Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels

Des palpitations à l’effort chez un cycliste : Cas d’une tachycardie supraventriculaire

Pr François Carré (Hôpital Pontchaillou, Rennes)

Pr François Carré

Monsieur X.P., cycliste de 37 ans, consulte pour un certificat de non contre-indication à la participation de Paris-Brest-Paris (1 200 km sans étape). Il pratique le cyclisme depuis 20 ans et s’entraîne à raison de 200 km par semaine (8 000 km/an). Il a jusqu’ici passé avec succès les différents brevets de distance imposés par l’organisation.

Historique

L’interrogatoire ne retrouve pas d’antécédent cardiovasculaire familial particulier en dehors d’une hypertension artérielle chez sa mère âgée actuellement de 65 ans. Sur le plan personnel, on note une hernie inguinale droite traitée chirurgicalement il y a 6 ans.

 

Pas de facteur de risque cardiovasculaire. Pas de traitement chronique rapporté. Monsieur X.P. décrit la sensation de palpitations à l’effort brèves de début et fin brusque. Ces symptômes, qui existent depuis 1 an, sont rapportés comme relativement rares, non liés à l’intensité de l’exercice, n’entraînant pas de malaise ni de baisse de performance.

 

L’examen physique met en évidence une auscultation cardio-pulmonaire normale, des pouls bien perçus et symétriques, pas de souffle sur les trajets vasculaires. La pression artérielle est mesurée à 120-70 mm Hg aux deux bras.

Diagnostic

L’électrocardiogramme de repos (Fig. 1) montre un rythme sinusal avec une fréquence cardiaque à 57 bpm, l’onde P est un peu élargie et bifide surtout de V2 à V5, un bloc de branche droit incomplet (rSr’ en V1) et une repolarisation précoce avec sus-décalage du point J (2-3 mm) suivi d’un segment ST concave vers le haut en V3-V4.

Figure 1 – Electrocardiogramme de repos 12 dérivations.

La symptomatologie décrite impose la réalisation d’une épreuve d‘effort avant de délivrer le certificat de non contreindication demandé. Celle-ci est réalisée sur ergocycle, elle est menée au maximum des capacités du sujet qui maintient la puissance de 350 watts pendant 1 minute et 35 secondes. La fréquence cardiaque de fin d’effort est de 186 bpm avec un rythme sinusal sans anomalie de repolarisation ni trouble du rythme. En récupération, après 2 minutes, des épisodes brefs de tachycardie supraventriculaire, non ressentis par le patient, sont enregistrés (Fig. 2). Ce diagnostic peut être proposé devant l’observation d’une accélération régulière inappropriée du rythme cardiaque, à début et fin brusques avec des ondes P, différentes de l’onde P sinusale, précédant les QRS qui restent fins.

Figure 2 – Electrocardiogramme lors de la récupération (2 minutes).

TVS = tachycardie supraventriculaire ; RS = rythme sinusal ; ESSV = extrasystole supraventriculaire.

Devant cette symptomatologie, un bilan cardiovasculaire complémentaire est justifié. Il comprend un échocardiogramme et un Holter rythmique sur 24 heures avec réalisation d’une sortie d’entraînement intense.

L’échocardiogramme transthoracique de repos ne montre pas de dilatation ni d’hypertrophie pariétale inappropriée au niveau des ventricules. Leurs fonctions systolique et diastolique, globales et segmentaires, sont normales et homogènes. Les deux oreillettes sont modérément dilatées mais en harmonie avec la taille des ventricules. L’aspect et la cinétique des différentes valves sont normaux.

Une fuite tricuspide minime est enregistrée sans hypertension artérielle pulmonaire significative.

L’enregistrement Holter n’a pas révélé d’arythmie d’origine ventriculaire. Lors des périodes de repos, aucune anomalie rythmique ni de conduction n’a été observée. Au cours de la séance d’entraînement, plusieurs épisodes, inconstamment ressentis, de tachycardie supraventriculaire ont été enregistrés (Fig. 3).

Figure 3 – Enregistrement Holter. RS = rythme sinusal ;

TSV = tachycardie supraventriculaire.

Ce cycliste présente donc des épisodes de tachycardie supraventriculaire paroxystique brefs (< 15 secondes), bien tolérés cliniquement qui, selon les recommandations actuelles, ne contre-indiquent pas la pratique du sport en compétition. La bonne tolérance clinique n’impose pas de traitement. Une surveillance médicale annuelle est justifiée, si la symptomatologie venait à s’aggraver une thérapie pourrait être proposée.

Discussion

Les tachycardies supraventriculaires répondent à plusieurs mécanismes électrophysiologiques différents plus ou moins bénins. Leur découverte impose donc toujours un bilan cardiologique, au moins épreuve d’effort et échocardiogramme, qui éliminera une pathologie cardiaque sous-jacente. Les tachycardies comme celles présentées par ce patient sont a priori bénignes et ne mettent pas en jeu le pronostic vital. Il peut cependant arriver, sous l’influence conjointe de l’activité physique intense et de la stimulation catécholergique, qu’un retentissement hémodynamique avec sensation de malaise, vertiges, ou de “jambes coupées”, survienne. Cette symptomatologie modifie alors l’attitude thérapeutique.

 

Ces tachycardies peuvent être dues à une tachycardie par réentrée au niveau du noeud atrio-ventriculaire, à une tachycardie par réentrée sur une voie de conduction atriale accessoire ou à un foyer arythmique ectopique atrial. Il est cependant essentiel devant ces tachycardies d’éliminer une autre cardiopathie et/ou une voie de pré-excitation (associant une durée de l’intervalle PR < 0,12 s et une onde delta qui empâte le début du QRS) qui signe le syndrome de Wolff-Parkinson-White dont le pronostic peut être péjoratif et qui réclame toujours une exploration électrophysiologique avant de se prononcer vis-à-vis de la contre-indication à la pratique sportive.

Tableau 1 – Algorithme décisionnel devant la découverte d’une tachycardie supraventriculaire chez un sportif.

EE = épreuve d’effort ; CI = contre-indication.

L’attitude vis-à-vis de la pratique du sport est la même quel que soit le mécanisme exact de la tachycardie supraventriculaire (Tab. 1). Elle dépend des symptômes et du type de sport pratiqué. En cas de crises peu fréquentes, survenant ou non au cours du sport, bien tolérées, l’abstention thérapeutique est conseillée. Dans ce cas la pratique des sports à risque en cas de perte de connaissance peut être déconseillée ou “pousser” à une ablation. L’effort intense doit être ralenti ou arrêté en cas de crise perçue, avec possibilité de reprise de l’activité après celle-ci. Un suivi cardiologique annuel est justifié. En cas de crises mal tolérées, par leur fréquence et/ou les symptômes associés, et de désir de compétition le traitement conseillé est l’ablation du foyer arythmogène. Réalisée, sous anesthésie locale au point de ponction de la veine, à l’aide de sondes intracardiaques, cette technique qui présente peu de risques lorsqu’elle est effectuée par des mains expérimentées est très efficace (85-98 % de succès selon le type de foyer). Le risque de récidive est faible (< 3 %). La reprise du sport à intensité modérée après le geste est rapide (1 semaine). La reprise de la compétition au niveau antérieur peut se faire dans un délai de 1 à 3 mois post-ablation. Dans ce contexte, cette technique est préférable aux traitements pharmacologiques, bêtabloquants, anticalciques ou anti-arythmiques de classe Ic, dont l’efficacité est limitée et qui outre le fait qu’ils risquent toujours d’être oubliés, peuvent être interdits, être physiquement limitants, voire avoir un effet proarythmogène à l’effort. La pratique des sports de loisir ou de faible intensité, chez les sujets pauci ou asymptomatiques, peut être autorisée sans autre restriction que celle d’interrompre l’activité pendant la crise.

Revues

Médecins du sport

Cardio & sport

Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels