La vitamine D, la mitochondrie et le muscle squelettique : des liens étroits
La vitamine D, connue pour son rôle dans la croissance osseuse et la régulation du calcium, est une substance organique actuellement très étudiée, depuis que l’on a découvert ses rôles importants dans la majorité des processus vitaux de l’organisme. C’est la découverte du récepteur de la vitamine D au sein du muscle qui a focalisé l’étude de l’impact de son déficit sur le fonctionnement du tissu musculaire chez l’athlète. Des études récentes montrent que les niveaux de vitamine D sont en corrélation avec l’efficacité musculaire via une action mitochondriale.
Carence en vitamine D : très fréquente chez le sportif
Des carences même dans les pays ensoleillés
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, même les athlètes qui vivent dans des environnements ensoleillés sont exposés à un risque élevé de déficit en vitamine D.
Le suivi d’athlètes s’entraînant dans des pays ensoleillés (1) a révélé que 63 % des participants avaient des taux de vitamine D insuffisants, avec une prévalence plus élevée chez les danseurs (94 %), les joueurs de basket- ball (94 %) et ceux qui pratiquent le taekwondo (67 %). L’étude a révélé que 80 % des athlètes qui pratiquent des sports d’intérieur ont une carence, contre 48 % pour ceux qui pratiquent leur sport en extérieur.
Au Moyen-Orient (2), l’observation du taux de vitamine D chez les jeunes athlètes masculins en bonne santé a révélé que 81 % des athlètes étaient déficients, avec une concentration sérique inférieure à 20 ng/ml (50 nmol/l). Ceux qui présentaient des déficiences graves étaient significativement plus jeunes. La moitié s’est révélée avoir au moins une densité osseuse déficiente. Pour Hamilton (3), il n’y aurait pas de corrélation entre le taux de vitamine D, l’exposition au soleil, l’habillement et la coloration de la peau. On dit qu’il y a de mauvais synthétiseurs de vitamine D. En Tunisie (4), sur 150 athlètes de haut niveau, 14,7 % avaient une carence en vitamine D inférieure à 10 ng/ml (25 nmol/l), 55,3 % entre 10 et 20 ng/ ml (25 et 50 nmol/l) et 21 % entre 20 et 30 ng/ml (50 et 75 nmol/l). Les concentrations étaient significativement plus faibles chez les athlètes qui exerçaient à l’intérieur comparativement aux athlètes de plein air, ainsi que chez les athlètes de sexe féminin et les moins de 18 ans.
Plus de carence pendant les mois d’hiver
Supplémenter les athlètes en vitamine D évite son abaissement l’hiver. Chez les athlètes d’élite irlandais, boxeurs et paralympiques et ceux de la Gaelic Athletic Association, la supplémentation en vitamine D, avec 5 000 UI de vitamine D3 par jour pendant 10 à 12 semaines sur une année ou la prise de 50 000 UI une ou deux fois par an, a permis de corriger l’insuffisance en vitamine D. Chez les athlètes non supplémentés, l’insuffisance/ déficience en vitamine D a augmenté passant de 35 % avant l’hiver à 74 % aux tests du mois d’avril ou de mai (5).
L’étude de Close (6) portait sur l’évaluation du statut en vitamine D des sportifs professionnels non supplémentés en vitamine D basés au Royaume-Uni pendant les mois d’hiver et consistait à examiner les effets d’une complémentation vitaminique. Soixante-et-un sportifs professionnels ont été comparés à 30 adultes en bonne santé. Le but : faire l’état des lieux et examiner les effets d’un apport de 5 000 UI de vitamine D3 vs placebo pendant 8 semaines sur les performances musculo-squelettiques. Résultats : 62 % des athlètes et 73 % des témoins se sont retrouvés dans la zone d’insuffisance en vitamine D (< à 20 ng/ml soit 50 nmol/l). Comparativement au placebo, la compensation en vitamine D a entraîné une augmentation du temps de sprint et du saut en hauteur. Les auteurs concluent qu’une concentration en vitamine D inadéquate est préjudiciable à la performance musculo- squelettique chez les athlètes.
Les carences sont aussi à rechercher chez les garçons
L’objectif de l’étude de Ducher (7) était d’étudier la prévalence de faibles taux de vitamine D chez les jeunes danseurs de ballet masculin. Résultat : plus de la moitié des jeunes danseurs de ballet masculin de haut niveau présentaient de faibles taux de vitamine D en hiver.
La revue systématique et méta-analyse de Farrokhyar (2) a retrouvé 23 études incluant 2 313 athlètes, d’âge moyen 22,5 ans et comprenant en moyenne 76 % d’hommes. Résultats : sur 2 313 athlètes, 56 % avaient des taux de vitamine D insuffisants, avec une variation importante selon le lieu géographique. Le risque était plus élevé lors des saisons hivernales et printanières, pour des latitudes plus élevées, pour des activités sportives intérieures et des sports mixtes. Les auteurs rapportent une prévalence de blessures augmentée de 43 % chez ces athlètes, mais leur association avec le statut en vitamine D n’est pas clairement établie.
Pensez aux handisports
Une large étude a été menée en Suisse (8) sur 72 athlètes de haut niveau pratiquant en fauteuil roulant (âge moyen de 32 ± 13 ans) et exerçant différentes disciplines (le rugby, l’athlétisme, le cyclisme, le tennis, le ski alpin, le curling et le basket-ball). Au total, 73,2 % des athlètes tous échantillons confondus ont montré une insuffisance/ déficit en vitamine D. Le taux de vitamine D était significativement plus élevé pendant les mois d’été par rapport aux mois d’hiver (69,5 ± 21,4 nmol/l vs 51,5 ± 21,9 nmol/l ; p < 0,001). Les sports d’intérieur ont enregistré une diminution du taux de vitamine D plus fréquente (80,9 %) que les sports de plein air (70,1 %). Vu la fréquence élevée d’insuffisance en vitamine D chez ces sportifs de haut niveau pratiquant en fauteuil, les auteurs préconisent une supplémentation systématique, surtout pendant l’hiver.
En France
En France, les deux rapports de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et de l’Académie nationale de médecine (9) concluent que le déficit en vitamine D est extrêmement fréquent en France. Soixante-quinze à 80 % des Français présentent une insuffisance en vitamine D, définie par un taux sanguin en vitamine D 25(OH) inférieur à 30 ng/ml. Un Français sur deux présente un taux inférieur à 20 ng/ml. Par ailleurs, on considère qu’environ 5 % des Français ont une carence profonde en vitamine D (taux inférieur à 10 ng/ml) et sont exposés à un risque d’ostéomalacie (maladie osseuse de l’adulte équivalente au rachitisme chez l’enfant). En revanche, il existe finalement peu d’études sur la fréquence du déficit en vitamine D en milieu sportif français.
Carence en vitamine d et dysfonction mitochondriale
Des chercheurs de l’université de Newcastle au Royaume-Uni, dirigés par Akash Sinha (10), ont montré pour la première fois que la correction d’une carence en vitamine D pouvait conduire à une amélioration de la fonction oxydative mitochondriale dans le muscle squelettique. Ils ont étudié les temps de récupération de la phosphocréatine (Fig. 1) chez les patients présentant une carence en vitamine D. L’idée était de relier la fatigue, qui peut être un des signes d’une fonction mitochondriale suboptimale, avec la carence en vitamine D, cause bien connue de fatigue et de myopathie.

Figure 1 – La phosphocréatine, un réservoir d’énergie immédiatement disponible.
Cette étude novatrice et assez complexe a évalué de manière non invasive la phosphorylation oxydative mitochondriale du muscle soléaire par spectroscopie par résonance magnétique du phosphore 31. Douze sujets (âge moyen 34 ans) carencés en vitamine D, documentés cliniquement et biologiquement, ont été étudiés avant et après complémentation par le cholécalciférol (forme de vitamine D). Cette étude a été réalisée versus 15 témoins sains sans signes cliniques, investigués de la même façon. Ils ont constaté une amélioration significative de la récupération de la phosphocréatine après la prise d’une dose fixe de vitamine D pendant 10 à 12 semaines (en moyenne, le demi-temps de récupération de phosphocréatine a diminué de 34,4 s à 27,8 s, p < 0,001). Ce résultat était associé à une amélioration des taux sériques de vitamine D. Un modèle de régression linéaire a montré que l’abaissement du taux sanguin de la vitamine D était associé à une augmentation de la demi-vie de la récupération de la phosphocréatine. Rappelons que la phosphocréatine permet le stockage d’énergie dans le muscle pour répondre à des besoins énergétiques rapides et importants lors de l’effort (Fig. 1). Tous les patients ont rapporté une diminution de la fatigue due à une amélioration de l’efficacité musculaire. Celle-ci a été corrélée avec l’amélioration de la moyenne des taux sériques de vitamine D.
Tous les patients traités par le cholécalciférol ont rapporté une amélioration de la fatigue. Ceci montre que la production d’énergie au cours de la phase de récupération de l’exercice par le biais des mitochondries est altérée chez les sujets présentant un déficit en vitamine D. Cette équipe a également montré qu’un taux de vitamine D abaissé était associé à une fonction mitochondriale réduite. Cette étude fait pour la première fois un lien entre la vitamine D et les mitochondries chez l’homme, en montrant que la compensation de la carence en vitamine D par traitement au cholécalciférol entraîne une amélioration du métabolisme aérobie musculaire.
Les effets de la vitamine D sur la fonction squelettique
Le muscle est une cible importante pour le système endocrinien de la vitamine D (11, 12). On peut l’appréhender par l’étude de la myopathie sévère, une des conséquences majeures du rachitisme. Cette myopathie est présente aussi dans d’autres déficits sévères en vitamine D, comme l’insuffisance rénale chronique ou chez les patients porteurs d’une déficience génétique de CYP27B1. Ces myopathies sévères sont très rapidement corrigées par l’apport en vitamine D à dose adéquate.
La carence en vitamine D entraîne une instabilité musculaire
Les mécanismes moléculaires d’action de la vitamine D sur les tissus musculaires sont connus depuis plusieurs années. Les cellules musculaires possèdent un récepteur de la vitamine D (VDR) qui exerce ses actions via des effets génomiques et des effets non génomiques. Les effets génomiques sont initiés par la liaison du 1,25(OH)D à son récepteur nucléaire, ce qui entraîne des changements dans la transcription des gènes de l’ARN messager et la synthèse protéique ultérieure. Les effets non génomiques sont une augmentation de la biodisponibilité du calcium cytosolique via le système de la protéine kinase. Dans une étude chez des adolescentes pubères, les données ont conclu que la vitamine D était significativement associée à la puissance musculaire et la force (13). Les études réalisées, surtout chez les seniors, ont montré qu’un taux inférieur à 50 nmol/l était associé à un balancement du corps avec une démarche instable et un niveau inférieur à 30 nmol/l à une diminution de la force musculaire. La carence en vitamine D est souvent associée à une carence en calcium. Les signes cliniques peuvent être soit mineurs soit plus parlants comme des crampes et des douleurs musculaires diffuses. Le muscle cardiaque est certainement aussi concerné.
Le statut de la vitamine D peut être associé à la force musculaire
En danse, l’intervention a porté sur une supplémentation orale par 2 000 UI de vitamine D3 tous les jours chez 17 danseurs de ballet de haut niveau carencés, pendant les 4 mois d’hiver, versus 7 contrôles non supplémentés. Par rapport au groupe contrôle non supplémenté, les résultats ont permis de révéler une augmentation de la force musculaire isométrique (18,7 %, p < 0,01) et de la hauteur du saut (7,1 %, p < 0,01) en comparaison avec les performances antérieures sans supplémentation. Le groupe supplémenté a aussi présenté moins de blessures durant la période d’observation (p < 0,01) (14). De nombreuses études d’observation, principalement dans les populations plus âgées, indiquent que le statut en vitamine D est associé positivement à la force musculaire et la performance physique et inversement associé au risque de chute (15). Les essais cliniques de la supplémentation en vitamine D chez les personnes âgées ayant un faible statut en vitamine D rapportent principalement l’amélioration de la performance musculaire et la réduction des chutes. Une étude en double aveugle, randomisée, contrôlée contre placebo, a inclus 21 femmes âgées à mobilité réduite et aux taux abaissés de 25-hydroxyvitamine D [25(OH)D] à des niveaux allant de 22,5 à 60 nmol/l. L’administration de 4 000 UI/jour de vitamine D3 pendant 4 mois a montré une augmentation de la concentration intramyonucléaire du récepteur spécifique de la vitamine D (VDR) de 30 % et une augmentation de la taille des fibres musculaires de 10 %, étudiées en coupe transversale (FCSA) (16).
La prise de vitamine D s’oppose à la sarcopénie
L’importance de l’action de la vitamine D sur le muscle squelettique peut être appréhendée par les résultats de sa seule supplémentation sur la fonction musculaire des femmes ménopausées. Une étude en double aveugle contrôlée par placebo portant sur 160 femmes ménopausées d’âge médian de 50/65 ans et ayant présenté des chutes récentes a évalué l’effet d’une supplémentation en vitamine D3. L’apport de vitamine D3 a permis d’augmenter les valeurs moyennes de 25(OH)D alors qu’elles ont diminué dans le groupe placebo. Dans le groupe supplémenté en vitamine D, la force musculaire des membres inférieurs évaluée par le signe de se relever d’une chaise a été augmentée de manière importante (+ 23 %) contrairement au placebo où la baisse de la masse maigre s’est accentuée (17).
A retenir
L’efficacité musculaire s’améliore de façon significative quand le statut en vitamine D est contrôlé. Pour Sinha, cette action pourrait expliquer le rôle de la vitamine D dans des manifestations extrasquelettiques (10).
Conclusion
La vitamine D est impliquée dans les grands systèmes de l’organisme, ce qui n’est pas étonnant puisque l’homme a longtemps vécu dehors et que le soleil est ainsi une nourriture au même titre que l’oxygène, l’eau, l’alimentation. Chez nos sportifs, la vitamine D intervient à plusieurs niveaux sur le muscle squelettique, il est à noter qu’elle a aussi un rôle important dans le statut des hormones stéroïdes. Même si son dosage n’est plus remboursé, l’évaluation de son statut devrait faire partie du bilan de suivi. Les nombreuses études sont en faveur d’une supplémentation suivie pour les sportifs carencés ou à risque de carence. Se méfier, car même si le sportif vit au soleil, il existe de mauvais synthétiseurs, ce qui explique les taux très bas constatés chez des sportifs pratiquant en plein air et en pays ensoleillés. Les nouvelles recherches suggèrent un taux optimal situé entre 40 et 50 ng/ml (100 à 125 nmol/l). Pour certains, l’équilibre sera obtenu par un apport mensuel, mais le plus souvent la complémentation sera plus efficace en dose quotidienne. L’évaluation devra être clinique et biologique.