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Avulsion de la crête iliaque chez un jeune sprinteur

Dr Romain Rousseau (Institut Nollet, Département médical de l’Insep, Clinique Maussins-Nollet, Paris), Dr Laurent Casabianca (Clinique Drouot-Molitor, Paris), Dr Marc-Antoine Ettori (Institut Nollet, Clinique Maussins-Nollet, Paris ), Dr Camille Steltzlen (Institut Nollet, Clinique Maussins-Nollet, Paris)

Introduction

Les fractures-avulsion des apophyses pelviennes sont rares. Elles touchent les adolescents avec un âge moyen de 14 ans. L’épine iliaque antéro-supérieure est le plus souvent atteinte (EIAS) (49 % des cas), puis l’épine iliaque antéro-inférieure (EIAI) (30 % des cas), la tubérosité ischiatique dans 11 % des cas et la crête iliaque (1).

Elle est généralement causée par un étirement brutal ou une contraction contrariée sur le sartorius ou le tenseur du fascia lata (2). Le diagnostic peut être méconnu à la phase initiale en l’absence d’examens complémentaires.

Nous présentons ce cas clinique d’avulsion de la crête iliaque chez un jeune sprinteur avec pour objectif de clarifier le mécanisme lésionnel et de proposer un traitement chirurgical permettant d’obtenir un résultat anatomique satisfaisant avec un retour au sport au même niveau.

Présentation du cas

Le patient est un jeune sprinteur de 16 ans, il n’avait pas d’antécédents médicaux particuliers. Lors d’une course, sa position dans les starting-blocks était la suivante : 

• pied droit vers l’avant avec la hanche droite fléchie à plus de
125 degrés 

• et pied gauche vers l’arrière avec la hanche fléchie d’environ
110 degrés. 

Au moment du départ, le patient a ressenti une violente douleur à la sortie des starting-blocks. Devant la douleur et la sensation de perte de contrôle de son membre inférieur, il a immédiatement stoppé sa course.

Examen clinique

À l’examen au stade aigu, on retrouvait une douleur antérieure située sur la crête iliaque antérieure et une perte totale de la fonction de la hanche.

Imagerie

La radiographie et le scanner ont confirmé le diagnostic d’avulsion de la quasi-totalité de l’apophyse de la crête iliaque (Fig. 1). Le déplacement était relativement important de plus de 9 mm distalement et latéralement.

Figure 1 – Scanner : avulsion de la quasi-totalité de l’apophyse de la crête iliaque distalement et latéralement.

 

 

Traitement

Devant l’importance de ce déplacement, nous avons opté pour un traitement chirurgical pour réduction et ostéosynthèse par deux vis. Le drain a été retiré 1 jour après l’opération et les sutures ont été retirées après 15 jours. Un scanner a été réalisé en postopératoire immédiat pour confirmer la bonne réduction postopératoire (Fig. 2 et 3).

Figure 2 – Scanner : préopératoire et postopératoire. Réduction et fixation interne avec deux vis.

Figure 3 – Scanner : positionnement des vis.

Aucune complication neurologique au décours de l’intervention n’a été constatée et les suites opératoires ont nécessité une mise en décharge complète pendant 6 semaines avec contre-indication à la flexion active de la hanche.

Rééducation et reprise

Le patient a ensuite commencé la rééducation fonctionnelle puis une reprise progressive de l’athlétisme et notamment de la course à pied sans sprint au 3e mois postopératoire puis augmentation progressive de la charge. Le patient a égalé son record personnel sur 100 m à la fin du 6e mois postopératoire. L’examen au recul de 6 mois retrouvait une hanche libre et indolore avec un examen clinique strictement identique à la hanche controlatérale sans aucune plainte fonctionnelle. 

Discussion

L’âge moyen des avulsions apophysaires du bassin est de 13,8 ans (de 11 à 17 ans) (3). Pendant cette période, les apophyses, où sont insérés des muscles puissants de la hanche, sont des zones de faiblesse de l’appareil musculo-squelettique en croissance. Cette faiblesse se reflète dans la fragilité de l’ossification enchondrale des apophyses exposées à des contraintes biomécaniques exercées par des muscles beaucoup plus forts et plus résistants. Les lésions sont généralement dues à une augmentation soudaine et violente (concentrique ou excentrique) de la tension lors d’activités sportives élevées chez des sujets au squelette immature (3).

Généralités EIAS

Épidémiologie

Parmi les avulsions apophysaires du bassin, l’avulsion de la tubérosité ischiatique est la plus courante, suivie de l’avulsion de l’EIAS, puis de l’EIAI (3-6). Cette lésion touche principalement le sexe masculin. Les activités sportives responsables des fractures de l’avulsion iliaque supérieure antérieure étaient le football, l’athlétisme et la gymnastique (3).

