Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels

Anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments : de la physiopathologie à la prise en charge

Pr Guy Dutau (Allergologue, Pneumologue, Pédiatre)

C’est en 1980 que Sheffer et Austen (1) ont décrit l’anaphylaxie induite par l’exercice physique (AIEP) (1), mais les premières descriptions d’une forme particulière d’AIEP – l’anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments (AIEPIA) – sont dues à Maulitz et al. (2) en 1979, puis à Kidd et al. (3) en 1983…

En une trentaine d’années, le nombre de cas rapportés d’AIEPIA a considérablement augmenté, d’abord des cas isolés puis des séries, au fur et à mesure que ce syndrome était mieux connu (4). On peut évaluer à plus d’un millier le nombre des cas publiés, avec une sous-estimation probable, ce syndrome étant encore trop souvent méconnu. Actuellement, l’AIEPIA est décrite dans la plupart des pays du monde et à tous les âges. Une requête sur PubMed nous a permis de réunir 200 références d’articles entre 1979 et 2011.

Variable selon les individus, le tableau clinique est souvent identique chez un même patient : urticaire généralisé, angio-oedème, bronchospasme…

Aspects nosologiques et définitions

L’anaphylaxie d’effort regroupe au moins 4 situations différentes :
• l’anaphylaxie induite par l’exercice physique (AIEP) ;
• l’anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments (AIEPIA) ;
• l’anaphylaxie post-prandiale ;
• les anaphylaxies dites idiopathiques qui constituent souvent un cadre transitoire en attente d’un diagnostic.

L’AIEP est facile à distinguer de l’asthme induit par l’exercice physique (AIE) et des urticaires cholinergiques (UC) (Tab. 1). La lésion d’urticaire, punctiforme au cours de l’UC (2–4 mm), est large au cours l’AIEP (10-15 mm) (1, 5, 6) (Fig. 1 et 2). L’AIEP qui survient surtout au cours des activités d’endurance doit être différenciée des principaux accidents bien connus de la pratique sportive : hypoglycémie, déshydratation, rhabdomyolyse, accidents coronariens, troubles du rythme cardiaque, asthme et rhinites d’effort (7, 8), dysfonctionnement laryngée épisodique (9) (Tab. 1).

Au cours de l’AIEPIA, les symptômes d’anaphylaxie surviennent le plus souvent après l’ingestion d’un aliment particulier (auquel le patient présente une sensibilisation IgE-dépendante1) suivie d’un exercice physique, le plus souvent intense et/ou prolongé. L’anaphylaxie n’apparaît pas après l’ingestion de l’aliment ou après l’exercice physique seuls ; l’association de ces deux conditions est nécessaire pour que l’anaphylaxie apparaisse.

La consommation de l’aliment précède l’effort le plus souvent (≥ 80 %) ; l’inverse (effort puis consommation de l’aliment) est plus rare (≤ 20 %).

L’encadré 1 résume les cas index historiques mais typiques de Maulitz, de Kidd et de Novey (1, 2, 19).

L’anaphylaxie idiopathique (AI) ne relève d’aucun facteur déclenchant externe connu et/ou identifiable (11- 14). En 1995, Patterson et al. (11) ont estimé la fréquence de l’AI par questionnaire adressé à tous les diplômés du « Northwestern University Allergy- Immunology Fellowship training program » : 633 cas furent observés par 75 allergologues au cours des 31 années précédentes. Par extrapolation, ces auteurs ont estimé entre 20 592 et 47 024 (en moyenne 30 000) le nombre d’AI aux Etats-Unis (12). Les classifications de l’AI sont complexes, basées en particulier sur leurs symptômes, et sur la réponse aux corticostéroïdes (13) (Tab. 2).

• Figure 1 Urticaire cholinergique (main, poignet et début de l’avant-bras) : 2-4 mm.

• Figure 2 Urticaire d’effort : lésions confluentes 10 mm et plus (bras et avant-bras).

Encadré 1 – Les trois publications princeps.

• L’observation de Maulitz et al. (2) concernait un marathonien âgé de 31 ans qui courait 50 à 130 km/semaine dans le cadre de son entraînement. Ses symptômes survenaient uniquement lorsqu’il consommait des coquillages bivalves (clams) avant de courir. Il avait une sensibilisation IgE-dépendante et un test d’histaminolibération positif vis-à-vis de ces coquillages. Après éviction des clams, l’anaphylaxie ne devait pas récidiver.

• Kidd et al. (3) ont rapporté 4 cas d’AIEPIA. Dans un cas, l’anaphylaxie survenait si le patient effectuait un exercice moins de 2 heures après avoir consommé un aliment quelconque : ce n’est pas une AIEPIA sticto sensu, mais un syndrome de Novey (voir ci-dessous). En revanche, les 3 autres sujets avaient une AIEPIA induite par la consommation de céleri et l’exercice physique. Leurs prick tests cutanés étaient positifs pour le céleri frais. L’éviction du céleri avant l’exercice a permis de prévenir l’anaphylaxie.
• Novey et al. (9) ont rapporté le cas d’un militaire qui, après son repas, voulut se joindre à une course à pied de cadets et se mit à les suivre dans leur course d’entraînement. Au bout d’une dizaine de minutes, il développa des symptômes d’anaphylaxie prurit cutané, sensation de chaleur, urticaire, angio-oedème, puis une syncope. Dans ce cas particulier, il n‘existait pas de sensibilisation IgE-dépendante à un aliment particulier comme chez le patient n°1 de Kidd et al. Des test de provocation furent effectués à jeun avec des habits permettant de dissiper la chaleur (A), à jeûn avec des habits retenant la chaleur (B) et après un repas (C). On observa une diminution de la pression sanguine après les tests A et B, mais la reproduction des symptômes ne fut obtenue qu’avec le test C. L’histaminémie était normale avant et après ces tests. Les symptômes de ce syndrome, différent de l’AIEPIA, sont expliqués par un désamorçage cardiaque dû à une rétention sanguine dans les muscles et le territoire splanchnique faisant suite au processus de digestion.

Epidémiologie

Une revue de la littérature, publiée en 1998, a porté sur 150 cas, avec sex ratio M/F de 1 (14). Elle a montré que le nombre des publications venant des pays asiatiques était très important, pour des raisons non élucidées (14). Dans une étude japonaise de Tanaka (15), l’incidence de l’AIEPIA, nulle dans les crèches et les garderies, était de 0,06 % dans les écoles primaires et de 0,21 % dans les lycées et les universités (15). En général, les maîtres d’école ne savent pas qu’un effort doit être réalisé au moins 3 heures après la prise d’un repas. Seul un instituteur sur 3 a entendu parler de l’AIEPIA (15).

Dans une étude effectuée à Yokohama par Aihara et al. (16), la prévalence de l’AIEPIA a été de 0,017 % chez 76 247 étudiants. Pour mémoire, celle de l’AIEP était 2 fois plus élevée (0,031 %). Dans cette étude, l’AIEPIA n’était connue que par le tiers des étudiants interrogés et, parmi les 13 qui furent détectés, 4 n’avaient pas bénéficié du bon diagnostic.

Une étude récemment publiée (16 bis), effectuée en 2004 et 2005 dans le service des urgences d’un hôpital universitaire de Madrid, a permis d’estimer l’incidence de l’anaphylaxie à 0,9 (IC 95% : 0,8-1,1) pour 1 000 passages aux urgences. Dans la population générale, elle a été estimée à 0,8 épisodes pour 1 000 individus (IC 95% : 0,7-0,9).

L’analyse des causes des 213 cas d’anaphylaxie recueillis a montré les causes suivantes : aliments (28,6 %), médicaments (28,2 %), Anisakis (10,8 %), piqûres d’hyménoptères (3,3 %), exercice (2,4 %), latex (0,9 %) mais dans plus d’un quart des cas, la cause est inconnue (27,2 %).

Symptômes et diagnostic

Critères cliniques

Le diagnostic de l’AIEPIA nécessite la réunion des 4 critères de diagnostic de l’AIEP (Tab. 3) en plus desquels on exige l’association de l’ingestion d’aliments et d’un exercice physique :
• les symptômes surviennent 15 à 30 minutes après le début de l’effort ;
• le délai maximum entre l’ingestion et le début des symptômes est de 3 heures et demie, souvent inférieur ;
• le délai entre le début de l’exercice et l’apparition des premiers signes va de 5 à 15 minutes ;
• les prodromes sont constants (prurit de la paume des mains et de la plante des pieds, paresthésies) suivis par des symptômes respiratoires (éternuements, rhinite, toux, dyspnée), cutanés (flush, prurit généralisé), digestifs (douleurs abdominales) (4, 11) (Encadré 2)…

Variable selon les individus, le tableau clinique est presque toujours identique chez un même patient : urticaire généralisée, angio-oedème, bronchospasme, diarrhée, collapsus (Fig. 3 et 4). Le choc anaphylactique peut entraîner des séquelles neurologiques et mettre également en jeu le pronostic vital. Si le patient arrête l’exercice dès l’apparition des prodromes (prurit palmaire et plantaire), l’évolution est en général régressive (4, 5, 17).

Encadré 2 – Observations personnelles à titre d’exemple.

Observation n°1

José V., un adolescent de 15 ans, atopique (rhino-conjonctivite par allergie pollinique), a présenté à 2 reprises une urticaire aiguë, des sifflements respiratoires (bronchospasme) et une hypotension au cours d’un match de basket-ball. Les deux fois, il a été admis aux urgences : adrénaline IM, corticoïdes IV, antihistaminiques H1. A chaque fois, il avait consommé une pomme avant de commencer le match. Le prick test cutané (PTC) avec la pomme fraîche est fortement positif (12 mm) pour un témoin histamine positif (4 mm). Le dosage des IgE sériques (IgEs) est également positif (75 kUA/l). Il est également allergique aux pollens de graminées (phléole PTC : 15 mm, IgEs >100 kUA/l). On conseille la “règle des 3 heures” avant le repas et l’exercice physique et l’éviction de la pomme. Pas de récidive, chez un adolescent qui continue à jouer au basket.

 

Observation n°2

Bertand S., 30 ans, atopique (rhinite allergique et asthme léger guéri), sportif accompli, pratique à un excellent niveau le cyclisme et la course à pied. En cette matinée de mai, il a choisi la course à pied, pour accomplir un aller et retour d’une quinzaine de kilomètres qui, partant du centre-ville, va le conduire sur un chemin de halage au bord du canal du Midi. A l’âge de 12 ans, il a présenté des symptômes d’asthme et de rhinite. L’exploration allergologique a montré une allergie à Dermatophagoïdes pteronyssinus (7 mm) et aux pollens de graminées (phléole : 11 mm, dactyle : 10 mm). Le traitement a consisté en une éviction des acariens et une immunothérapie spécifique aux pollens par voie sous-cutanée pendant 3 ans qui ont nettement amélioré sa situation : disparition de l’asthme, rhinite en cas de forte exposition pollinique, mais contrôlée par les antihistaminiques H1.

Il court depuis une dizaine de minutes lorsqu’il ressent un prurit au niveau des jambes et des cuisses qu’il attribue au port d’un cuissard neuf. Mais ses démangeaisons augmentent vite, avec surtout un prurit de la paume de ses mains et de la plante de ses pieds. Il continue néanmoins de courir, prévoyant de faire demi-tour au bout d’une demi-heure. Le tableau se complète alors : sensation de fatigue (inhabituelle pour lui) et urticaire diffuse. Le retour sera très difficile : augmentation de l’urticaire, conjonctivite, toux, oppression thoracique. Arrivé chez lui, il verra que ses lèvres ont gonflé. Gêné pour respirer, il inhale plusieurs bouffées d’un bêta2-mimétique d’action rapide. Pensant soulager ses démangeaisons, il prend aussi un bain, mais l’aggravation des symptômes lui fait appeler le SAMU. Après administration IM d’adrénaline, bêta2- mimétiques inhalés et corticoïdes IV, il sera hospitalisé pendant 24 heures. L’AIEPIA était inconnue du médecin urgentiste, mais l’auteur de ce texte indiquera le bon diagnostic. Quelques minutes avant de partir pour courir, il avait consommé quelques noix. Le PTC sera positif aux noix (8 mm) avec un témoin (phosphate de codéine) positif (3 mm). Le dosage des IgEs est également positif (34,16 kUA/l). L’interrogatoire ne montre pas d’allergie alimentaire à la noix, ni à l’arachide ou aux autres fruits à coque. Ce patient présente donc une AIEPIA à la noix. Les prescriptions seront simples : éviction des noix et des fruits à coque, respect de la règle des 3 heures avant l’effort. Pas de récidive avec un recul de plus de 8 ans.

