L’incontinence urinaire chez les femmes pratiquant le trail
Étude réalisée lors des courses du Grand Raid à la Réunion
Certaines pratiques sportives peuvent être responsables d’incontinence urinaire, surtout chez les sportives de haut niveau. Parmi les 230 participantes à un trail à l’île de la Réunion, avec un taux de participation de 33,6 % à une enquête réalisée après la course, l’incontinence urinaire a été de 39,34 % IC 95 % (32,70-46,28).
Le trail apparaît comme étant manifestement plus à risque d’incontinence urinaire que d’autres activités sportives.
Introduction
La prévalence de l’incontinence urinaire dans la population générale féminine en France est estimée à 17 % (1). Selon l’International Continence Society, l’incontinence urinaire est définie par « une fuite involontaire d’urines ». Certaines pratiques sportives semblent favoriser le risque de survenue d’une incontinence urinaire (2). Mais il n’existe aucune estimation de la prévalence de l’incontinence urinaire chez les pratiquantes du trail, ou courses en haute montagne sur de longues distances, réservées à des sportives considérées comme de haut niveau.
D’après une première estimation (2), les pratiquantes d’un trail se plaignent fréquemment d’incontinence urinaire. Aussi était-il intéressant d’essayer d’évaluer la prévalence de l’incontinence urinaire dans une population de femmes pratiquant le trail, nombreuses au départ (Fig. 1).

Matériel et méthodes
Les participantes
Après leur accord, les 685 participantes, à chacune des trois courses de « La diagonale des fous à la Réunion » (Fig. 2), ont été sollicitées pour cette étude. Un questionnaire anonyme a été envoyé à toutes les participantes par mail via la plateforme google-form après la course le 20 octobre 2013.

Toutes les participantes ayant répondu au questionnaire ont été incluses dans l’étude, sans critère d’exclusion. Le critère principal retenu a été la survenue de symptômes d’incontinence urinaire chez les participantes.
Le recueil des données
Le questionnaire comportait trois parties :
• les caractéristiques de la sportive,
• les troubles périnéaux et leurs connaissances sur le périnée
• et les antécédents gynéco-obstétricaux.
Le recueil des données par les coureuses était anonyme via la plateforme de recueil. La période de recueil des données a été de 42 jours.
L’analyse statistique
L’analyse statistique a été prise en charge par le service de santé publique du CHU de la Réunion. Les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS 9.4 (SAS Institute Cary Inc). En analyse descriptive, les résultats sont présentés sous la forme d’effectifs absolus (nombre de cas) et d’effectifs relatifs (pourcentage). En analyse bivariée, le seuil significatif a été fixé à p < 0,05.
La comparaison des effectifs a été effectuée par le test du Chi² et par le test de Fischer. Les comparaisons concernant les variables quantitatives ont été effectuées par le test t de Student ou le test de Mac Withney.
Anonymat
Le questionnaire a été rendu anonyme en arrondissant le temps de course à la minute. Aucun nom ni prénom n’avait été demandé dans le questionnaire. Aucune déclaration à la Cnil n’ayant été nécessaire pour cette étude, l’avis du Comité d’éthique de la Réunion n’a pas été sollicité.
Résultats
Taux de participation et prévalence de l’incontinence urinaire
Le taux de participation à l’étude a été de 33,6 %, soit 230 réponses exploitables (Fig. 3). La prévalence de l’incontinence urinaire dans cette population a été de 39,34 %, IC 95 % (32,70-46,28) (Tab. 1).

Caractéristiques de la population étudiée
L’analyse de certains éléments concernant l’état physique des concurrentes de trail n’a pas montré de résultats statistiquement significatifs comme :
• l’âge (p = 0,6680),
• le nombre d’années de pratique du trail (p = 0,9274)
• et de la course à pied (p = 0,6835)
• ou encore la pratique d’autres sports (p = 0,3681) (Tab. 2).
D’autres facteurs ont été étudiés concernant les antécédents médicaux des traileuses, le caractère significatif étant retenu pour p < 0,005 (Tab. 3).
Discussion
Un sport d’endurance de haut niveau
Ces trails à la Réunion se font sur un parcours difficile sous une grande chaleur (Fig. 4) et très éprouvant pour les coureurs (Fig. 5) et font partie des sports d’endurance et de haut niveau.
La prévalence observée d’incontinence urinaire chez les traileuses de la Réunion a été proche de celles retrouvées dans d’autres études sur les sportives de haut niveau pratiquant des disciplines variées, où la prévalence de l’incontinence urinaire variait entre 14 et 80 % (moyenne de 33,69 %) (2-8). De même, elle a été supérieure à celle de la course à pied (30 %), dans une population de marathoniennes (9). Ce phénomène d’incontinence urinaire a été constaté chez les femmes sportives, quels que soient l’âge et le sport (10, 11) et sa prévalence augmente avec la difficulté du sport (12). Il a été remarqué dans des sports très divers : gymnastique (13), saut à la corde (14), au trampoline (15), course à pied, avec une incontinence plus marquée en fin d’épreuve (16) (Tab. 4). Chez certaines athlètes, cette incontinence urinaire a été constatée dans 61 % des cas à l’entraînement et dans seulement 45 % des cas en compétition (17). S’y ajoute parfois un dysfonctionnement sexuel (17, 18).
Physiopathologie du trail
D’un point de vue physiopathologique, le trail est proche de la course à pied, mais il est plus intense en termes d’impact périnéal surtout lors des descentes (19, 20). Le trail fait partie des sports à contraintes périnéales fortes à composante dynamique dominante. Il peut être classé dans les sports à risque d’un point de vue physiopathologique. La caractéristique de l’ultra-trail est la répétition des impacts périnéaux sur une longue période, parfois plus de 72 heures de course, avec une fatigue croissante (Fig. 6) qui influe sur le contrôle volontaire des sphincters, en raison d’une insuffisance musculaire du plancher pelvien (21). Un entraînement destiné à renforcer cette musculature pendant plusieurs mois a permis de faire diminuer nettement cette incontinence urinaire (22). Plusieurs études ont déjà décrit la présence d’effets dose-dépendants entre la répétition des impacts périnéaux et la survenue de fuites urinaires (2).

Conclusion
L’incontinence urinaire chez les femmes pratiquant le trail est manifestement plus fréquente que dans d’autres sports. Mais cela nécessite une étude plus approfondie avec un bilan biologique sanguin et urinaire sur un plus grand nombre de sportives pour en préciser la physiopathologie et trouver un moyen de prévention.
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