréquence de l’intolérance au lactose dans l’hémisphère est.

Sa prévalence diffère selon les régions. Alors que la plupart des Européens du Nord produisent assez de lactase durant toute leur vie, parmi les populations du Moyen- Orient, de l’Inde et de l’Afrique, la déficience en lactase est un phénomène très fréquent (50 à 80 %). Il existe un gradient nord/sud que l’on retrouve aussi en France. On estime qu’en France, 30 à 50 % des adultes ont une activité lactasique basse. En fait, 70 % de la population mondiale ne produit pas assez de lactase et a, par conséquent, des degrés divers d’intolérance au lactose.

Mécanisme

L’intolérance au lactose provient d’un déficit de l’activité d’une enzyme, la lactase, présente dans la paroi de l’intestin grêle. L’intolérance apparaît quand la consommation de lactose excède la capacité digestive, du fait d’une consommation excessive, d’une activité lactasique basse comme en cas de parasitisme digestif ou de perte d’activité par ingestion occasionnelle ou du fait de l’origine ethnique. Lorsque l’activité lactasique est basse, la dégradation du lactose est moindre. Il a alors tendance à s’accumuler, et passe dans le gros intestin où il est fermenté par la flore colique. Ce processus provoque la production d’acides gras à chaîne courte (SCFA ou Short-chain fatty acid), de gaz – principalement l’hydrogène (H2), le dioxyde de carbone (CO2), et le méthane (CH4) – et crée une transvasation de l’eau dans le gros intestin entraînant flatulences, douleurs abdominales et diarrhée osmotique. L’intolérance au lactose est responsable de troubles intestinaux, mais il faut également savoir y penser devant des signes généraux comme une fatigue, des maux de tête, des douleurs articulaires ou musculaires.

Causes

Le déficit congénital en lactase, qui se traduit par l’absence complète de l’enzyme, est une affection rare dépistée à la naissance. Les symptômes sont graves. La cause la plus fréquente est la non-persistance de la lactase, du fait de la diminution de son expression pendant la petite enfance. Dans les conditions normales, l’activité lactasique du nourrisson est maximale à l’accouchement puis diminue après l’âge de 2-3 ans pour atteindre un niveau faible mais stable vers l’âge de 5 à 10 ans (processus qui pourrait aider au sevrage).

Le déficit peut être dû à des conditions acquises, comme la pullulation bactérienne de l’intestin grêle ou l’entérite infectieuse, ou à des lésions des muqueuses induites par des médicaments ou en rapport avec une maladie coeliaque, une maladie inflammatoire de l’intestin ou une chirurgie gastro-intestinale.

Diagnostic

Le diagnostic se fait à l’aide d’un test mesurant la quantité d’hydrogène expirée après l’absorption de 25 g de lactose. Une concentration trop élevée montre que l’organisme n’a pas digéré le lactose et que celui-ci a fermenté dans la flore intestinale, d’où la production d’hydrogène.

Prise en charge

En cas d’intolérance au lactose, il vaut mieux éliminer le lait et les aliments qui en contiennent. La plupart des personnes peuvent consommer des yaourts, puisque la fermentation permet la dégradation d’une bonne partie du lactose, ainsi que les fromages, car une partie du lactose est éliminée avec le petit lait et le reste dégradé par les bactéries. Il reste très peu de lactose dans les fromages ayant plus de 6 semaines de maturation. Concernant le lait, la quantité et les types de laitages qui occasionnent des symptômes sont très variables d’un sujet à l’autre. Beaucoup d’individus intolérants peuvent boire un verre de lait sans ressentir le moindre inconfort. Une suppléance médicamenteuse est possible : l’enzyme lactase peut être prise sous forme de comprimés. Le lait sans lactose peut également être consommé sans risque comme boisson de récupération chez le sportif intolérant au lactose (11).

Les sensibilités alimentaires dites intolérances alimentaires

Les manifestations cliniques de l’intolérance alimentaire sont semblables à celles observées avec l’allergie alimentaire (Tab. 2). Il n’est donc pas possible, sur la base des seules manifestations cliniques, de distinguer allergie et intolérance alimentaire. Le diagnostic est difficile. Contrairement à l’allergie, les manifestations de l’intolérance alimentaire sont dose-dépendantes. Elles apparaissent de façon aléatoire et imprévisible. Le plus souvent, elles n’engagent pas le pronostic vital, à la différence des réactions allergiques graves qui peuvent être létales. Les tests biologiques – dosages IgE et TPO (thyroperoxydase) – sont négatifs. Il n’y a pas de régime d’éviction obligatoire, il s’agit seulement de réduire la quantité d’aliments fréquemment impliqués dans l’intolérance alimentaire. Il peut être nécessaire d’exclure l’aliment pendant 4 à 6 mois, le temps de varier l’alimentation, d’acquérir un autre comportement alimentaire, et de réaliser une réfection de la muqueuse intestinale et du microbiote. Il est également important d’insister sur l’adoption d’un bon comportement alimentaire : manger dans le calme, mastiquer les aliments, etc.