 

Observation n°3

Un écolier non atopique consomme son repas à la cantine scolaire et le termine à 13h15. Tout de suite après, il va jouer au ballon avec des camarades dans la cour. Au bout de 10 minutes, il présente des démangeaisons généralisées, puis une urticaire, un œdème du visage et un malaise. Il sera admis 24 heures aux urgences : adrénaline IM + antihistaminiques H1. Le bilan allergologique sera totalement négatif. Il s’agit ici d’une anaphylaxie d’effort. Le mécanisme associe la prise d’un repas (quels que soient les aliments), l’effort, l’augmentation de la température corporelle, l’insuffisance de l’apport sanguin due à la séquestration sanguine post-prandiale dans le territoire splanchique (syndrome de Novey). La règle des 3 heures est rappelée. En milieu scolaire, il est encore trop fréquent que des activités physiques soient proposées aux enfants trop vite après le repas.

• Figure 3 Angio-oedème du visage : le bas du visage et les lèvres sont gonflées, flush.

• Figure 4 Urticaire généralisée, angio-oedème du visage, important oedème des paupières.

Exploration allergologique

Le diagnostic est basé sur une étude soigneuse de l’anamnèse, la recherche d’une sensibilisation alimentaire IgE-dépendante, les épreuves de suppression – réintroduction de l’aliment soupçonné après une éviction d’un mois – et, éventuellement, les tests de provocation.

Les prick tests cutanés (PTC) sont réalisés avec un allergène commercial ou, de préférence, avec l’aliment frais (18). Ils sont positifs si la papule mesurée au bout de 15-20 minutes est d’au moins 3 mm de diamètre (souvent très nettement supérieure) avec test témoin négatif2 et un test à l’histamine3 positif. La positivité du dosage des IgE spécifiques (IgEs) contre l’allergène alimentaire suspecté permet d’étayer le résultat du TPC4. Actuellement, l’allergologie moléculaire permet des diagnostics plus précis grâce (en particulier) au dosage des IgEs contre certains allergènes de recombinaison (voir plus loin). La gravité des symptômes justifie l’établissement d’un diagnostic précis par la réalisation de tests de provocation en milieu spécialisé5, si les conditions éthiques le permettent, en particulier avec le consentement éclairé du patient et/ou de sa famille.

 

 

Tests de provocation

Les tests de provocation font appel à des protocoles standardisés ou réalistes au cours desquels sont enregistrés les symptômes, la pression sanguine, les débits expiratoires, l’histaminémie et surtout la tryptase sérique, après l’ingestion de l’aliment suivie de l’exercice physique. Voici quelques exemples.

Caffarelli et al. (19, 20) préconisent l’utilisation du test de provocation chez l’enfant lorsque plusieurs aliments sont soupçonnés, afin d’éviter des évictions alimentaires non justifiées. Chez deux adolescents, où 8 et 6 aliments étaient respectivement soupçonnables au vu des résultats des PTC et des IgEs, le test de provocation (ingestion de l’aliment + effort) est positif pour la tomate et le blé (chez le premier) et pour la pomme de terre, la cacahuète et la tomate (chez le second) (19, 20). Les symptômes au cours des tests de provocation étaient le wheezing, la rhinoconjonctivite, l’angio-oedème, l’urticaire généralisée (20).

Dohi et al. (17), réalisant une épreuve d’effort chez 10 patients, ont obtenu des résultats variables : prurit, flush, papules d’urticaire de diamètre supérieur à 10 mm (3 cas), sibilances (2 cas), élévation de l’histaminémie (6 cas). Après l’ingestion de l’aliment suivie d’un second exercice physique, 3 patients sur 7 présentent une nouvelle augmentation de l’histaminémie, non retrouvée chez les témoins (17). Toutefois, l’AIEPIA n’est pas toujours reproductible. De plus, un test de provocation négatif n’élimine pas le diagnostic (5). Pour des raisons techniques et éthiques, les tests de provocation réalistes ne sont pas réalisés dans beaucoup de centres.

