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Compléments alimentaires : comment les utiliser ?

Dr Paule Nathan (Endocrinologue, Nutritionniste, Paris)

L’homme n’a de cesse de se dépasser et de repousser ses limites. Aujourd’hui, la recherche de la performance, associée à la réussite, est le fait de beaucoup, quel que soit l’âge. Cette quête est omniprésente et il est interdit d’être fatigué, de se poser. Le sportif est celui qui va essayer de l’acquérir par sa technicité et ses entraînements, de manière à pousser la performance à son paroxysme. Il est un fait : les compléments alimentaires sont de plus en plus utilisés dans cette recherche de performance. Quelle peut être leur place chez les sportifs ?

 

Qu’appelle-t-on compléments alimentaires ?

Définition

Les compléments alimentaires ont été définis par le Parlement européen (1) comme « des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses, à savoir les formes de présentation telles que les gélules, les pastilles, les comprimés, les pilules et autres formes similaires, ainsi que les sachets de poudre, les ampoules de liquide, les flacons munis d’un compte-gouttes et les autres formes analogues de préparations liquides ou en poudre destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ».

Compléments alimentaires = médicaments ?

La frontière entre compléments alimentaires et médicaments est très mince. En effet, d’après le Code de la santé publique (2), « on entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d’épreuve… Lorsque, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d’autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament ».

Il est vrai que les compléments alimentaires peuvent être proches des médicaments, par exemple quand on donne de l’iode chez une femme enceinte pour prévenir les troubles thyroïdiens de la mère ou de l’enfant de plus en plus fréquents en France, du sélénium en cas de thyroïdite (traitement reconnu), du magnésium en cas de crampes, du fer pendant les règles chez les sportives qui saignent trop pour éviter une déplétion en fer insidieuse.

 

Place des compléments alimentaires chez le sportif

Alimentation chez les sportifs

En principe, l’alimentation du sportif, lorsqu’elle est équilibrée et répond aux besoins liés à l’effort, apporte tous les nutriments, vitamines et oligoéléments nécessaires.

Les carences ne devraient pas se voir du fait du choix d’aliments à densité nutritionnelle élevée. Cette alimentation répond à quatre axes :

  • couvrir les besoins,
  • éviter les contre-performances,
  • respecter la santé,
  • prévenir les conduites dopantes.

Les besoins ont été définis par les ANC adaptés aux besoins spécifiques de chacun des sportifs. Mais il faut toujours savoir qu’en dehors des sportifs de haut niveau, beaucoup n’ont pas eu accès aux conseils d’un médecin du sport, d’un nutritionniste ou d’un diététicien spécialisés dans le sport.

Cas des carences ou déficits

Certaines carences détectables cliniquement ou des déficits biologiques peuvent se rencontrer chez le sportif quel que soit son niveau et peuvent avoir des effets délétères sur la santé et la performance.

Sports à contrainte de poids et régimes

Les déficits se rencontrent en particulier dans certains sports où la contrainte de poids est forte, ce qui entraîne une insuffisance d’apports énergétiques, donc en nutriments et micronutriments. Les sports en cause sont essentiellement la danse, le patinage, les sports à catégories de poids. Les sportifs soumis à des contraintes de catégories de poids peuvent avoir des variations importantes de poids au cours de la saison du fait de la pratique de régimes à l’origine de graves carences. Certains suivent des régimes particuliers qui peuvent être de grands pourvoyeurs de déséquilibre des apports alimentaires avec risque de carences comme le végétalisme ou le végétarisme. Actuellement, la nouvelle mode est d’exclure pour tout le gluten et les produits laitiers, ce qui peut créer des carences profondes.

Différences de métabolisme

Nous n’avons pas tous un métabolisme performant. Chez certains sportifs, l’exposition au soleil ne protège pas de la carence en vitamine D, comme en attestent les dosages sanguins faits au retour d’expositions solaires assez longues. Le fait de manger de la viande ne protège pas de l’anémie. Les cliniciens connaissent bien ces situations. De même, le statut oxydatif peut être déficient et peut demander une correction. En effet, si le statut oxydatif est maintenu lors des exercices de faible intensité et de longue durée, il peut se créer un stress oxydant lors des exercices intenses avec comme conséquence des effets délétères possibles sur les structures cellulaires.

Différences sociales

De même, il faut bien prendre conscience que des situations de carences peuvent se développer du fait de la précarisation de certains sportifs ou de leur famille. Précarisation qui entraîne une restriction des apports alimentaires, le poste alimentaire étant une dépense facilement restreignable. Il faut, de nos jours, avoir cette notion à l’esprit et aller à la rencontre de ce fait sociétal.

Atteindre les apports recommandés, mais pas au-delà

La Société Française de Médecine du Sport (SFNS) (3), en ce qui concerne les compléments alimentaires, s’appuie sur l’avis de l’AFSSA, qui « estime que leur consommation ne doit être motivée que par la nécessité de compléter des apports nutritionnels insuffisants que le médecin ou le diététicien est en mesure d’évaluer ». L’objectif global est d’atteindre les apports recommandés par les instances nationales et internationales et, en aucun cas, de dépasser les limites de sécurité. Ainsi, la SFMS « estime que dans certaines situations particulières – de fait peu physiologiques – et qui ne peuvent être recommandées ou cautionnées par le médecin, de restriction calorique, d’éviction d’un ou plusieurs groupes alimentaires, de très fortes dépenses énergétiques et pertes sudorales, de mauvaise disponibilité des aliments, ou environnements particuliers (très haute altitude, froid extrême, temps restreint de repas, l’habitude des fast-food, des sandwiches ou autres restaurations rapides dont la densité nutritionnelle ne correspond pas à cette population), le médecin ou le diététicien, compétents en nutrition ou diététique du sportif peuvent avoir recours à une complémentation adaptée (ANC, 2001 ; Avis AFSSA 2005), après réalisation d’un bilan alimentaire (aucun dosage, hormis ceux prescrits conformément à l’arrêté du 11 02 2004 pour les SHN, n’étant justifié sauf chez le sportif malade) et dans le cadre du conseil nutritionnel basé en priorité sur une alimentation équilibrée et variée par les aliments courants ».

Les compléments contaminés, attention au dopage par inadvertance

Mise en garde des sportifs

Attention, il faut informer le sportif qu’il existe un risque de contamination des compléments alimentaires par des substances dopantes et lui recommander fermement de :

– ne consommer que des produits sûrs, connus, fabriqués en France, de provenance identifiée et de composition et étiquetage conformes à la réglementation ;

– ne surtout pas consommer des produits vendus sur Internet ;

– ne pas consommer des suppléments vendus dans des salles de sport ou d’entraînement ;

– bien entendu, se méfier des produits vendus sous le manteau et devant être tus.

Il faut également lui rappeler la réglementation du Code mondial antidopage de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) qui définit le dopage comme une ou plusieurs violations des règles antidopage énoncées aux articles 2.1 à 2.8 du code.

  • Article 2.1. « Présence d’une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs dans un échantillon fourni par un sportif. »
  • Article 2.1.1. « Il incombe à chaque sportif de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. Les sportifs sont responsables de toute substance interdite ou de ses métabolites ou marqueurs dont la présence est décelée dans leurs échantillons. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de faire la preuve de l’intention, de la faute, de la négligence ou de l’usage conscient de la part du sportif pour établir une violation des règles antidopage en vertu de l’article 2.1. » Le sportif est mis devant sa responsabilité. Bien l’informer qu’il est aussi possible d’être contrôlé positif en consommant des compléments alimentaires et que l’étiquetage n’informe pas des produits dopants. En effet, en France, comme ailleurs en Europe, contrairement aux médicaments, la législation n’impose pas aux fabricants de compléments alimentaires de notifier sur l’étiquette ou la notice la présence d’une substance interdite par la réglementation antidopage.

Les compléments alimentaires peuvent être contaminés par des substances dopantes

Stéroïdes anabolisants androgènes non signalés

Pour mettre en évidence la contamination des compléments alimentaires par les stéroïdes anabolisants androgènes, ou pro-hormones, non signalés sur l’étiquette, une enquête à grande échelle a étudié d’octobre 2000 à novembre 2001 (4) 634 suppléments nutritionnels non hormonaux achetés dans 13 pays et provenant de 215 fournisseurs différents, seuls 8,2 % des suppléments ont été achetés sur Internet, 91, 2 % dans des magasins des pays respectifs.

  • 345 suppléments provenaient d’entreprises qui ne fournissaient pas de pro-hormones, 289 d’entreprises qui en fabriquaient.
  • Sur les 634 échantillons, 14,8 % (94) contenaient des stéroïdes anabolisants androgènes non déclarés sur l’étiquette.
  • La plupart des suppléments positifs ont été achetés aux Pays-Bas (25,8 %), en Autriche (22,7 %), au Royaume-Uni (18,8 %) et USA (18,8 %) et provenaient de cinq pays : Etats-Unis, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie, Allemagne.
  • 21,1 % des suppléments nutritionnels provenant d’entreprises qui fabriquaient aussi des pro-hormones ont été positifs aux androgènes, et seulement 9,6 % pour celles qui n’en fabriquaient pas.
  • Pour la présence d’androgènes, les concentrations ont été dosées de 0,01 μg/g jusqu’à 190 μg/g, soit une détection possible aux tests anti-dopage pour la norandrostérone positive pendant plusieurs heures dès lors que la concentration dépasse 1 μg/g.

Recommandations

C’est pourquoi les recommandations de juin 2009 de la Société française de nutrition du sport, visant l’usage des compléments alimentaires, recommande de « n’acquérir que des produits sûrs, de provenance identifiée et de composition et d’étiquetage conformes à la réglementation. En aucun cas, l’accès direct à des compléments ou suppléments ne devrait être possible dans des salles de sport ou d’entraînement (…) les produits pour sportifs devraient être encadrés ». Il faudrait aussi renforcer l’information de la filière industrielle et demander un étiquetage de sécurité.

Contamination possible à toutes les étapes de fabrication

Une contamination peut être possible à toutes les étapes de la fabrication d’un complément alimentaire.

  • Dans les conteneurs lors du transport de la matière première du fournisseur vers le fabriquant.
  • Lors de la fabrication du produit, par exemple du fait d’un mauvais lavage des cuves qui ont servi à la fabrication d’autres produits. Il faut ainsi brosser les cuves plutôt que les rincer. L’exemple étant le fabriquant qui utilise la même chaine de fabrication pour les pro-hormones comme la DHEA, l’androstènedione, l’androstenediol, l’aorandrostenedione et l’aorandrostendiol, les vitamines et les protéines, sans nettoyer efficacement entre les différentes fabrications. C’est le même phénomène pour certains aliments qui doivent afficher par exemple « peut contenir du gluten ou… » sur leur étiquette, de manière à prévenir les personnes allergiques d’une possible contamination lors de leur fabrication. Les excipients comme les enrobages peuvent aussi être contaminés.
  • Certains fabriquants introduisent illégalement des substances en faible quantité dans le produit pour augmenter l’efficacité ergogénique de ce dernier. Par exemple, certains produits hyperprotéinés destinés aux bodybuilders sont enrichis d’anabolisants afin d’augmenter l’effet de prise de masse. Les produits chinois sont souvent incriminés.
  • Des substances dopantes peuvent se cacher sous des dénominations anodines. Par exemple, comment peut-on se douter que la consommation de Tribulus terrestris puisse entraîner un contrôle de dopage positif ? Cette plante vivace tropicale originaire de l’Inde, et cultivée en Chine ou autour du bassin de la Méditerranée, a toujours été utilisée pour traiter l’impuissance et la stérilité. Elle est proposée aux sportifs comme alternative aux stéroïdes anabolisants, l’argument de vente étant qu’il ne s’agit que d’un complément alimentaire non hormonal et non dopant. Or le Tribulus terrestris, qui est pourtant un phytostérol, présente une structure de stéroïde typique. De même, le Citrus aurantium, en vente libre, contient de la synéphrine, de la tyramine, de l’octopamine, celle-ci étant inscrite sur les substances dopantes. Ce citrus, au nom évocateur de citron, est capable d’induire une hypertension artérielle, avec possible toxicité cardiaque. La consommation d’octopamine peut rendre un contrôle antidopage positif alors que ce produit peut être donné comme un simple “brûle-graisse” pour maigrir, sans qu’il ne paraisse suspicieux.

Une nouvelle norme d’étiquetage protège le sportif

En juin 2012, une nouvelle norme relative aux compléments alimentaires et autres denrées destinées aux sportifs (boissons énergétiques, poudres, barres…) vient d’être lancée par l’AFNOR associée au Ministère des sports. Cette nouvelle norme AFNOR (mention NF V 94-001 sur l’emballage), applicable depuis le 14 juin 2012, garantit aux consommateurs de compléments alimentaires et de denrées alimentaires, notamment aux sportifs, que les produits ainsi labellisés sont exempts de substances dopantes.

 

Conclusion

Connaître les compléments alimentaires et leur composition, c’est pouvoir guider nos sportifs et les informer du risque de se les procurer via des circuits parallèles, comme les salles de sport ou sur Internet. L’apprentissage d’un usage raisonné des compléments alimentaires chez le sportif devrait faire partie des bonnes pratiques nutritionnelles. Pour la sécurité des sportifs, il faudrait que l’industriel sécurise ses produits avec un marquage informatif, indiquant qu’ils ne comportent pas de substance interdite. Pour les médecins du sport, il s’agit de s’informer de tous les compléments pris, d’informer de la sécurité de leur provenance et d’un possible surdosage car ces produits ne sont pas anodins à fortes doses.

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