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Dent de sagesse et cyclisme de haut niveau

Dr Frédéric Denis (Membre de l’encadrement technique du comité de Bourgogne de cyclisme, odontologiste - praticien hospitalier, CH La Chartreuse, Dijon)

Les rubriques sportives évoquent régulièrement les contre-performances des cyclistes qui ont été gênés par des problèmes dentaires, et plus particulièrement par des infections liées aux dents de sagesse. Par exemple, en 1997, Les dernières nouvelles d’Alsace relataient les 3 semaines de préparation perdues par Richard Virenque, vainqueur potentiel du Tour, contraint, à quelques semaines du départ de la grande boucle, de se faire extraire une dent de sagesse. En 2011, le coureur luxembourgeois Andy Schleck, vainqueur du tour l’année précédente, a dû interrompre précocement sa saison pour subir l’extraction d’une dent de sagesse inférieure qui lui posait régulièrement problème. Il a ainsi dû déclarer forfait pour les championnats du monde au Danemark. Mark Cavendish, l’un des meilleurs sprinters du monde, a connu un début de saison 2010 catastrophique. Le site d’extraction d’une dent de sagesse retirée l’hiver s’était infecté et, contraint de se soigner, il a pris du retard dans sa préparation hivernale et hypothéqué sa première partie de saison. Cette année, Jussi Veikkanen, le Finlandais de la Française des jeux, a dû renoncer au tour d’Italie pour se faire opérer des dents de sagesse…

Si une infection dentaire a des conséquences évidentes sur le niveau de performance d’un sportif, la symptomatologie de la dent de sagesse est plus singulière. En effet, sur la base de données cliniques objectives, le problème lié aux dents de sagesse est fortement prévisible. Ainsi, dans le cadre d’un bilan dentaire annuel que tout athlète de haut niveau doit réaliser, l’indication de l’extraction préventive de ces dents doit être discutée.

Les problèmes dentaires sont fréquents chez les cyclistes de haut niveau.

Cyclisme de haut niveau et dysfonction immunitaire

L’impact de l’entraînement sur les différents acteurs du système immunitaire est global, tant sur l’immunité cellulaire et humorale que sur les acteurs de la communication. Au cours de l’exercice, on constate une augmentation des polynucléaires neutrophiles, également observée en période de récupération pendant presque 24 h. La fonction phagocytaire va diminuer. Si les cellules augmentent, elles sont donc dans le même temps moins fonctionnelles. Cette baisse de fonctionnalité perdure aussi jusqu’à plus de 24 h. En ce qui concerne les lymphocytes, on constate une augmentation au cours de l’exercice physique, puis une dépression, avec des taux significativement inférieurs à ceux relevés au cours de l’exercice.

La diminution du nombre des acteurs du système immunitaire (ou la diminution de la capacité fonctionnelle de ces différents acteurs en période de postexercice) donne naissance à une période de vulnérabilité. Le système immunitaire est donc temporairement déprimé à la suite d’un exercice long et intense. La période de récupération est donc très importante pour minimiser cette période de fragilité immunologique. Or, les athlètes de haut niveau s’entraînent plus d’une fois par jour et sont particulièrement exposés à cette période de fragilité.

Les cytokines, actrices de communication pour les cellules immunocompétentes, sont également profondément perturbées par l’exercice physique ; nous retrouvons globalement la même situation avec les interleukines que celle que l’on peut rencontrer lors d’un choc septique (1, 2, 3).

Date d’éruption et anomalies d’évolution

La 3e molaire mandibulaire ou “dent de sagesse” fait son éruption sur l’arcade entre 16 et 25 ans. C’est la seule dent qui se développe entièrement après la naissance (4). La dent de sagesse migre vers la gencive en se verticalisant au contact de la face postérieure de la 2e molaire.

Par manque de place dans l’angle rétromolaire mandibulaire ou par un redressement d’axe trop important que la dent de sagesse ne peut réaliser, elle reste en inclusion dans l’os mandibulaire en totalité (dent incluse) (Fig. 1).

Cette dent peut néanmoins émerger partiellement dans la cavité buccale, mais rester bloquée sous la face postérieure de la 2e molaire. On parle alors de “dent enclavée” ou “en désinclusion” (Fig.2).

Concernant le maxillaire, l’absence d’obstacle osseux lui permet de faire plus facilement son éruption (5). Néanmoins, pour la mandibule, des auteurs comme Buisson trouvent en France une fréquence d’inclusion de 58,5 % de la 3e molaire mandibulaire (6). Dans la littérature étrangère, Hugoson et al. trouvent que 72,7 % des suédois âgés de 20 à 30 ans ont au moins une 3e molaire incluse ou enclavée (7).

La couronne de la dent est alors plus ou moins complètement exposée sur l’arcade. La partie restante est recouverte par ”un capuchon muqueux“ qui est à l’origine d’accidents infectieux (Fig. 3).

Ce capuchon est un lieu de stagnation salivaire, d’accumulation de débris alimentaires et de bactéries qui ne peuvent s’évacuer complètement. Cela provoque des inflammations et des suppurations que l’on appelle “accident d’évolution”. Il se manifeste localement par une inflammation des tissus périphériques qui entourent la dent causale, c’est la péricoronarite (8, 9).

Figure 1 – Dents de sagesse incluses asymptomatiques.

Figure 2 – Dents de sagesse en désinclusion.

Figure 3 – Capuchons muqueux.

Symptomatologie de la péricoronarite (8, 9) (Fig. 4)

Les accidents réflexes

La dent de sagesse se situe dans un carrefour anatomique de nombreuses branches du nerf trijumeau. Des signes cliniques hétéroclites (pelade, tic, torticolis, spasme musculaire, trouble de l’articulation temporo- mandibulaire [ATM]…) ont été évoqués comme ayant pour cause la 3e molaire mandibulaire. Même s’il n’existe aucun argument scientifique corroborant ce concept, il est important devant des signes sémiologiques disparates de dépister une cause systémique ou locorégionale, notamment tumorale profonde (10, 11).

Dissémination vasculaire

Les germes provenant d’une infection dont l’origine est une 3e molaire peuvent être la cause d’une infection focale : endocardite infectieuse, infections pulmonaires à répétition, glomérulonéphrites, uvéites, iridocyclites… (10).

Sinusite

La proximité de la dent de sagesse supérieure avec le sinus maxillaire est responsable d’une sinusite par mortification de cette dent, mais ce n’est pas lié à son évolution. Les signes cliniques sont : obstruction nasale, jetage plus ou moins purulent avec cacosmie (12).

Figure 4 – Symptomatologie de la péricoronarite (1, 2, 3).

Traitement de la péricoronarite et conséquences pour le sportif

Les différents traitements de la péricoronarite sont présentés dans une figure (Fig. 5).

Figure 5 – Traitement de la péricoronarite et conséquences pour le sportif.

Évaluation du rapport bénéfice-risque de l’extraction préventive de la dent de sagesse chez le cycliste De haut niveau

Au travers des recommandations de l’ANAES (10) et du NHS (14) en population générale et des réflexions menées sur le sujet en milieu militaire pour lequel la problématique se rapproche de celui du sportif (jeune adulte, stress, difficulté de prise en charge sur un théâtre d’opération extérieure et incidence importante sur l’organisation des forces) (15), il semble émerger un consensus pour la conservation ou l’extraction de la 3e molaire (Fig. 6).

Le cycliste de haut niveau mène une vie de nomade pendant la saison sportive et, en plus des kilomètres parcourus à vélo, il faut également comptabiliser les déplacements chronophages. Dès lors, le temps disponible pour se faire soigner est restreint. Même s’il est toujours possible d’organiser en cours de saison des soins dentaires comme le remplacement d’un amalgame, le rescellement d’une couronne ou le soin d’une carie à la fin d’une course à étapes, il est impossible de gérer la prise en charge chirurgicale d’une dent de sagesse algique. De plus, la fragilité immunitaire des sportifs d’endurance majore le risque de péricoronarite d’une dent de sagesse en désinclusion.

De ce fait, le rapport bénéfice-risque de l’extraction programmée à l’intersaison d’une dent de sagesse répondant aux critères des recommandations est en faveur de l’intervention préventive par rapport aux enjeux d’une saison sportive.

Bien entendu, des situations anatomiques délicates (proximité du nerf mandibulaire) peuvent justifier l’abstention thérapeutique comme pour tout patient en population générale.

Figure 6 – Recommandations pour la conservation ou l’extraction de la 3e molaire.

Figure 7 – Dents de sagesse cariées non soignables.

Conclusion

La décision d’extraire ou non une dent de sagesse chez un sportif d’endurance ne doit en aucun cas faire abstraction des recommandations émanant des sociétés savantes. Le rapport bénéfice-risque de l’intervention pour le patient doit être parfaitement exprimé. Ainsi, dans cette prise de décision, l’âge est déterminant par rapport à la possibilité d’éruption d’une dent de sagesse, tout comme les charges d’entraînement qui fragilisent le système immunitaire. Il est donc fondamental de garder sous contrôle la gestion d’un problème médical qui est largement prévisible afin de ne pas perturber le bon déroulement d’une saison.

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