Causes et facteurs favorisants

Aliments en cause

Les aliments en cause au cours de l’AIEPIA sont d’une très grande variété : pain ou pâtes alimentaires (20-26), céleri (27, 28), fruits de mer de type coquillages et crevettes (2, 29), tomate (5, 20), lentilles (20), raisin (16), pomme (17, 30, 31), noisette (32), orange (33), cacahuète (19, 20), lait de vache (5), et, plus récemment, escargot (34), oignon (35), sarrasin (36) (Encadré 3)…

Dans un cas, du salami colonisé par une moisissure (Penicillium lanoso-caeruleum) était incriminé (37). Dans un autre cas, l’AIEPIA n’apparaissait que si l’effort précédait la consommation de deux sortes aliments, de la farine de blé et un umeboshi, aliment traditionnel au Japon (fruit de Prunus mume ou ume consommé sous forme de pickles). Cette séquence fut confirmée par les tests de provocation réalistes (38).

Plusieurs études confirment aussi le rôle de la gliadine du gluten et permettent d’individualiser une forme d’AIEPIA induite par la gliadine (voir paragraphe : « Aspects physiopathologiques »).

Encadré 3 – Observations d’AIEPIA sévères mettant en jeu le pronostic vital.

De nouveaux allergènes sont régulièrement incriminés : escargot (33), oignon (34), sarrasin (35). Ces observations témoignent de la haute gravité que l’AIEPIA peut revêtir.

 

• Un garçon âgé de 14 ans effectua un exercice physique une heure après un repas comportant beefsteak, escargots, pain et confiture (33). Au bout de 15 minutes de course à pied, il éprouva une gêne respiratoire, un bronchospasme résistant aux bêta2-mimétiques, une urticaire généralisée, des vertiges et un collapsus. En réanimation, il eut des convulsions, fut intubé et placé sous assistance respiratoire pendant 12 heures. Il était sensibilisé aux acariens (PTC positif), aux crabes et aux escargots et avait des IgE sériques spécifiques dirigées contre l’escargot (IgEs de classe 3) (33). Le test d’effort (seul) et le test de provocation oral à l’escargot (seul) furent négatifs. La réalisation d’un test de provocation réaliste (ingestion d’escargot + effort physique) a été considérée comme contraire à l’éthique (33).
• Une jeune femme avait déjà présenté plus de 10 épisodes d’anaphylaxie jusquelà sans diagnostic précis. Pourtant ces épisodes étaient associés à l’effort (course à pied) (34). Les deux derniers épisodes furent graves. Une heure avant l’exercice, la patiente avait ingéré de l’oignon vis-à-vis duquel elle était fortement sensibilisée (IgEs vis-à-vis de l’oignon > à 100 kUA/l) (34).
• Un cas survenu chez une fillette japonaise âgée de 8 ans a été mortel (34). Après avoir consommé des nouilles au sarrasin (plat appelé “zaru soba”), elle effectua un exercice vigoureux (natation). Trente minutes plus tard, elle développa des symptômes d’anaphylaxie : douleurs abdominales, vomissements, toux, oppression thoracique, perte de connaissance, arrêt cardiorespiratoire. Après réanimation, son coeur se remit à battre, mais elle ne reprit pas connaissance et décéda d’un second arrêt cardiorespiratoire 13 jours plus tard. L’examin sanguin post mortem révéla une hyper-IgE (2 840 UI/ml) et des IgEs dirigées contre le sarrasin (34).

Type d’effort

L’ingestion de l’aliment précède l’exercice physique dans plus de 80 % des cas. Il s’agit le plus souvent d’efforts prolongés, mais l’AIEPIA peut aussi survenir après des efforts modérés, voire minimes.

Dans l’étude de Dohi et al. (17) sur 11 cas, la marche et/ou la course à pied sont impliquées 7 fois, devant le basket-ball (2 fois) et d’autres activités (ping-pong, golf, tennis, volley-ball, badmington, danse, gymnastique “aérobic”). La course à pied et la natation sont souvent en cause. La durée de l’exercice est de 5 à 10 minutes ou plus. Pour un même individu, l’exercice est toujours le même ou, beaucoup plus rarement, d’une autre nature (39).

 

Facteurs favorisants

L’AIEPIA est favorisée par plusieurs conditions comme le froid (31), un amalgame dentaire (40), des médicaments comme l’aspirine, un anti-infl ammatoire, le propranolol (17, 27, 41), l’alcool qui, d’une façon générale, est un facteur favorisant d’AIEP.

Garcia-Robaina et al. (42) ont rapporté le cas d’un jeune homme âgé de 19 ans qui développa à 2 reprises une anaphylaxie après l’ingestion de raisin et un effort prolongé (1 heure de course à pied). Il développa un an plus tard des symptômes d’allergie après avoir bu deux verres de vin rouge. En fait, dans ce cas, l’alcool n’était pas en cause, le responsable étant une protéine de transfert lipidique de 13 kDa présente dans le raisin et la pêche, ainsi que dans le vin que ce patient avait consommé (42).

Aspects physiopathologiques

Atopie

L’atopie est observée chez la moitié des patients, le plus souvent atteints d’allergies polliniques. Les sensibilisations alimentaires IgE-dépendantes restent infracliniques si l’aliment est ingéré seul. L’exercice physique est un cofacteur indispensable pour révéler l’allergie alimentaire.

 

Dégranulation non spécifique des mastocytes

Le rôle de la dégranulation non spécifique des mastocytes est documenté par l’augmentation du diamètre de la papule provoquée par le phosphate de codéine après l’ingestion d’un aliment suspect suivi d’un effort.

Lin et Barnard (43) ont effectué des PTC avant (4,17 mm) et après l’ingestion de soupe chinoise suivie d’un exercice physique (6,33 mm) : le diamètre de la papule induite par le TPC a augmenté de 52 % et, en revanche, les PTC à l’histamine seule ou à l’aliment seul n’ont subi aucune modification. La libération de substances opioïdes au cours de l’exercice physique serait à l’origine d’une dégranulation non spécifique des mastocytes (43).

Kivity et al. (44) ont comparé les pricktests à l’histamine (0,01 mg/ml) et au composé 48/80 (à la dose de 0,5 et 2,5 mg/ml) avant et après des tests de provocation faisant appel à l’ingestion isolée de l’aliment (A), à la réalisation isolée d’un exercice (B) et à l’ingestion de l’aliment suivie de l’exercice physique (C) chez 5 patients atteints d’AIEPIA âgés de 9 à 24 ans. Les tests de provocation furent positifs dans 4 cas sur 5, uniquement quand l’exercice fut précédé par l’ingestion de l’aliment incriminé (C). Les auteurs ont observé alors une augmentation de plus de 200 % de la réaction cutanée au composé 48/80, tandis que les tests à l’histamine étaient inchangés (44).

L’absence de modification des PTC après l’ingestion d’aliment ou l’exercice physique seuls suggère que la dégranulation non spécifi que des mastocytes exige la combinaison de l’ingestion d’aliment et de l’effort (44). Les émotions, mais également le froid, induiraient aussi cette dégranulation comme dans le cas de Li et al. où les tests de provocation ont permis toutefois d’innocenter les aliments (blé et soja) et d’incriminer l’association froid + exercice (45).

 

Rôle du système nerveux autonome

L’intervention du système nerveux autonome a été documentée par Fukotomi et al. (46) chez 4 enfants âgés de 12 à 14 ans. Cette étude complexe associant ingestion d’aliments, effort et tests posturaux, révèle une augmentation de l’activité parasympathique et une diminution du tonus sympathique (46).

 

Allergie à la gliadine

Lorsque les premiers cas ont été publiés, on s’est vite aperçu que les farines de céréales (en particulier le blé) contenues dans le pain et les pâtes alimentaires étaient souvent incriminées (5, 21, 26). D’autres études ont permis d’individualiser un sous-groupe d’AIEPIA avec sensibilisation aux céréales, en particulier au blé (23, 24, 47-49). Les travaux d’une équipe finlandaise ont alors permis de mettre en cause la gliadine du gluten (25, 50, 51), ce qui a été confirmé par d’autres travaux japonais (52-54).

En 1999, Palosuo et al. (25) ont étudié 18 patients atteints d’AIEPIA, 11 hommes et 7 femmes, âgés en moyenne de 32,3 ans (18-56 ans). Les symptômes d’anaphylaxie sévère (choc chez 15 sur 17) ne survenaient que si l’exercice physique (course à pied, marche, squash, cyclisme, golf) était précédé par l’ingestion d’aliments à base de blé (pain, pâtes, pizzas, gâteaux, muesli). 13 d’entre eux (72 %) avaient des IgE anti-g-gliadine contre 2 seulement chez 54 témoins (3,7 %). Les PTC furent positifs dans 15 cas sur 15 pour la farine de blé, un extrait de gliadine commercial (Sigma Chemical®) et la g-like-gliadine. En revanche, les PTC n’étaient positifs à l’a-gliadine que dans 4 cas (25).

