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Rencontre avec Alain Bernard : “Je me suis toujours battu contre le chrono”

Clémentine Vignon - Journaliste

Du courage, de la force, de la combativité… celui qu’on surnomme « Le grand requin blond » a dû en faire preuve tout au long de sa carrière pour accumuler un palmarès aussi spectaculaire, jusqu’à atteindre le « Graal » en 2008, avec son titre de Champion olympique du 100 m nage libre.

Médecins du sport : Ce numéro de Médecins du sport spécial Natation aborde divers thèmes, dont l’asthme du nageur. Est-ce un sujet qui te parle ?

Alain Bernard : Oui, tout à fait. J’ai développé un asthme d’effort relativement précocement, vers 14 ans. Je ne savais même pas ce que c’était, à l’époque ! Je m’entraînais alors à Aubagne, et ressentais des gênes respiratoires fréquentes, jusqu’au jour où j’ai eu une bronchite carabinée. J’ai eu du mal à m’en remettre, et on m’a soumis à un test de provocation à la métacholine qui a permis de révéler mon asthme. C’est vraiment vers 18 ans que j’ai commencé un traitement de fond, en veillant à prendre le strict minimum des doses prescrites, et seulement quand j’en éprouvais le besoin. Dans le sport de haut niveau, mieux vaut être prudent dans la communication et ne pas sous-estimer les diverses interprétations que la prise d’un médicament peut engendrer. Il faut être transparent sur les produits consommés, et les prendre non pas pour augmenter ses performances, mais pour rétablir des performances nominales, c’est-àdire que notre corps est capable de réaliser.

Médecins du sport : Tout au long de ta carrière, tu as côtoyé de nombreux médecins du sport, dont le Dr Jean- Marie Coudreuse, ton « médecin de l’épaule ». Peux-tu nous en dire plus ?

Alain Bernard : J’ai eu des problèmes d’épaule assez jeune, vers l’âge de 16 ans, alors que j’étais en pleine croissance et que je commençais à m’entraîner environ deux fois par jour au Cercle des nageurs de Marseille. C’est là que j’ai rencontré le Dr Jean-Marie Coudreuse qui est par la suite devenu mon médecin de l’épaule. La douleur était très handicapante et parfois telle que je ne pouvais plus nager. Je ne travaillais alors que les jambes, avec des battements… Autant dire que mon entraîneur n’était pas de très bonne humeur ces jours-là ! [rire] Le Dr Coudreuse a découvert qu’à cause de mouvements répétés et techniquement mal effectués, mon supra-épineux souffrait. La mésothérapie et les infiltrations ont été efficaces pour soulager ma douleur, mais ces traitements ne s’attaquaient pas vraiment à la cause du problème. C’est vraiment la correction de ma technique de nage qui a guéri mes douleurs d’épaules. Celles-ci étaient notamment dues à une entrée de la main dans l’eau par le pouce en crawl, geste que j’ai été amené à corriger. Le retour aérien est également très important. J’ai révisé mon mouvement en levant le coude de manière à avoir la main perpendiculaire à la surface de l’eau. J’ai aussi fait un gros travail de renforcement de mes muscles antagonistes, notamment les rotateurs externes et les abaisseurs.

Médecins du sport : Ces douleurs t’ont donc incité à évoluer techniquement ?

Alain Bernard : Exactement, et comme je suis plutôt méticuleux, j’avais toujours envie de faire mieux ! Il s’agissait d’un défi supplémentaire à relever, qui, j’en étais persuadé, était intimement lié à la progression chronométrique. Beaucoup pensent que le chrono ne dépend pas de la technique de nage et que finalement celle-ci importe peu tant que la vitesse est au rendez-vous. Pour ma part, j’avais une idole, Aleksandr Popov, qui m’a appris que le fait de bien nager n’entravait en rien le chrono, au contraire ! Il était non seulement d’une efficacité exemplaire dans l’eau, mais nageait en plus extrêmement bien visuellement…

Médecins du sport : Le rachis est également sollicité lors de la pratique de la natation… T’est-il déjà arrivé d’être freiné par des douleurs dorsales au cours de ta carrière ?

Alain Bernard : J’ai eu beaucoup de douleurs au dos, mais je n’ai jamais vraiment trouvé le remède… Je me suis résigné à admettre que c’était ma constitution. J’avais une hyperlordose en plus d’une cyphose sur le haut et le bas du dos, qui ont contribué à former un creux propice à l’accumulation de toutes les tensions et contraintes imposées à mon corps. Malgré la kinésithérapie et le renforcement musculaire, ces douleurs m’ont accompagné tout au long de ma carrière, surtout dans les périodes de travail assez intense, ou quand j’avais beaucoup de choses à gérer dans ma tête, en dehors du sport, notamment après mon “éclosion” aux Jeux olympiques de 2008 à Pékin. Avec l’engouement médiatique qui s’en est suivi, les sollicitations qui se succédaient à un rythme effréné… l’expression “en avoir plein le dos” a pris tout son sens à mes yeux ! [rire]

Médecins du sport : À ce propos, comment as-tu vécu la pression qui, j’imagine, a dû peser sur tes épaules après tes performances de 2008 ?

Alain Bernard : Je suis quelqu’un qui n’aime pas décevoir de nature. Je savais qu’on attendait beaucoup de moi, et forcément cela a ajouté une petite pression supplémentaire. C’était parfois un peu délicat à gérer, mais c’était le jeu, et dans les dernières années de ma carrière j’ai vraiment réussi à en profiter et à prendre un peu de recul. J’étais plus détaché, mais en même temps fier d’avoir pu contribuer à un tel essor global de la natation française. Et puis, en voyant la nouvelle génération arriver, je savais que je pouvais partir l’esprit tranquille.

Médecins du sport : Comment as-tu vu évoluer ta discipline pendant ta carrière ?

Alain Bernard : C’est surtout tout ce qui gravite autour de l’entraînement à proprement parler que j’ai vu évoluer. La préparation physique, l’importance de faire des échauffements à sec, des étirements, l’hydratation, l’alimentation, les massages… Tout cela fait désormais partie intégrante de l’entraînement. Avant, les nageurs arrivaient au bord du bassin, tournaient deux fois les bras, allaient dans l’eau, nageaient, puis rentraient chez eux. Il y a maintenant une approche plus globale de la discipline.

Médecins du sport : As-tu eu l’impression d’avoir atteint tes limites en natation ?

Alain Bernard : Oui, je pense avoir atteint mes limites. Je n’ai aucun regret… Et avec l’interdiction des combinaisons en polyuréthane en 2010, je savais bien que je ne pourrais plus nager le 100 m nage libre en moins de 47 secondes. Ça a vraiment bouleversé mes repères de glisse, de flottabilité, de gainage… Je me suis toujours battu pour faire mieux chronométriquement, mais ça devenait inenvisageable sans ces combinaisons ! Au-delà du chrono et des performances, la natation a été une aventure extraordinaire. Elle m’a permis de voyager dès mon plus jeune âge, de construire avec mon entraîneur Denis Auguin l’un des couples entraîneur/ entraîné les plus durables du sport de haut niveau, de vivre des expériences inoubliables…

Médecins du sport : Penses-tu que tu aurais pu pratiquer un autre sport et performer tout autant ?

Alain Bernard : Comparé à d’autres copains, je ne suis pas athlétique, c’est-à-dire que sur terre je ne suis pas très doué. J’aurais adoré faire du tennis, mais on ne saura jamais si j’aurais autant performé ! La beauté dans la natation, c’est que c’est un sport accessible, populaire. On essaie de se déplacer du mieux possible dans les trois dimensions, on évolue en apesanteur… c’est ce rapport avec l’aérien que j’adore ! Je n’ai pas le même rapport à l’eau que ce soit en mer ou en piscine. Pour moi, un bassin de 25 ou 50 m, c’est de l’entraînement, de la technique, des chronos… le reste, c’est de la détente : je barbote dans la mer ! [rire]

Médecins du sport : Et à présent, comment occupes-tu tes journées ?

Alain Bernard : Certaines journées sont très chargées, d’autres beaucoup plus cools… Je n’ai pas vraiment de rythme, mais suis malgré tout très occupé et partage mon temps entre des contrats de consultants avec différentes boîtes privées – par exemple la marque de maillot Aqua Sphere ou le cabinet Octant Architecture, spécialisé dans la conception de piscines – et l’animation de stages d’entraînement. J’adore partager mes expériences et raconter des anecdotes, mais je n’ai jamais envisagé devenir entraîneur, car je voulais aussi prendre du temps pour moi et ma famille.

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