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Dans le sillage d’une étoile : Aurélie Dupont et l’Opéra de Paris

Dr Jacques Parier (Médecine physique et réadaptation, Paris)

Aurélie Dupont, aujourd’hui âgée de 46 ans, maman de deux enfants, est directrice de l’Opéra de Paris. Durant près de 20 ans, elle a été danseuse étoile dans le corps de ballet de ce même opéra. Elle cristallise pour tous les jeunes danseurs et danseuses une réussite exceptionnelle au plus haut niveau. Il est bien connu que pour arriver à ce résultat, cela nécessite une formidable abnégation, des efforts, des souffrances. Comme si cela n’était pas suffisant, Aurélie a dû composer, durant sa carrière, avec un véritable handicap. C’est son expérience qu’elle a accepté de nous faire partager, analysée au travers du prisme de la médecine orthopédique.

Introduction

Aurélie danse « Le sacre du printemps » dirigé par Pina Bausch à plusieurs reprises. C’est un ballet exigeant, qui nécessite beaucoup de réceptions à genoux. Elle paiera, selon elle, plus tard, ces traumatismes répétitifs.
À 25 ans, en 1998, après avoir dansé « Don Quichotte », Aurélie devient danseuse étoile.
C’est une fin et un début. Elle est en haut de la hiérarchie.

Une douleur gênante…

Quelques mois plus tard, avec l’accumulation des répétitions, puis des spectacles, Aurélie ressent progressivement une douleur gênante, antérieure du genou droit. Les mouvements de flexion en appui unipodal, les grands pliés deviennent difficiles, voire quasi impossibles. Une consultation médicale spécialisée met en évidence une lésion importante du cartilage situé derrière la rotule droite. Il faut envisager une intervention.

Traitement

Compte tenu de la nécessité dans les suites d’une éventuelle opération de s’arrêter plusieurs mois alors qu’elle est en pleine progression, Aurélie décide de surseoir à toute intervention et de serrer les dents. On essaie les thérapeutiques classiques antalgiques, chondroprotecteurs, injections de corticoïdes, etc. avec des résultats médiocres d’autant que beaucoup de produits sont mal tolérés. Le genou par ailleurs ne gonfle pas.

Une pathologie rotulienne fréquente

La pathologie rotulienne est extrêmement fréquente, en particulier chez les jeunes femmes avec une intensité très variable à la fois sur le plan de l’expression douloureuse et des dégâts ostéo-cartilagineux. On est souvent étonné de voir des jeunes filles qui présentent des douleurs très invalidantes avec des examens complémentaires tout à fait rassurants. De même, on a parfois la bonne surprise de constater que des dégâts cartilagineux, même importants, peuvent être relativement bien tolérés.

Ne plus danser à haut niveau

Chirurgie

Malheureusement, au bout de deux ans, il apparaît que, malgré tous les traitements et la volonté, il lui est impossible de continuer à pratiquer son art. Elle décide alors d’effectuer une intervention chirurgicale qui consiste en un nettoyage du cartilage de sa rotule et des perforations de Pridie pour stimuler l’os sous-chondral et ainsi favoriser une repousse cartilagineuse. Après l’intervention, le chirurgien est extrêmement pessimiste. Pour lui, Aurélie ne pourra probablement plus jamais danser, du moins à son niveau.

Rééducation

Dans les suites, elle effectue une mise en décharge prolongée, avec l’utilisation de cannes anglaises, associée à une rééducation. Les premières séances de rééducation sont effectuées avec un kinésithérapeute qu’elle estime trop mou !!
Elle passe alors entre les mains d’un autre kinésithérapeute, habitué à des sportifs et notamment des rugbymen, qui la fait travailler de manière intense. C’est un travail global qui est entamé au niveau du genou où l’on renforce à la fois le quadriceps et les ischio-jambiers dans des amplitudes et dans des positions qui ne créent pas de douleur. De manière associée, elle travaille avec acharnement au niveau de la jambe et du pied pour permettre des appuis parfaits. Le renforcement est également effectué sur les fessiers, le rachis, pour permettre certaines compensations devenues indispensables. Cette rééducation prend de nombreux mois avec un arrêt de la danse très prolongé.

La rééducation : une technique thérapeutique extrêmement efficace

Il faut sans doute jouer sur les différents facteurs qui permettent le fonctionnement optimum de cet appareil extenseur. Un renforcement décrit de longue date du vaste interne est utile, mais il reste largement insuffisant ; il faut lui associer un renforcement des ischio-jambiers, un très important travail du mollet, qui permettra d’effectuer des flexions-extensions en utilisant peu le genou, un travail de stabilisation du pied. Des semelles orthopédiques peuvent être utiles à ce niveau pour réaxer au mieux l’appareil extenseur. Il faut également renforcer des stabilisateurs de la hanche, travailler la ceinture lombo-abdominale. La rotule fait partie de cette chaîne du membre inférieur, elle n’est qu’un maillon et il faut une cohérence de tous les éléments sus et sous-jacents pour limiter l’effet délétère du maillon faible. Toutes les techniques d’étirement sont aussi indispensables, associées secondairement à un travail de proprioception très fin avec également, selon le sport, un apprentissage de la pose du pied.

Exercer un autre métier ?

Aurélie ne conçoit pas la possibilité d’exercer un autre métier. Alors que faire ? C’est là qu’elle nous donne une formidable leçon d’adaptation.
« Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre comme métier ? Je ne trouvais rien. Je ne pouvais danser normalement, alors j’ai réinventé ma danse. J’ai changé tous mes appuis. Je ne me suis plus servi de mon genou droit, j’ai utilisé différemment mes chevilles, mes pieds, ma hanche, mes bras, mon dos, la musique, les rythmes. Je faisais un mélange de tout ça. Je jouais avec les temps musicaux, c’est là que mon amour de la musique m’a aidée. » « Personne ne s’est rendu compte que je ne me servais pas de l’articulation de mon genou opéré. Qui remarque le degré de flexion d’un genou ? Quand vous regardez un saut, vous regardez le résultat du saut, pas l’appel. Je m’en suis sortie comme ça. Parfois, je galérais. J’ai même dû refuser des ballets très techniques, qui demandaient beaucoup de puissance dans les jambes. Et, chaque fois que je dansais, je me disais que c’était la dernière fois… »

La compensation, l’adaptation font partie intégrante du sport

Au premier abord, il peut paraître étonnant que votre médecin vous déconseille formellement la montée et la descente des escaliers et qu’il vous encourage vivement à pratiquer le vélo. Pourtant cela s’explique. Les efforts sont fort différents lors de la montée des escaliers, où vous appliquez une charge complète de votre corps à chaque marche, il s’agit également d’effectuer un effort de propulsion, qui est souvent mal ressenti par le cartilage abîmé de la rotule. Au contraire, la pratique du vélo effectuée avec une résistance minimale est plutôt favorable à cet appareil extenseur du fait d’une mise en pression minimum et de ce que l’on peut appeler un lustrage du cartilage de la rotule. Par ailleurs, il existe un renforcement musculaire qui s’effectue dans des conditions optimales.
Dans la vie courante, l’adaptation est plus ou moins facile. Pour monter un escalier, il faut utiliser le triceps pour s’élever, ainsi la marche est moins haute, puis profiter de l’élan de la montée pour rester un minimum en appui sur le côté douloureux. Du fait d’un travail majoré des fessiers, Aurélie a présenté un accident musculaire de la fesse ce qui est relativement inhabituel.

Surveillance du poids

La surveillance du poids est un élément important de gestion d’une douleur de rotule. Deux ou trois kilos deviennent vite un phénomène aggravant. Aurélie nous confirme cette analyse. Malgré tout, ses deux grossesses, avec, lors de la première, une prise de poids de 30 kilos, se sont plutôt bien passées avec de manière étonnante, nous confie-t-elle, un mieux à distance ! Phénomène hormonal ?

Gestion de la douleur

La gestion de la douleur de notre danseuse est également tout à fait remarquable. Chaque danseur présente des douleurs plus ou moins importantes à partir de 30 ans et rares sont les danseurs qui ne présentent pas une ou plusieurs pathologies. Aurélie nous explique qu’elle a peu à peu décidé d’oublier son genou et de ne plus en parler en permanence « Tout le monde savait que je souffrais, mais, un jour, j’ai cessé d’en parler. J’ai décidé que ça allait bien. Parler d’un handicap vous fait prendre conscience tous les jours que vous l’avez. »

Ces douleurs, dans le cadre d’un syndrome rotulien avec une imagerie très rassurante, nécessitent une approche psychologique pour permettre une thérapeutique efficace.
Dans un premier temps, il faut expliquer à cette jeune fille qui souffre que la douleur n’est pas un symptôme inquiétant et qu’elle n’est pas en train d’abîmer définitivement son genou. La douleur va disparaître, mais il faut sans doute se donner du temps et quelques soins. Bien souvent, il est difficile pour les parents de comprendre que tous les examens réalisés ne montrent aucune lésion et pourtant leur fille souffre réellement. Un dialogue est indispensable.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aurélie souffre toujours, mais elle a fait la paix avec son genou. Malgré toutes ces années, elle s’est refusée à effectuer une imagerie quelconque. Elle attend par contre avec impatience les progrès de la médecine ou de la chirurgie orthopédique qui lui proposera une amélioration suffisante, voire, pourquoi pas, une guérison.

Un service médical à l’Opéra de Paris

L’Opéra de Paris a développé, sous l’impulsion de Benjamin Millepied, un service médical étoffé pour lutter et prévenir les blessures de ces athlètes de haut niveau qui sont en même temps des artistes. La prévention a des objectifs majeurs si l’on sait malheureusement qu’il y aura toujours des blessés, dans le but d’anticiper et d’accompagner les danseurs. L’unité médicale du ballet de l’Opéra de Paris permet aux danseurs de récupérer beaucoup plus rapidement en cas de blessure, 1 mois contre 2 à 3 mois auparavant. Un médecin, deux kinésithérapeutes, un ostéopathe sont à l’écoute des danseurs pour leur prodiguer des conseils sur le plan diététique, locomoteur. En cas de blessure, la prise en charge est rapide, comme cela est le cas des athlètes de haut niveau.

Conclusion

Le facteur « terrain » joue un rôle essentiel. Le surpoids, le tabac, l’insuffisance musculaire, les rétractions sont autant de facteurs pénalisants pour une récupération satisfaisante. Il existera toujours des individus hors normes comme Aurélie pour lesquels la volonté, la passion dépassent la logique médicale. 

Encore une fois, merci Aurélie de nous avoir permis de nous approcher du chemin des étoiles.

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