Hypersensibilité au gluten

La sensibilité au gluten sans maladie coeliaque (NCGS pour non-celiac gluten sensitivity) est une nouvelle entité qui commence à être très étudiée (12-15) et qui mérite donc d’avoir toute notre attention si on veut pouvoir apporter une réponse efficace aux sportifs qui en souffrent. Sa prévalence est estimée entre 3 et 6 % de la population générale. Elle se manifeste par des symptômes intestinaux (Fig. 2) ou extra-intestinaux (Fig. 3) (16) qui diminuent ou disparaissent après un régime sans gluten (Tab. 4).

Figure 2 – Symptômes gastro-intestinaux de la sensibilité au gluten sans maladie coeliaque suspectée (16).

Figure 3 – Symptômes extra-intestinaux de la sensibilité au gluten sans maladie cœliaque suspectée (16).

On ne note aucun argument en faveur d’une maladie coeliaque. La muqueuse de l’intestin grêle est normale, les dosages des anticorps anti-transglutaminases et anti-endomysium sont négatifs, on constate un taux normal d’IgA et pas d’allergie au blé. Certains évoquent une anomalie épithéliale innée existant indépendamment de l’immunité intestinale (17). L’équipe du Dr Alessio Fasano (18) a constaté des différences au niveau moléculaire et en termes de réponses du système immunitaire entre la sensibilité au gluten et la maladie coeliaque. Contrairement à la muqueuse duodénale des patients porteurs de maladie coeliaque, lors d’une incubation avec la gliadine, la muqueuse des patients atteints de NCGS n’exprime pas les marqueurs de l’inflammation. Il n’y a pas non plus activation des basophiles par la gliadine (19). Le Dr Fasano estime que 6 % de la population présente une sensibilité au gluten. L’évaluation de l’intégrité de la barrière intestinale (20) et du microbiote est aussi à prendre en compte dans la démarche diagnostique. Ce cadre nosographique mérite d’être approfondi, car ces patients qui présentent une sensibilité au gluten subissent des retards diagnostiques préjudiciables à leur qualité de vie ainsi qu’à leurs performances physiques et psychologiques. Ils sont souvent étiquetés comme étant porteurs d’un syndrome du côlon irritable sans véritable prise en charge efficace, et contraints de réaliser leur sport avec une “patraquerie digestive”.

Pourquoi cette sensibilité au gluten ?

Notre alimentation a changé. Nous consommons de plus en plus de produits industrialisés qui contiennent en outre du gluten, et il y une surconsommation de gluten, en particulier provenant du blé : pain, sandwich, pizza, pâtes, pain bagna… Le blé actuel (saponé) contient plus de 33-mer-gliadin, peptide hautement toxique pour l’épithélium digestif. Il convient de conseiller à nos sportifs une alimentation plus simple. La lecture des étiquettes permet souvent une prise de conscience du peu de naturel des plats préparés. Incitons-les à varier leur apport en sucres complexes en consommant régulièrement du riz, des légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots secs…), des pommes de terre, du quinoa, des pains à base de seigle, d’épeautre, de froment. Le froment est beaucoup plus tendre que le blé actuel qui a été sélectionné pour ses propriétés plus résistantes. Il est aussi utile de conseiller la gestion du stress, car celui-ci augmente la perméabilité intestinale. Un bon comportement alimentaire avec mastication et salivation est aussi important, car la salive renferme un facteur de croissance essentiel pour le renouvellement de l’épithélium digestif. Les pré- et probiotiques s’avèrent également des aides utiles.

Entre intolérance et pseudo-allergie

Les pseudo-allergies font intervenir des médiateurs solubles pharmacologiquement actifs, soit libérés sous l’action de l’aliment, soit contenus dans des aliments. Ils peuvent entraîner des symptômes d’intolérance alimentaire, surtout lorsqu’ils sont consommés en grande quantité. Les aliments riches en amines vasoactives sont souvent responsables d’intolérance alimentaire (21). Il peut aussi avoir des réactions à certains additifs alimentaires comme le glutamate, l’acide benzoïque, les colorants, les sulfites, les émulsifiants et les exhausteurs de goût.

Conclusion

Le médecin du sport devrait envisager la possibilité d’une maladie coeliaque ou d’une sensibilité au gluten dans l’évaluation des athlètes atteints de maladies inexpliquées prolongées (2). Il faut savoir qu’un patient peut présenter plusieurs causes d’hypersensibilité comme des pseudoallergies, des réactions aux sulfites et une sensibilité au blé. Toute diarrhée associée à un syndrome du côlon irritable doit faire pratiquer un bilan sérologique à la recherche d’une maladie coeliaque non détectée. Il faut penser à rechercher une intolérance alimentaire et surtout rester à l’écoute du patient, qui a besoin d’être reconnu dans ses symptômes et rassuré par la prise en charge. Les émotions ont une grande part dans la digestion (22). De nouvelles études sont nécessaires.

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