Les fractures-avulsion de l’EIAS sont rares. Elles sont généralement unilatérales, bien que des cas bilatéraux ou de l’adulte aient été décrits (6-8).

L’avulsion de l’EIAS et de la crête iliaque présentée dans notre cas clinique est encore plus rare avec un arrachement complet de la plaque chondrale.

Physiopathologie

Deux muscles s’insèrent sur l’EIAS : le sartorius et le tenseur du fascia lata, et sur la crête iliaque : le muscle abdominal transverse et le muscle abdominal oblique interne (5).

C’est pourquoi White et al. ont décrit deux types de blessures en fonction du sport, de la topographie et de la taille des lésions pour les avulsions de l’EIAS : 

• la fracture-avulsion de type 1 intéressant l’insertion du sartorius et due à une accélération brutale dans divers sports : le fragment est petit et déplacé antérieurement (9) ; 

• la fracture-avulsion de type 2, plus rare, intéressant l’insertion du tenseur du fascia lata. Les types 2 ont été décrits au baseball dans le mouvement de balancier du batteur à la phase de frappe. Le fragment osseux est beaucoup plus grand et déplacé latéralement (9).

Dans notre cas, il s’agissait d’un type 2 emportant toute la crête iliaque. Le mécanisme lésionnel s’est produit lors de la phase d’accélération brutale à la sortie des starting-blocks et qui n’est pas tout à fait transposable de ce fait à la théorie de White et al.

Déchirure

Le patient a décrit des douleurs lors de la propulsion à la sortie du starting-block : il s’agit de la phase d’accélération qui correspond à la phase de traction maximale sur le tendon pendant la course. La déchirure a été faite lors de l’extension de la hanche et de l’extension maximale du genou, combinée à une légère rotation du tronc correspondant à la traction maximale sur le sartorius, le fascia lata et combinant la traction des muscles abdominaux (Fig. 4). 

Figure 4 – Propulsion à la sortie des starting-blocks : extension de la hanche et extension maximale du genou, associée à une légère rotation du tronc.

Cela explique, selon nous, pourquoi l’avulsion était plus grande avec une composante de déplacement latérale (Fig. 1). 

Diagnostic clinique

Douleur et perte de fonction

Cliniquement, la douleur intense est le principal symptôme. Parfois, le patient peut signaler un claquement audible au moment de l’accident. Apparaît alors une perte totale de fonction du membre inférieur avec sidération musculaire post-traumatique.

Lors de l’examen physique, une tuméfaction peut être trouvée en regard de l’EIAS. La palpation de cette zone déclenche une douleur intense. Parfois, le fragment avulsé est palpé sous la peau.

Méralgie

Dans de rares cas, la présentation initiale d’une lésion de l’EIAS peut se faire sous forme de méralgie dans le territoire de la branche sensitive du nerf musculo-cutané. Le mécanisme n’est pas clair : cela peut être dû à une compression par l’hématome lésionnel ou à une force de traction sur le nerf (10, 11).

Diagnostic radiologique

Le diagnostic de ces lésions a été fait par des radiographies simples du bassin de face et de trois quarts. Le diagnostic peut parfois être méconnu sur des radiographies simples conventionnelles du bassin (12). Un scanner permettra d’établir avec précision le diagnostic et de caractériser le déplacement. L’IRM est plus sensible, mais moins pertinente sur l’analyse osseuse (12). Chez les patients plus jeunes, l’échographie peut-être utile notamment en cas de non-ossification des apophyses (13).

Traitement

Il existe différents traitements pour les fractures-avulsion de l’EIAS.

Le traitement conservateur

Le traitement conservateur consiste généralement en un repos articulaire sans appui pendant 3 semaines, avec la hanche immobilisée à 70° de flexion.

Après 3 semaines, la kinésithérapie peut être débutée avec une reprise progressive de l’appui jusqu’à 6 semaines.

Le traitement chirurgical

Le traitement chirurgical consiste en une réduction et ostéosynthèse par vis. La reprise d’un appui partiel est autorisée immédiatement après l’intervention avec un entretien passif des amplitudes articulaires. À 6 semaines, la reprise d’un appui complet est autorisée.

Le traitement chirurgical des fractures-avulsion de l’EIAS est indiqué lorsque le déplacement est supérieur à 2 cm ainsi que pour améliorer le délai de reprise sportive (4, 14, 15). Une méralgie associée est également une indication chirurgicale (11). 

Pour certains auteurs, le traitement chirurgical doit rester une exception et doit être réservé aux patients pour lesquels une reprise précoce d’un niveau d’activité intense est nécessaire.