Un régime sans gluten fut prescrit, suivi de résultats très spectaculaires puisque les 14 patients qui observèrent parfaitement le régime n’eurent plus aucun symptôme d’AIEPIA. En revanche, les 4 qui consommèrent par inadvertance des aliments contenant du gluten développèrent de 1 à 5 nouveaux épisodes d’anaphylaxie (25).

Plusieurs études ultérieures ont montré certains points :
• parmi les diverses gliadines, l’ω-5 gliadine, allergène majeur du blé (Tri a 19), est l’allergène en cause au cours de l’AIEPIA au blé et à d’autres céréales comme le seigle et l’orge ;
• l’exercice physique active la transglutaminase intestinale qui forme des conglomérats avec l’ω-5 gliadine acquérant alors une capacité plus importante à se fixer aux IgEs et à provoquer la dégranulation des mastocytes ;
• l’aspirine est l’un des facteurs qui augmente la perméabilité intestinale et le passage des allergènes ;
• la chaleur, souvent associée à l’AIEP et à l’AIEPIA, augmente la perméabilité intestinale aux allergènes alimentaires (50-58).

 

Température corporelle

Le froid, mais aussi la chaleur, peuvent intervenir. Une variété d’anaphylaxie d’effort a été décrite par Zuberbier et al. (59). Chez une femme de 43 ans qui, depuis 15 ans, avait présenté de nombreux épisodes d’angio-oedème, l’interrogatoire montra que ce symptôme survenait toujours si l’ingestion d’aliments (quels qu’ils soient) était suivie d’un exercice physique et d’un bain chaud. L’ingestion d’un petit déjeuner (riz froid) suivie d’un bain chaud (40°C pendant 15 minutes) a reproduit un important angio-oedème périorbitaire persistant 48 heures. En revanche, la prise du petit déjeuner seul ou le bain chaud seul était incapables de provoquer le moindre symptôme (59). Il fut recommandé à cette patiente de réaliser ses activités physiques au cours de la matinée.

Ultérieurement, plusieurs études ont confirmé l’observation de Zuberbier, montrant que la chaleur, l’effort, et l’aspirine augmentaient le taux des peptides de gliadine dans la circulation sanguine, ce qui favorise la formation d’agglomérats de gliadine (55-58).

Au total, la pluralité des mécanismes et des facteurs favorisants invoqués suggère l’existence de plusieurs sous-groupes d’AIEPIA.

Aspects thérapeutiques

Prévention

La prévention repose sur la “règle des 3 heures” : tout exercice physique, entraînement ou compétition, doit être effectué au moins 3 heures après le dernier repas (13). Pour plus de sûreté, certains recommandent un délai de 5 heures (11). Le consensus PRACTALL (Practicing Allergology or Practical Allergy report) indique 2 à 4 heures aussi bien pour les sportifs amateurs que pour ceux qui pratiquent la compétition. Les exercices physiques, en particulier prolongés, doivent être pratiqués en dehors des fortes chaleurs (58).

Il est fortement déconseillé de prendre de l’alcool, de l’aspirine ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens avant l’effort. Les boissons (eau) seront abondantes au cours de l’effort. S’il est nécessaire de consommer des barres énergétiques au cours de l’effort, il faut se méfier des aliments masqués dans les produits énergétiques pour sportifs (barres de céréales pouvant contenir des fruits et/ ou de l’arachide) (21).

Plusieurs options thérapeutiques ont été proposées, le plus souvent à titre individuel et, de ce fait, ne sont pas validées.

• Juji et Suko (59), utilisant le cromoglycate disodique (CGDS) dans un cas où l’éviction du blé était difficile, ont pu prévenir les symptômes, la baisse des débits expiratoires, et l’augmentation de l’histaminémie. Dans un autre cas, le CGDS prévenait la chute des débits expiratoires induite par le test de provocation (16).

• Dans le cas de Choi et al. (49), le kétotifène (1 mg, 2 fois par jour) prévient les symptômes de l’AIEPIA avec un recul de 6 mois.

