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Le gluten : allergie/sensibilité : comment s’y retrouver ?

Dr Paule Nathan (Médecin du sport, nutritionniste, endocrinologue, Paris)

On entend beaucoup parler de gluten, nos patients nous interrogent. Beaucoup sont adeptes du « gluten free » et commencent à l’exclure définitivement de leur alimentation. Des restaurants sans gluten ouvrent, les plats sans gluten commencent à envahir les étals. Pourquoi un tel phénomène ? Effet de mode ou réel problème ? Une chose est sûre, une intolérance au gluten fragilise fortement l’état de santé de nos sportifs et peut être à l’origine d’une malabsorption avec fatigue, fatigabilité, anémie, donc une contre-performance et souvent un abandon.

Des exemples qui interpellent

Pas de gluten pour les deux premiers du classement ATP ! La presse, les champions et le gluten…

On peut lire sur le site de Libération (1) que « depuis que Djokovic a banni le gluten de son alimentation, il a fait des émules ». C’est le numéro 1 mondial de tennis serbe qui a lancé cette « mode » qui a déjà son nom de code parmi les professionnels : le « gluten free ». En fin d’année dernière, Novak Djokovic, alors 3e mondial, se découvre une intolérance au gluten. Du jour au lendemain son régime alimentaire est bouleversé. Exit les pâtes ou encore le pain, et les baisses de régime dont il se plaignait. Depuis, le Serbe resplendit. Fort de son nouvel équilibre alimentaire, Djokovic « écrase tout sur son passage ».

L’information est reprise sur le site du Figaro : « depuis que Novak Djokovic a été diagnostiqué intolérant au gluten et qu’il a éliminé la pizza, les pâtes et le pain de son alimentation, le numéro 1 mondial de tennis enchaîne les victoires et inspire d’autres sportifs, comme Sabine Lisicki et Andy Murray, qui se sont également mis au régime sans gluten ». Beaucoup d’autres magazines font référence au gluten et incitent son exclusion dans l’alimentation de la population générale et sportive (2).

Le gluten se trouve dans l’avoine, le blé et ses variétés, l’épeautre, le froment, le kamut, le malt, l’orge, le seigle et le son.

Le retard diagnostique : une perte de chance pour nos sportifs ?

Le cas clinique de la jeune élite féminine de volley-ball doit nous inciter à penser plus souvent à une intolérance au gluten (3). Cette jeune athlète aurait pu être longtemps cataloguée psy.

Voici une jeune athlète qui perd 8 kg pendant les premiers jours de sa formation et qui se plaint de diarrhée et de fatigue. Soupçonnée, dans un premier temps, d’être porteuse d’un trouble des conduites alimentaires, elle fut investiguée car elle n’avait pas de symptômes nets d’une anorexie Athletica ou d’une anorexiementale. Une anomalie de la numération sanguine amène à une consultation spécialisée en gastroentérologie. Le diagnostic d’intolérance au gluten est posé et confirmé par des biopsies duodénales. Un défi pour l’entraîneur car il devra aider l’athlète à suivre son régime d’exclusion.

À propos du cas d’une joueuse de tennis (4), Leone et al. nous disent bien que la détection rapide et la gestion appropriée permettent à l’athlète d’ajuster le régime alimentaire en conséquence, de concourir à un haut niveau de compétition, et de profiter d’une qualité de vie plus saine.

Connaître le gluten

Qu’est-ce que le gluten ?

Le terme « gluten » est souvent utilisé pour désigner toutes les prolamines toxiques contenues dans les fractions protidiques du blé (gliadine), du seigle (sécaline), de l’orge (hordéine), du triticale (hybride du seigle et du blé) et de l’avoine (avénine). Leur effet cytotoxique est lié à la réaction immunologique anormale dirigée contre la muqueuse intestinale.

Où le trouve-t-on ?

On le trouve dans l’avoine, le blé et ses variétés comme l’épeautre, le froment, le kamut, le malt (issu du grain de blé germé), l’orge, le seigle, le son (enveloppe des céréales).

Les céréales qui n’en contiennent pas sont : le maïs, le millet, le quinoa, le riz, le sarrasin, le sorgho, le tapioca. Châtaignes, pommes de terre et légumes secs en sont dépourvus ; ce ne sont pas des céréales.

Détecter le gluten caché

Le gluten a envahi notre alimentation. L’industrie agroalimentaire transforme le blé en hydrolysats (aussi appelés isolats). L’hydrolysat obtenu très soluble est employé comme épaississant, stabilisant, émulsifiant. On le trouve sous la dénomination « protéines de blé » dans les viandes reconstituées comme les nuggets, les sandwichs, les escalopes et les poissons panés, les saucisses, le jambon et les viandes blanches reconstituées, soit dans la majorité des plats préparés ou produits industrialisés. Ainsi, on trouve l’étiquetage « gluten » sur des chips (de pommes de terre !) ou de la mousse de foie. Le bon conseil : lire les étiquettes (5). Si on ne cuisine pas simplement, on en consomme beaucoup plus qu’auparavant.

Depuis que Novak Djokovic a commencé un régime “gluten free“, il enchaîne les victoires. D’autres joueurs ont suivi la tendance, sans pour autant être diagnostiqués intolérants.

L’intolérance au gluten ou maladie coeliaque

La maladie coeliaque ou intolérance au gluten (MC) est une entéropathie inflammatoire chronique auto-immune provoquée par un antigène alimentaire : le gluten.

Signes cliniques

Chez l’adulte, les signes peuvent être multiples et variés, plus ou moins marqués : anorexie, amaigrissement, fatigue chronique et/ou syndrome dépressif. Le diagnostic est plus facile s’il existe des signes digestifs comme des douleurs abdominales, une diarrhée chronique, des nausées ou vomissements, voire des aphtes buccaux récidivants. Il convient d’y penser devant des pathologies osseuses comme des douleurs osseuses, des fractures pathologiques, une ostéoporose. On la suspecte aussi devant une infertilité ou des avortements à répétition, des ecchymoses faciles, une petite taille. On doit la rechercher en association avec d’autres maladies comme la dermite herpétiforme, un diabète insulino- dépendant, une thyroïdite, un syndrome de Sjögren ou une cirrhose biliaire primitive.
Biologiquement, ce sont des signes de malabsorption qui orientent vers le diagnostic : hypoalbuminémie, carence en vitamine B12, diminution du TP, anémie par carence martiale, anémie par carence en folates, carence en vitamine D. Ces carences doivent être détectées et corrigées.

Diagnostic

Les critères diagnostiques reposent sur la trilogie :

• atrophie villositaire ;
• auto-anticorps spécifiques positifs (anti-transglutaminase tissulaire/antiendomysium en se méfiant d’une carence en IgA qui fausse le résultat ; en cas de doute, rechercher un déficit en IgA et doser les IgG anti-transglutaminase tissulaire/antiendomysium) ;
• correction des anomalies cliniques, biologiques et histologiques par le régime d’exclusion.

Traitement

Le traitement repose sur la correction des carences et l’exclusion complète et définitive du gluten de l’alimentation avec la suppression de tous les aliments contenant les céréales toxiques et leurs dérivés (blé, orge et seigle) et leur substitution par les autres céréales pour éviter les carences. L’avoine pourrait être maintenue du fait de sa bonne tolérance contrairement à ce qui était préconisé auparavant, mais cela doit être confirmé à long terme. L’une des principales préoccupations est toutefois que l’avoine puisse être contaminée par du blé, du seigle ou de l’orge lors de la récolte, du transport, de l’entreposage ou du traitement des céréales. Le risque de contamination des produits contenant de l’avoine par du gluten doit donc être pris en compte dans l’étiquetage de ces produits (5).
Le régime d’exclusion a deux objectifs : la régression complète de l’atrophie villositaire, donc de l’anémie et du syndrome de malabsorption, et la prévention des complications de la maladie coeliaque, en particulier lymphome ou autre carcinome du tube digestif, ostéoporose ou troubles neurologiques. Elles sont d’autant plus fréquentes que le régime sans gluten n’est pas ou mal suivi.
Dans les formes pauci ou asymptomatiques, la conduite à tenir suscite encore des controverses. Il y a les adeptes du régime strict sans gluten essentiellement dans le but de prévenir la survenue rare d’un lymphome non hodgkinien, d’autres donnent des directives de régime large dans les cas où le patient est peu motivé du fait de l’absence de signes cliniques.

Évolution

Sous exclusion, l’amélioration clinique peut être assez rapide : de quelques jours à quelques semaines. La réponse biologique des anticorps s’évalue à 6 mois et à 1 an, la réponse histologique de l’atrophie villositaire et de l’hyperlymphocytose à 1 an. L’absence de réponse après 6 à 12 mois, doit faire suspecter une mauvaise observance du régime voulu ou non par le patient, mais dans 5 % des cas on a pu noter une vraie résistance. Après avoir éliminé une prise de médicament contenant du gluten, un bilan approfondi s’impose en milieu spécialisé.

Régime

C’est un régime très contraignant puisque le gluten est présent dans tous les produits à base de blé comme la farine, le pain, les pâtes, les pizzas et dans beaucoup de produits issus de l’industrie agroalimentaire, où des additifs contenant du gluten sont utilisés comme agents de texture ou de stabilité. On exclut les plats cuisinés, les desserts et les entremets, les produits contenant de l’amidon, de l’amidon modifié ou des substances amylacées d’origine végétale. Une directive européenne impose que sur l’emballage soit spécifié la présence ou non de gluten pour ces substances (5). Il convient de se méfier des médicaments car ils peuvent contenir du gluten. La seule solution est d’apprendre aux patients la lecture attentive des étiquettes, avec si besoin le recours à une diététicienne. L’orientation des patients vers des associations de patients comme l’AFDIAG (l’Association française des intolérants au gluten) permet une meilleure prise en charge (6).
Depuis 1996, l’Assurance maladie prend en charge une partie des dépenses supplémentaires liées à la réalisation du régime sans gluten (arrêté du 30/04/96 publié au J.O. du 18/05/96). La prise en charge porte sur les farines sans gluten, les pains sans gluten, les pâtes sans gluten, les biscuits sans gluten.
L’observance du régime est une astreinte considérable. La liste des produits interdits est longue et la vigilance doit être extrême du fait de la nécessité dans un premier temps de l’exclusion totale. Le suivi du régime n’est pas toujours facile à réaliser et à suivre, surtout lors des déplacements.
Une approche multidisciplinaire pour aider l’athlète nouvellement diagnostiqué porteur d’une maladie coeliaque est importante. Toute interruption dans le régime sans gluten peut conduire à une reprise des symptômes ou à une diminution des performances. C’est toute une stratégie nutritionnelle qui doit être mise en place comme nous le montre l’article de Black qui relate ce qui a été mis en place pour un raid cycliste ultra-endurant (7).

L’observance du régime est une contrainte considérable. Le gluten est présent dans des aliments très courants, tels que la farine, le pain, les pâtes, les pizzas, etc.

La sensibilité au gluten sans maladie coeliaque existe-t-elle ?

La sensibilité au gluten sans maladie coeliaque est une nouvelle entité qui commence à être très étudiée (8, 9, 10, 15) et qui mérite donc d’avoir toute notre attention si on veut pouvoir apporter une réponse efficace aux sportifs qui en souffrent. Elle se manifeste par des symptômes intestinaux ou extra-intestinaux qui diminuent ou disparaissent après le retrait du gluten chez des personnes porteuses d’une muqueuse normale de l’intestin grêle et des résultats négatifs sur le dosage des anticorps sériques anti-transgluminases et antiendomysium. Certains évoquent une anomalie épithéliale innée existant indépendamment de l’immunité intestinale (11). Les chercheurs, dirigés par le Dr Alessio Fasano (12), ont constaté des différences entre la sensibilité au gluten et la maladie coeliaque au niveau moléculaire, et aussi dans les réponses du système immunitaire. Contrairement à la muqueuse duodénale des patients porteurs de maladie coeliaque, lors d’une incubation avec la gliadine, la muqueuse des patients atteints de NCGS (Non-celiac gluten sensitivity) n’expriment pas les marqueurs de l’inflammation, et il n’y a pas d’activation des basophiles par la gliadine (13).
Fasano estime que 6 % de la population présente une sensibilité au gluten, comparativement à 1 % avec la maladie coeliaque. L’évaluation de l’intégrité de la barrière intestinale (14) et du microbiote sont aussi à prendre en compte. Ce cadre nosographique mérite d’être approfondi car ces patients qui présentent une sensibilité au gluten subissent des retards diagnostiques préjudiciables à leur qualité de vie, à leurs performances physiques et psychologiques. Ils sont souvent étiquetés comme étant porteurs d’un syndrome du côlon irritable, sans véritable prise en charge efficace, et sont contraints de réaliser leur sport avec un inconfort digestif.

Pourquoi cette sensibilité au gluten ?

Notre alimentation a changé. Le gluten est un des composants alimentaires le plus abondant (15).
Nous consommons de plus en plus de produits industrialisés qui contiennent en outre du gluten. S’ajoute le fait qu’il y a une surconsommation de gluten, en particulier du blé : pain, sandwich, pizza, pâtes, pain bagna… Il convient de conseiller à nos sportifs une alimentation plus simple. La lecture des étiquettes permet souvent une prise de conscience du peu de naturel des plats préparés. Incitons-les à varier leur apport en sucres complexes en consommant régulièrement du riz, des légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots secs…), des pommes de terre, du quinoa, des pains à base de seigle, d’épeautre, de froment. Le froment est beaucoup plus tendre que le blé actuel qui a été sélectionné pour ses propriétés plus résistantes.
Le blé actuel (15) contient plus de quantité de 33-mer-gliadine-peptide, hautement toxique pour l’épithélium digestif.

Conclusion

Le médecin du sport devrait envisager la possibilité d’une maladie coeliaque ou d’une sensibilité au gluten dans l’évaluation des athlètes atteints de maladies inexpliquées prolongées (16). Toute diarrhée associée à un syndrome du côlon irritable doit faire pratiquer un bilan sérologique à la recherche d’une maladie coeliaque non détectée (17).
Il est important de bien inciter nos sportifs à varier leur apport en glucides complexes, de leur faire prendre conscience que l’on consomme trop de gluten et qu’entre le tout gluten et le sans gluten, on peut avoir une alimentation équilibrée en prônant la variété. Il convient de leur rappeler les effets d’une bonne mastication qui permet une meilleure digestion et l’enrobage des aliments par la salive qui contient un facteur de croissance, l’EGF (Epidermal growth factor) dont le rôle est de permettre une bonne trophicité de l’épithélium intestinal.

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