Complications

Les complications du traitement conservateur sont représentées par la pseudarthrose et une ossification secondaire pouvant être très volumineuse (14). 

La plupart des patients se rétablissent complètement sans complications après un traitement conservateur (9, 16).

Le traitement chirurgical permet une consolidation osseuse plus rapide avec une réduction anatomique.
À 6 semaines, Kautzner et al. ont trouvé 76 % des patients du groupe chirurgical avec une bonne consolidation, contre seulement 50 % dans le groupe conservateur (2). 

Les complications du traitement chirurgical sont les infections du site opératoire, les cicatrices pathologiques et une hyperesthésie transitoire du nerf fémoro-cutané latéral (2).

En ce qui concerne l’ossification hétérotopique, il n’y a pas de différence entre les groupes chirurgicaux et non opératoires. Dans la même étude au suivi de 1 an, tous les patients avaient le même résultat en termes de consolidation osseuse (2).

Conclusion

La principale prise en charge de ces lésions est tout d’abord la prévention : ne pas négliger l’échauffement, prévoir des séances spécifiques d’étirements et travail de renforcement musculaire progressif, sans omettre les muscles abdominaux.

La fracture-avulsion de l’EIAS est une blessure rare. Les complications chirurgicales sont rares. Les deux options de traitement donnent de bons résultats à long terme.

Dans notre cas, l’indication chirurgicale avait été choisie devant l’importance du déplacement et la taille de la lésion. Dans ce cas, l’arrachement important de presque toute la crête iliaque est un argument supplémentaire pour la chirurgie dans le but d’obtenir une récupération rapide et totale.

Bibliographie

1. Schuett DJ, Bomar JD, Pennock AT. Pelvic apophyseal avulsion fractures: a retrospective review of 228 cases. J Pediatr Orthop 2014 ; 35 : 617-23.

2. Kautzner J, Trc T, Havlas V. Comparison of conservative against surgical treatment of anterior-superior iliac spine avulsion fractures in children and adolescents. Int Orthop 2014 ; 38 : 1495-8. 

3. Rossi F, Dragoni S. Acute avulsion fractures of the pelvis in adolescent competitive athletes: prevalence, location and sports distribution of 203 cases collected. Skeletal Radiol 2001 ; 30 : 127-31. 

4. Pointinger H, Munk P, Poeschl GP. Avulsion fracture of the anterior superior iliac spine following apophysitis. Br J Sports Med 2003 ; 37 : 361-2. 

5. Fernbach SK, Wilkinson RH. Avulsion injuries of the pelvis and proximal femur. Am J Roentgenol 1981 ;137 : 581-4. 

6. Hansson G. Bilateral avulsion fracture of the anterior superior iliac spine. report of a case. Acta Chir Scand 1970 ; 136 : 85-6. 

7. Bendeddouche I, Jean-Luc BB, Poiraudeau S, Nys A. Anterior superior iliac spine avulsion in a young soccer player. Ann Phys Rehabil Med 2010 ; 53 : 584-90. 

8. Orava S, Ala-Ketola L. Avulsion fractures in athletes. Br J Sports Med 1977 ; 11 : 65-71. 

9. White KK, Williams SK, Mubarak SJ. Definition of two types of anterior superior iliac spine avulsion fractures. J Pediatr Orthop 2002 ; 22 : 578-82. 

10. Hsu CY, Wu CM, Lin SW, Cheng KL. Anterior superior iliac spine avulsion fracture presenting as meralgia paraesthetica in an adolescent sprinter. J Rehab Med 2014 ; 46: 188-90. 

11. Thanikachalam M, Petros JG, O’Donnell S. Avulsion fracture of the anterior superior iliac spine presenting as acute-onset meralgia paresthetica. Ann Emerg Med 1995 ; 26 : 515-7. 

12. Naylor JA, Goffar SL, Chugg J. Avulsion fracture of the anterior superior iliac spine. J Orthop Sports Phys Ther 2013 ; 43 : 195. 

13. Lazović D, Wegner U, Peters G, Gossé F. Ultrasound for diagnosis of apophyseal injuries. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 1996 ; 3 : 234-37. 

14. Irving MH. Exostosis formation after traumatic avulsion of the anterior inferior iliac spine. Report of two cases. J Bone Joint Surg Br 1964 ; 46 : 720-2. 

15. Meyer NJ, Schwab JP, Orton D. Traumatic unilateral avulsion of the anterior superior and inferior iliac spines with anterior dislocation of the hip: a case report. J Orthop Trauma 2001 ; 15 : 137-40. 

16. Rosenberg N, Noiman M, Edelson G. Avulsion fractures of the anterior superior iliac spine in adolescents. J Orthop Trauma 1996 ; 10 : 440-3. 

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