• Pour Katsunuma et al. (60), la prise de bicarbonate de sodium avant l’effort prévient l’apparition des symptômes lorsque les aliments responsables contiennent du blé : le bicarbonate de sodium préviendrait la baisse du pH sanguin secondaire à l’élévation de l’histaminémie (60).

• Dans un autre cas des mêmes auteurs (40), l’ablation d’un amalgame dentaire a été associée à la disparition des symptômes d’AIEPIA.

• Au cours de l’anaphylaxie dépendante de l’ingestion de farine de blé et de l’exercice physique, Palosuo et al. (25) recommandent un régime sans gluten.

 

Traitement symptomatique

Il faut arrêter l’exercice dès l’apparition des prodromes (en particulier les prurits palmaire et plantaire) : les symptômes d’anaphylaxie peuvent alors régresser. En cas d’anaphylaxie aiguë, le patient doit recevoir des soins urgents, en premier lieu une injection d’adrénaline par voie IM (0,01 mg/kg à 1 mg/ml) et bénéficier de secours médicalisés urgents de type SAMU : appel du 15 (téléphone fixe) ou du 112 (téléphone portable) (60, 61).

Il est préférable d’utiliser un stylo auto- injecteur (Anapen®) à la dose de 0,15 mg (poids < 20 kg) et 0,30 mg (> 20 kg) par injection intramusculaire (61).

Tilles et al. (27) recommandent que le patient se fasse accompagner au cours de l’exercice par un ami capable de lui injecter de l’adrénaline ! Les enfants atteints d’AIEPIA scolarisés doivent bénéficier d’un projet d’accueil individualisé insistant sur le respect de la “règle des 3 heures” entre repas et effort physique.

 

Evolution sous traitement

L’évolution naturelle de l’AIE se fait vers l’amélioration. Chez 279 patients, Shadick et al. (63) ont montré que la fréquence de l’AIE, mais également celle de l’AIEPIA, diminuait de moitié au bout de 10 ans d’évolution, sous réserve de mesures préventives, en particulier éviter de manger avant un exercice physique (37 % des cas).

Conclusions

L’AIEPIA est une variété d’anaphylaxie d’effort. Même s’il existe de multiples facteurs associés et déclenchants, cette forme d’anaphylaxie mérite d’être bien individualisée (non englobée dans l’AIEP) et un enseignement spécifique, en particulier auprès des urgentistes et des spécialistes de médecine du sport. Un sous-groupe concerne probablement des patients sensibilisés aux gliadines qui pourraient bénéficier d’un régime sans gluten. Dans tous les cas, la prévention repose sur des mesures simples :

• observer la “règle des 3 heures” entre les repas et l’exercice physique ;

• éviter les efforts pendant les fortes chaleurs ;

• faire attention aux aliments masqués dans les plats et les produits énergétiques pour sportifs ;

• éviter les médicaments avant un l’effort ;

• boire de façon abondante pendant l’effort.

1- Ou sensibilisation IgE-médiée : état d’un individu qui présente des tests cutanés d’allergie et/ou des dosages d’IgE sériques spécifiques positifs pour un ou plusieurs allergènes, mais sans aucun symptôme clinique après l’exposition à ces allergènes. Un individu est dit “allergique” lorsqu’il présente une sensibilisation + des signes cliniques à l’exposition avec le (ou les) allergènes correspondants.

2. La négativité du témoin au solvant ou sérum physiologique (NaCl à 9%) permet d’éliminer un dermographisme.
3. La positivité du test à l’histamine (10 mg/ml) ou au phosphate de codéine (9%) permet de s’assurer que la peau est réactive, les mastocytes n’étant pas inhibés par un traitement antihistaminique qu’il faut arrêter une semaine avant les tests cutanés d’allergologie. En revanche, les dosages d’IgE ne sont pas affectés par le traitement.
4. La positivité des PTC et/ou des IgEs est synonyme de « sensibilisation » et non d’allergie (sensibilisation + symptômes cliniques après l’ingestion de l’allergène alimentaire).
5. En hôpital de jour d’allergologie possédant tous les moyens de réanimation, à proximité ou sous la supervision d’une unité de réanimation.

Revues

Médecins du sport

Cardio & sport

Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels