Les chaussures de course à pied : innovations et dopage technologique
La course à pied est actuellement le sport le plus pratiqué dans le monde. Ces dernières années ont été marquées par une constante, l’augmentation régulière du nombre des pratiquants, et par une nouveauté au plan technologique, l’apparition des plaques carbone dans les chaussures. Sur le plan sociologique, nous assistons au développement d’une pratique sportive centrée sur la santé et le bien-être et, sur le plan sportif, à l’apparition de chaussures créées pour battre les records. Ces deux orientations, a priori contradictoires, ne sont sans doute pas indissociables, car les motivations des équipementiers sont à la fois économiques et médiatiques. Les fabricants des chaussures de course à pied doivent d’abord se mettre en phase avec les exigences d’une population très importante (environ 13 millions d’adeptes de la course à pied en France en 2020), les nombreux types de pratique de la course à pied (running, trail, triathlon, swimrun) et de niveaux très différents.
Avertissement
Les médecins du sport qui espèrent trouver dans cet article de nombreuses références scientifiques et biomécaniques vont être déçus. Concernant les technologies utilisées pour les chaussures de sport, il est en effet très difficile de s’appuyer sur la transparence des données des fabricants et les habituels articles médicaux fondés sur les preuves. Pour décrire les caractéristiques des matériaux utilisés dans les chaussures, nous ne pouvons que nous baser sur les fiches du produit réalisées par les équipementiers et présentées sur leurs sites officiels. La communication des données scientifiques est généralement succincte, les constructeurs se retranchant derrière les secrets de fabrication. Les études mécaniques accessibles sont le plus souvent réalisées par les propres laboratoires de recherche de la marque qui acceptent parfois de prendre le risque de les divulguer. Dans le domaine des technologies appliquées aux chaussures, les études réalisées par une autorité scientifique indépendante manquent cruellement.
L’auteur de cet article assure n’avoir aucun lien d’intérêt avec les différents équipementiers sportifs.
Il est très difficile d’accéder aux preuves scientifiques indiscutables pour développer les mérites des différentes marques de chaussures. Nous nous contenterons de donner des repères pragmatiques aux médecins du sport qui souhaitent pouvoir rester à flot dans un océan d’informations souvent invérifiables. Notre objectif à tous est de mieux comprendre l’origine des blessures et de continuer à donner des conseils préventifs aux très nombreux coureurs livrés à eux-mêmes.
Pour mieux aborder la situation actuelle, il nous faut développer l’histoire de la course à pied depuis la fin des années 1970 et la corréler aux évolutions technologiques lors des quatre dernières décennies. Depuis le début de la course sur route, la notion d’amortissement a été un fil rouge pour les équipementiers et les pratiquants. Actuellement, le “retour d’énergie” est le maître mot pour les adeptes de la performance.
La course sur route
L’évolution de la pratique
Le début des courses sur le bitume est généralement daté de la fin des années 1970. À cette époque, l’athlétisme commence à être perçu comme un sport élitiste qui se pratique de manière ennuyeuse et très encadrée sur des distances trop courtes. Les aspirations des coureurs à pied évoluent vers plus de liberté et des distances plus longues. Le marathon, jusque-là réservé aux très bons athlètes, devient un objectif pour des coureurs moyens motivés par le désir de démontrer leurs capacités à relever un défi sportif. Le sport de compétition n’est plus réservé aux moins de 30 ans et les quadragénaires se retrouvent le week-end pour une course sur route dans une ambiance amicale et souvent festive. Les fédérations d’athlétisme mettent du temps à comprendre les enjeux de développement et, dans tous les pays, le nombre de pratiquants non licenciés dépasse très vite le nombre de licenciés.
L’adaptation des équipementiers
Les équipementiers “historiques” ont eux très bien perçu les enjeux économiques, mais doivent s’adapter et inventer des chaussures pour pratiquer la course à pied sur une surface absolument pas conçue pour le sport. Pour contrecarrer le choc initial à l’appui, le concept de chaussures de course à pied à semelles amortissantes est alors développé par les marques que l’on peut considérer comme historiques (Adidas, Asics, Mizuno, New Balance, Nike) (1).
Les chaussures à semelles amortissantes
Le sol sportif versus le bitume
Pour mériter le titre de sol sportif, les conditions d’homologation par les ingénieurs des sols sont très précises. Les mesures de l’absorption des chocs (décélération en G), de la souplesse (enfoncement en mm) et la restitution de l’énergie (en %) sont réalisées sur le terrain et doivent répondre à un cahier des charges imposé par les différentes fédérations internationales.
Les routes ne sont pas considérées comme un sol sportif, car leurs différentes caractéristiques sont loin des normes :
• décélération supérieure à 200 G,
• enfoncement nul
• et absorption totale de l’énergie avec onde de choc en retour (2).
Les matériaux amortisseurs
Pour limiter les dégâts infligés à l’appareil locomoteur par les ondes de choc et les vibrations, il a fallu imaginer une interface absorbante et amortissante. Les équipementiers vont utiliser différents matériaux amortisseurs plus ou moins élastiques qui serviront aussi d’arguments de vente : caoutchouc naturel, polyuréthanes (sorbothane, podiane), acétate d’éthylène vinylique (mousse EVA), gels siliconés, technologie “air” (en fait gaz inerte enfermé dans du plastique) (3). L’EVA est toujours le matériau amortissant le plus souvent utilisé dans les chaussures de running traditionnelles (4).
Les chaussures “maximalistes”
Pendant trois décennies, de la fin des années 1970 à la fin des années 2000, les coureurs ont utilisé des chaussures de running dites “maximalistes”. Quelle que soit la marque, on peut considérer les différents modèles comme relativement similaires avec deux qualités standard :
• une hauteur de semelle importante (35 mm au talon)
• et un drop élevé (10 à 12 mm).
Les semelles intermédiaires ont une hauteur élevée car, plus que la qualité du matériau, c’est son épaisseur qui aura un effet réel sur l’amortissement. Cette hauteur des semelles de chaussures de running a un effet négatif à l’appui : l’instabilité multidirectionnelle, mais en priorité dans le plan frontal (1, 3). Aussi, les manufacturiers vont devoir inventer divers éléments de stabilité pour limiter le valgus et la pronation dynamiques du pied à l’origine d’une grande partie des blessures (5).
Les courses en milieu naturel (trails, kilomètre vertical, courses en montagne)
L’explosion du trail
Dans le domaine des chaussures de running, nous pouvons considérer que, pendant près de 30 ans, il n’y a pas eu d’innovations technologiques majeures. Mais l’apparition d’une nouvelle pratique, les courses en milieu naturel, va apporter de nouveaux fonctionnements. L’histoire se répète et les coureurs à présent lassés par la monotonie des courses sur route découvrent les joies de la course en nature ou en montagne. En France, et ceci en quelques années, le nombre des adeptes du trail dépasse celui des coureurs sur route.
Les chaussures “minimalistes”
Dès le début des années 2010, cette nouvelle pratique s’accompagne de techniques de course sans doute mieux adaptées aux sols naturels, la course barefoot et les chaussures dites “minimalistes” (6). Souples et légères, laissant pour une grande part la fonction d’amortissement aux structures mécaniques du pied, ces chaussures se définissent avant tout par un drop inférieur à 4 mm.
Sans doute pour rester compétitives au plan économique, les marques traditionnelles qui étaient restées sur un drop de 10 à 12 mm pendant trois décennies se mettent à proposer des drops bas dans pratiquement tous leurs modèles. Si la course minimaliste est intéressante pour des coureurs experts dans le domaine du barefoot, ce mode de fonctionnement ne permet pas d’améliorer les performances chronométriques de la majorité des coureurs sur route et peut être à l’origine de nombreux problèmes traumatologiques (7, 8).
Semelles amortissantes et retour d’énergie
La restitution de l’énergie cinétique développée par le coureur
En 2013, la technologie Boost mise en place par Adidas va innover très fortement dans le domaine du retour d’énergie. Jusqu’à présent, les semelles amortissantes permettaient d’absorber les ondes de choc et les vibrations, mais imposaient une contrepartie négative, l’augmentation du temps d’appui au sol et une déperdition d’énergie engendrant une augmentation du travail de propulsion (1, 3). L’équipe des techniciens et chimistes d’Adidas va chercher à annuler ce double effet négatif. Ils imaginent et créent une semelle intermédiaire composée de milliers de particules de polyuréthane expansé (TPU) pour former des alvéoles fermées autour de minuscules poches d’air. Comme toutes les semelles amortissantes, cette semelle intermédiaire absorbe l’énergie cinétique développée par le coureur mais, importante innovation, elle a la capacité de restituer un pourcentage important de cette énergie. Si le retour d’énergie est d’environ 65 % pour l’EVA, il se situe entre 70 et 75 % pour le polyuréthane thermoplastique (TPU) (4).
De nouveaux records
Au niveau des performances, les résultats viennent rapidement puisque, avec cette technologie, Dennis Kimetto bat le record du monde masculin du marathon en 2014 à Berlin et Mary Kettany bat le record du monde féminin du marathon à Londres en 2017.
Semelles amortissantes, retour d’énergie et lame en carbone
Marathon olympique de Rio et prototypes Nike
Aux JO de 2016, les pointes de la marque Nike sont omniprésentes sur les podiums d’athlétisme, à tel point que cette marque est considérée comme la plus médaillée à Rio. Dans ce contexte, seuls les experts notent que les trois médaillés sur le podium du marathon ont couru avec des chaussures Nike, prototypes dont on ne connaît pas encore les caractéristiques.
En choisissant Eliud Kipchoge, le marathonien kényan champion olympique à Rio, pour courir la distance marathon en moins de 2 heures, la marque Nike a ensuite longtemps préparé un excellent coup médiatique pour faire la promotion de sa chaussure Nike Vaporfly Next%. Réalisé à Vienne le 12 octobre 2019 dans des conditions de course trop favorables, le temps de 1 h 59 min et 40 s ne sera pas homologué comme record du monde.
L’effet sandwich
Les propriétés dynamiques des lames en carbone ont permis à Kipchoge d’être l’homme le plus rapide au monde sur marathon. La photo officielle de la composition de la semelle Nike Air Zoom montre que la géométrie et le positionnement de la lame carbone sont très originaux (Fig. 1).

La semelle intermédiaire composée de mousse que Nike nomme ZoomX est en fait un polyéther à blocs d’amide (Pebax) (4). Cette mousse tient un rôle essentiel car elle se lie parfaitement à la lame par un “effet sandwich” pour associer deux propriétés a priori contradictoires dans les chaussures, amortissement efficace et haut niveau du pourcentage de restitution d’énergie (9, 10). Les ingénieurs de la marque Nike ont définitivement balayé le vieil adage assurant que l’amortissement est systématiquement associé à une augmentation du temps de pose au sol. Et si, pour le TPU, le retour d’énergie se situe entre 70 et 75 %, il est évalué à 85-87 % pour le Pebax (4). Deux unités “zoom air” situées sous la lame de carbone au niveau de la base des métatarsiens permettent d’améliorer encore le retour d’énergie. Au niveau technologique, les prouesses de cette nouvelle chaussure se situent aussi dans la légèreté des matériaux utilisés. Et si l’épaisseur de la semelle intermédiaire est importante (31 mm au talon pour un drop de 10 mm), le poids de la chaussure reste faible (185 grammes).
Lames dynamiques et amélioration des performances
Peut-on parler de dopage technologique et quels sont les effets véritables des lames dynamiques sur les performances en course à pied ?
Depuis 2017, tous les records mondiaux masculins et féminins ont été améliorés sur toutes les distances du 5 000 m au marathon (9, 10). L’analyse fine des performances sur 10 km, semi-marathon et marathon entre 2012 et 2019 chez les vingt meilleur(e)s et les cent meilleur(e)s mondiaux démontre parfaitement que 2016 et surtout 2017 ont été deux années charnières. Les performances ont été systématiquement améliorées chez les hommes, comme chez les femmes, qui ont utilisé les chaussures à lame carbone, et ceci de manière très claire chez les cent meilleurs mondiaux (10). Pour le marathon, les performances ont été améliorées et les temps de course abaissés de 2 % chez les femmes et de 1,2 % chez les hommes. Chez les femmes, les vingt meilleures mondiales ont amélioré leurs records de 2 minutes et 10 secondes en moyenne. Ces résultats peuvent paraître faibles pour des coureurs récréatifs, mais ils sont inhabituels et remarquables pour des coureurs élite (9, 10).
Course technologique et business
Avec son modèle Vaporfly Next%, Nike a ouvert une nouvelle voie que les autres marques se sont empressées de suivre. À la fin mai 2021, date de rédaction de cet article, c’est un challenge de faire une liste précise et exhaustive des chaussures qui intègrent des plaques en fibre de carbone. Nous allons prendre le risque de citer les principales : Adidas et son modèle Adizero Adios Pro, Asics et son modèle Metaracer, Brooks et son modèle Hyperion Elite 2, Hoka One One et son modèle Carbon X, New Balance et son modèle FuelCell RC Elite, Saucony et son modèle Endorphin Pro. Pour rester dans la compétition économique, d’autres marques, On Running et son modèle Cloudboom par exemple, proposent des modèles avec lames en polymères thermoplastiques, moins chers et présentés par le fabricant comme ayant une durée de vie plus importante.
Mécanique ou biomécanique ?
Une augmentation de l’amplitude de la foulée
Il est facile de démontrer que les chaussures avec lames de carbone sont à l’origine de l’amélioration des performances, tant sur la piste que sur la route. Mais il est difficile de véritablement comprendre pourquoi. En course à pied, la vitesse de course est le résultat d’une savante association entre la fréquence (ou cadence) des appuis et l’amplitude de la foulée. Les études biomécaniques démontrent que les nouvelles chaussures ne font pas varier la cadence des appuis, mais que l’amplitude est en moyenne augmentée de 5 cm par foulée (9, 11).
Des améliorations plus significatives chez les femmes
Il faut s’interroger par exemple sur le fait que les femmes qui ont couru avec les chaussures à semelles carbone ont amélioré leurs performances et fait baisser leurs temps de course de manière plus significative (entre 1,7 et 2,3 %) que les hommes (entre 0,6 et 1,5 %) (10). Certains auteurs proposent comme hypothèse le fait que les lames en carbone de taille plus courte utilisées par les femmes ont un rendement énergétique meilleur (10). D’autres auteurs mettent plutôt en avant la hauteur des semelles des nouvelles chaussures qui procurent un bénéfice plus important dans l’amplitude aux coureuses de petite taille (9). Ces auteurs ont un excellent argument : les performances imputables aux chaussures Nike ont réellement fait un bond lorsque la marque a fait passer la hauteur de semelle de la fameuse Vaporfly à 31 contre 23 mm pour le prototype précédent (9). Voici comment 8 mm peuvent tout changer…
Biomécanique et variabilité individuelle
Efficacité mécanique de la lame en carbone et hauteur de semelle n’expliquent pas tout. Lorsque l’économie de course est étudiée sur tapis roulant pendant des temps courts de 5 min à des vitesses situées entre 14 et 18 km/h, les résultats sont très variables selon les coureurs (9). Une étude concernant l’économie de course sur une population de 19 sportifs capables de courir 10 km en moins de 32 minutes montre que certains ne voient pas ce critère s’améliorer, mais que d’autres peuvent l’augmenter de plus de 6 % (11). Cette grande variabilité individuelle est un argument de plus pour faire penser que la technologie utilisée induit une inégalité et que ces chaussures ne sont pas éthiques (12).
Lames dynamiques et pointes d’athlétisme
Les pistes d’athlétisme situées à l’extérieur sont des sols sportifs élasto-synthétiques qui, pour être homologués, doivent répondre aux critères mécaniques suivants :
• décélération inférieure à 65 G,
• enfoncement maximum à 5 mm,
• restitution d’énergie à 70 % (2).
les écoles d’athlétisme apprennent à leurs licenciés, dès le plus jeune âge, à utiliser la restitution de l’énergie transmise par les pistes. Pour cette raison, les pointes utilisées sur les pistes ont depuis toujours été des chaussures que l’on peut considérer comme minimalistes, avec une semelle de faible épaisseur et un drop bas. L’incorporation dans les pointes d’athlétisme de lames de carbone et des matériaux qui les protègent ont fait quasiment doubler l’épaisseur des différentes chaussures utilisées sur la piste depuis les championnats du monde de Doha en 2019 (12). Les lames dynamiques en carbone sont présentes dans les pointes de fond et de demi-fond, les pointes pour le sprint et les pointes pour les différents sauts. Pour le demi-fond et le fond, les perfomances sur piste ont été largement améliorées depuis 2019, et ceci d’une manière qui rappelle parfaitement les records sur le bitume.
Fédération internationale d’athlétisme et réglementation concernant les chaussures
Les règles en compétition
World Athletics, la Fédération internationale d’athlétisme (anciennement intitulée IAAF), a réagi début 2020 et édité des règles très précises pour les chaussures portées en compétition à partir du 30 avril 2020 (13) :
• concernant les prototypes : « À compter du 30 avril 2020, avant de pouvoir être portée en compétition, toute chaussure doit avoir été disponible à l’achat par tout athlète sur le marché libre de la vente au détail (en magasin ou en ligne) pendant une période de 4 mois. Si une chaussure n’est pas librement accessible à tous, elle sera alors considérée comme étant un prototype et son utilisation sera interdite en compétition » ;
• concernant l’épaisseur des semelles pour les chaussures de running : « L’épaisseur de la semelle ne doit pas dépasser 40 mm. La chaussure ne doit pas comporter plus d’une plaque ou lame rigide intégrée (de n’importe quel matériau) sur toute ou partie de la longueur de la chaussure. La plaque peut être constituée de plusieurs parties. Toutefois, ces parties doivent être placées sur un même plan (et non en parallèle ou empilées les unes sur les autres) et ne doivent pas se chevaucher » ;
• concernant les pointes : « Pour une chaussure à pointes, une plaque supplémentaire (en plus de la plaque mentionnée ci-dessus) ou un autre mécanisme est autorisé uniquement pour fixer les pointes à la semelle, et l’épaisseur maximale de la semelle ne doit pas dépasser 30 mm ».
Des recherches indépendantes
World Athletics a créé un groupe de travail chargé de développer des recherches indépendantes pour évaluer l’incidence des lames de carbone sur les performances. La Société internationale de biomécanique (ISB) a été chargée de faire des mesures précises concernant le retour d’énergie sur une cinquantaine de chaussures de running possédant la nouvelle technologie. Le président de l’ISB, Toni Arndt, a bien précisé qu’il s’agissait de mesures mécaniques et non biomécaniques (12). Bien qu’il ne soit pas prévu de faire des mesures sur les pointes, c’est sans doute la première fois qu’un organisme scientifique indépendant va analyser les technologies de plusieurs marques de chaussures et en donner les résultats. Ces résultats très attendus seront divulgués après les JO de Tokyo.
Performance et compétition ou activité physique pour la santé ?
Le bien-être
Une enquête réalisée en mars 2021 par l’Observatoire du running auprès de 5 470 coureurs montre bien que les motivations de la grande majorité des pratiquants sont d’abord le bien-être, l’évacuation du stress et la perte de poids. Pour les coureurs réguliers (au moins une sortie par semaine) ou les coureurs occasionnels (moins d’une sortie par semaine), la vitesse de course est-elle un élément important dans la pratique de la course à pied ?
Une évolution des pratiquants
L’analyse des résultats de la course Marseille-Cassis en 2018 donne des éléments de réflexion : pour une distance de 20 km, 18 600 finishers et un temps de course médian de 1 h 50.
Conclusion essentielle, la moitié des coureurs a couru en dessous de 11 km/h. Si on analyse les résultats du marathon de Paris 2019, pour une distance de 42,195 km et 49 155 inscrits, le temps de course médian est de 4 h 15. La moitié des participants a donc couru le marathon de Paris en dessous de 10 km/h.
Le profil sportif, les aptitudes physiologiques et les motivations des pratiquants du running ont beaucoup évolué depuis le début des années 1980.
Des chaussures à adapter à la pratique
Actuellement, les médecins du sport sont consultés par des coureurs qui, pour la grande majorité, dépassent très rarement la vitesse de 12 km/h chaussures de running aux pieds. Des vitesses de course basses pour lesquelles les lames de carbone n’ont pas été conçues. Pour cette population, le premier conseil est de rechercher des chaussures confortables et amortissantes avec pour objectif de pérenniser la pratique de la course à pied. Certaines marques développent actuellement deux gammes de chaussures :
• les modèles destinés à la performance et « à faire courir plus vite »,
• les modèles destinés au confort et
« à prévenir les blessures ».
Conclusions
Depuis le début des années 1980 et l’avènement des courses sur route, les équipementiers ont toujours tenté de résoudre les problématiques inhérentes à l’amortissement, à la stabilité et au retour d’énergie.
Ces dernières années ont été très bénéfiques au plan des performances du fait de l’apparition d’une technologie qui a permis de diminuer le temps d’impact au sol, de développer un retour d’énergie très efficace, d’augmenter l’amplitude de la foulée et de diminuer le coût énergétique.
Pour plus d’éthique et éviter une forme de loterie biomécanique, la Fédération internationale d’athlétisme devra éditer rapidement une nouvelle réglementation concernant, en priorité, la hauteur des semelles des pointes pour la piste et des chaussures de running pour la route.
Les équipementiers ont le devoir d’informer les coureurs qui achètent leurs produits. Il serait très intéressant que les fabricants acceptent d’indiquer les vitesses de course pour lesquelles leurs modèles avec lame rigide sont conçus.
Les médecins du sport connaissent très bien la vérité suivante : « À nouvelles chaussures, nouvelles blessures ».
Nous attendons avec impatience de lire et de nous référer aux études qui détailleront les niveaux d’atteintes traumatiques imputables au retour d’énergie et aux lames rigides. n
Remerciements au Dr Pascal Édouard, au Dr Stéphane Bermon, aux podologues Éric Bengeurbi et Damien Parayre, au journaliste Nicolas Herbelot pour leurs avis techniques très éclairés.
Petit lexique à l’usage des médecins du sport
Drop
Dans la chaussure de sport, la hauteur de drop correspond à la dénivellation entre l’arrière-pied et l’avant-pied. Cette différence de hauteur entre l’épaisseur de la semelle à l’arrière et l’épaisseur de la semelle à l’avant se décline en millimètres et varie entre 0 et 12 mm selon les marques et les modèles.
Les marques Wizwedge et Cimalp ont imaginé des drops personnalisables, amovibles et adaptables au type de pratique (entraînement ou compétition).
Chaussures minimalistes
Le terme “minimaliste” est utilisé pour les chaussures qui ont une hauteur de drop inférieure à 4 mm. Mais d’autres éléments sont pris en compte pour mériter l’appellation minimaliste : la légèreté, l’épaisseur totale de la semelle (le stack), la rigidité longitudinale ou transversale.
Effet rocker
Le rockering est un mouvement de chaise à bascule de l’arrière à l’avant qui cherche à faciliter le déroulé du pied du talon à la plante. Pour donner un effet de propulsion vers l’avant, les semelles sont incurvées à partir de l’arrière-pied jusqu’aux métatarses.
Cette technologie développée au départ par la marque Hoka est à présent utilisée par toutes les marques pour les modèles avec lame carbone.
La semelle d’usure
C’est l’interface entre la surface de course et la semelle intermédiaire. L’épaisseur de cette semelle est généralement faible pour les chaussures de course sur route. Pour les chaussures de trail, l’épaisseur est plus importante car cette semelle est le plus souvent cramponnée pour avoir des qualités d’accroche et de “pare-pierres”.
La semelle intermédiaire
C’est l’élément technologique le plus important dans les chaussures de course à pied. L’épaisseur peut se limiter à quelques millimètres pour les modèles “minimalistes“ et monter jusqu’à 38-40 mm pour les chaussures dites oversize. L’épaisseur de la semelle intermédiaire d’une chaussure de running ou de trail est très variable car elle contient les différents matériaux conçus et imaginés par chaque marque pour amortir et propulser. Une semelle intermédiaire très épaisse va améliorer nettement l’amorti mais, en contrepartie, être à l’origine d’une importante instabilité à l’appui. Dans les chaussures “maximalistes“, l’épaisseur de la semelle sera en relation directe avec trois facteurs très variables : la qualité de l’amorti, la stabilité des appuis et le poids de la chaussure.
Par exemple, la marque Hoka est réputée pour un drop bas et l’épaisseur importante des semelles de ses différents modèles. Ainsi, la semelle du modèle Hoka One One mesure 27 mm au talon et 25 mm à l’avant, mais le poids de la chaussure est faible (215 grammes).
Renforts, éléments anti-pronateurs et éléments de stabilité
D’abord intitulés “éléments anti-pronateurs“, les renforts médiaux sont censés limiter le valgus et la pronation dynamiques. En fait, ces éléments ne sont pas des correcteurs de positionnement du pied dans la chaussure. Mais ils sont conçus pour permettre aux chaussures de rester stables dans le plan frontal avec le temps et leur assurer ainsi une longévité plus importante. Le terme “élément anti-
pronateur“ devrait donc être oublié et remplacé à présent par le terme “élément de stabilité“.
Par exemple, la marque Asics a intégré des éléments de stabilité dans la semelle intermédiaire des modèles Duomax pour lutter contre la “surpronation“.
La rigidité longitudinale
La raideur longitudinale permet d’augmenter l’effet ressort et d’améliorer la dynamique lors de la phase propulsive de l’appui. Évaluer la raideur des chaussures se fait manuellement en essayant de plier l’avant vers l’arrière. Cette rigidité va apporter un effet ressort intéressant dans les montées par exemple. Pour cette raison, les chaussures de trail sont en général beaucoup plus raides que les chaussures de running traditionnelles. Pour les modèles à lame rigide créés pour la performance, et notamment les modèles avec lame de carbone, la rigidité longitudinale est toujours importante, voire impressionnante. Cette rigidité permet d’orienter le retour d’énergie vers l’avant et de donner un effet de propulsion.
Chaussant, largeur et fit
Si la largeur est une donnée mesurable, le fit est plutôt une donnée subjective très personnelle. La notion d’ajustement entre le pied et la chaussure du coureur est appelée chaussant ou fit. Fit étroit, fit large, fit sur mesure, à chacun ses préférences et ses critères de choix. Pour les coureurs intensifs, ces critères sont généralement techniques car le chaussant est important sur la précision des appuis. Pour la grande majorité des coureurs de longue distance, un fit large permettra d’éviter l’inconfort en relation avec le gonflement du pied à l’exercice prolongé.
La marque New Balance, par exemple, propose cinq largeurs pour la quasi-totalité de ses modèles hommes et femmes.
Toe-box
“Boîte à doigt de pied“ pour nos cousins québécois, la toe-box désigne l’espace pour les orteils et donc la largeur de la chaussure au niveau de l’avant-pied. Une toe-box large sera intéressante à conseiller en cas d’hallux valgus, de maladie de Morton ou de pieds qui augmentent de volume à l’exercice. Pour les pieds larges, une toe-box adaptée est un élément important d’amélioration du confort de course.
Les différents modèles de la marque Altra proposent des toe-box de largeur importante.
La tige et le mesh
La tige est l’élément que l’on peut comparer à la carrosserie d’une voiture puisqu’elle recouvre totalement le pied et donne son look et ses couleurs à la chaussure de sport. C’est l’élément esthétique qui attire le plus les addicts du sneaker et d’un usage lifestyle. Pour les sportifs, la tige est un tissu composite de matériaux techniques, le mesh, qui peut rendre les faces supérieures, médiales et latérales imperméables pour le trail ou aérées pour la course sur route.
Durée de vie de la semelle amortissante
Très dépendant de l’ancienneté de la pratique et de la technique de course, cet élément pourtant essentiel n’est que très rarement défini par les fabricants. La durée de vie d’une chaussure de course à pied est en relation directe avec la durée des qualités d’amorti des matériaux utilisés. Pour les modèles habituels, la durée de vie est généralement déterminée en mois : en général 6 à 9 mois selon le poids des utilisateurs, ainsi que la fréquence, la durée et l’intensité de leurs pratiques.
La marque Nike indique que les qualités d’amorti et de propulsion de ses modèles à lame carbone sont prévues pour durer 300 km.
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