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Technique d’entrée de la main en crawl : Impact sur les douleurs d’épaule chez les nageurs

Dr Ophélie Foret - Médecin généraliste, Aix-en-Provence

La natation est un sport de plus en plus pratiqué, à tout niveau. Elle est réputée peu traumatique et est souvent recommandée par les professionnels de santé. Cependant, pratiquée à une certaine intensité, notamment d’heures et de kilomètres d’entraînement, elle peut être responsable de lésions articulaires, particulièrement au niveau des épaules, des genoux et du rachis.

Hypersollicitation des épaules chez les nageurs

Les douleurs d’épaule sont un vrai problème chez les nageurs par leur fréquence (1-4). La littérature anglosaxonne utilise même communément le terme “swimmer’s shoulder”, qui décrit le syndrome de l’épaule douloureuse du nageur. Mais elles le sont également par la difficulté de leur prise en charge, qui passe souvent par un arrêt de l’entraînement du fait de l’inévitable sollicitation de ce complexe articulaire. En effet, un bon nageur de taille moyenne réalise en crawl environ 18 coups de bras (ou 9 mouvements complets) par 25 m. Soit pour un entraînement moyen de 6 km, presque 4 500 coups de bras donc plus de 2 000 rotations de chaque épaule. Malgré la caractéristique symétrique de ce sport, que la nage soit simultanée (brasse et papillon) ou alternée (crawl et dos crawlé), il a déjà été montré que le développement musculaire résultant d’une pratique intensive n’était pas symétrique.

Il est souvent cité que certains gestes techniques, comme le mode d’entrée de la main dans l’eau en crawl (Fig. 1 et 2), la respiration unilatérale ou le retour aérien du bras, sont pourvoyeurs de pathologies de l’épaule (2-8), mais jamais la responsabilité de ces points techniques n’a été prouvée.

Figure 1 – Entrée de la main à plat.

Figure 2 – Entrée de la main par le pouce (épaule en rotation interne).

En effet, le geste du crawleur, du papillonneur et du dossiste se décompose en deux phases : la phase aérienne (retour du bras, entrée de la main dans l’eau) et la phase de poussée aquatique. Il était par conséquent intéressant de réaliser un travail de recherche afin de montrer l’impact de ces gestes, souvent cités comme facteurs de risque, notamment de tendinopathies de la coiffe ou de conflit sous-acromial. C’est l’objet de notre étude, qui a permis de prouver la responsabilité de l’entrée de la main dans l’eau ou de la respiration dans l’apparition de douleurs d’épaule.

Recueil des données

L’étude a été réalisée lors des Championnats de France d’hiver des Maîtres au mois de mars 2014 à Paris, en partenariat avec la Fédération française de natation. Cette compétition concerne les nageurs de 25 ans et plus, qui nagent et sont classés par catégories de 5 ans. Il n’y a pas de limite d’âge maximum. Lors de cette compétition participaient 2 332 nageurs Maîtres (1 424 messieurs et 908 femmes), dont 1 469 âgés de 25 à 49 ans (878 messieurs et 591 femmes) (9). Quatre-vingt-huit nageurs ont été inclus dans l’étude, basée sur le volontariat. L’étude ciblait les 25-49 ans afin d’éviter un biais lié aux facteurs dégénératifs pouvant entrer en compte dans les douleurs d’épaule chez les nageurs plus âgés. Elle consistait en un questionnaire concernant l’entraînement, la technique, les échauffements à sec et étirements des épaules, ainsi que les antécédents de douleurs, ou d’éventuelles douleurs en cours. Chaque nageur a ensuite eu un examen complet des deux épaules, comprenant une inspection, puis différentes manœuvres, à la recherche de signes de tendinopathie de la coiffe des rotateurs ou du long biceps (tests de Jobe, Patte, Gerber et Belly-press, Palm up test), de conflit sous-acromial (manœuvres de Neer, Hawkins et Yocum) ou encore d’instabilité (Sulcus test et test du tiroir, Fulcrum et Relocation tests) (Fig. 3).

Figure 3 – Examen complet des deux épaules grâce aux différentes manœuvres.

Les rotations passives internes et externes ont également été mesurées.

Principaux résultats

Les caractéristiques anthropométriques et d’entraînement des nageurs participants sont reportées dans le tableau 1.

Ce travail a permis de montrer (résultats dans le tableau 2) qu’il y a significativement plus de douleurs d’épaule chez les nageurs qui ont une entrée de la main en crawl par le pouce, soit l’épaule en rotation interne (57,9 %), par rapport aux nageurs qui attaquent la main à plat (31,9 %, p = 0,014).

Par ailleurs, il a été mis en évidence que les nageurs qui ont l’habitude de respirer de façon unilatérale en crawl, que cela soit à droite ou à gauche, relatent plus fréquemment des antécédents de douleur d’épaule (95,7 vs 73,4 %, p = 0,033). En revanche, il n’a pas été mis en évidence de lien entre les douleurs d’épaule (qu’elles soient actuelles ou anciennes) et les étirements réalisés régulièrement en compétition ou à l’entraînement. De la même façon, les échauffements rigoureux des épaules à sec ne semblent pas prévenir significativement les douleurs d’épaules.

L’examen clinique complet réalisé a permis d’observer que chez les sujets présentant une douleur d’épaule au moment de l’étude, on retrouve une atteinte significativement plus fréquente des tendons supra-épineux (Jobe) et infra-épineux (Patte, coude au corps et à 90 °) (Fig. 4).

Figure 4 – Examen clinique des nageurs ayant une douleur d’épaule lors de l’étude.

Intérêt de l’étude

Les principaux objectifs des études que l’on trouve dans la littérature concernant les douleurs d’épaule chez les nageurs sont le traitement, la prise en charge, et les programmes de rééducation adaptés aux blessures de l’épaule. Notre étude avait quant à elle un objectif préventif, c’est-à-dire l’identification des situations à risque pour les nageurs, afin de prévenir et d’anticiper les blessures. Ainsi, les médecins généralistes ou du sport, les kinésithérapeutes, les ostéopathes, mais aussi les nageurs et leurs entraîneurs sont encouragés à prendre en compte ces résultats pour une correction des gestes dans l’eau. Il serait intéressant de confirmer les résultats de cette étude en réalisant une étude similaire avec un plus grand échantillon, un examen clinique plus objectif, et une vérification technique de chaque nageur par un même examinateur. Ce genre d’étude chez des jeunes nageurs de haut niveau permettrait, par la prévention, de limiter les blessures de l’épaule, bien trop fréquentes chez ces sportifs.

Conclusion

L’entrée de la main dans l’eau en crawl, en fin de phase aérienne, est responsable de douleurs d’épaule chez les nageurs. L’atteinte des tendons supra- et infra-épineux semble être la plus fréquente. La respiration unilatérale est également incriminée dans ces douleurs d’épaule. Ces points techniques et ces lésions tendineuses sont donc à rechercher en priorité par le spécialiste consulté, par un interrogatoire et un examen clinique ciblés.

Bibliographie

  1. McMaster WC, Troup J. A survey of interfering shoulder pain in United States competitive swimmers. Am J Sports Med 1993 ; 21 : 67-70.
  2. Walker H, Gabbe B, Wajswelner H, Blanch P, Bennell K. Shoulder pain in swimmers: A 12-month prospective cohort study of incidence and risk factors. Phys Ther Sport 2012 ; 13 : 243-9.
  3. Weldon EJ, Richardson AB. Upper extremity overuse injuries in swimming. A discussion of swimmer’s shoulder. Clin J Sport Med 2001 ; 20 : 423-38.
  4. Heinlein SA, Cosgarea AJ. Biomechanical considerations in the competitive swimmer’s shoulder. Sports Health 2010 ; 2 : 519-25.
  5. Olivier N, Quintin G, Rogez J. The high level swimmer articular shoulder complex. Ann Readapt Med Phys 2008 ; 51 : 342-7.
  6. Virag B, Hibberd EE, Oyama S, Padua DA, Myers JB. Prevalence of freestyle biomechanical errors in elite competitive swimmers. Sports Health 2014 ; 6 : 218-24.
  7. Allegrucci M, Whitney SL, Irrgang JJ. Clinical implications of secondary impingement of the shoulder in freestyle swimmers. J Orthop Sports Phys Ther 1994 ; 20 : 307-18.
  8. Bak K. The practical management of swimmer’s painful shoulder: etiology, diagnosis, and treatment. Clin J Sport Med 2010 ; 20 : 386-90.
  9. Fédération Française de Natation. Dossier de presse de rentrée. Vendredi 11 octobre. Saison 2013/2014. https://ffn.extranat.fr/html/ presse/237.pdf

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