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Congrès Journée Raphaëloise – Les entorses du pouce en ski alpin

Dr Ivan Prothoy (Médecin du sport, Polyclinique des Alpes du Sud, Gap) / 20 octobre 2018.

Épidémiologie

L’articulation métacarpo-phalangienne (MCP) du pouce est fréquemment atteinte en ski alpin. C’est le deuxième site lésionnel en fréquence après le genou, d’après les relevés d’accidents des médecins de Montagne en France, avec une incidence d’entorse variant de 2,3 à 4,4 lésions/1 000 skieurs-jours.

Le ligament collatéral ulnaire

Le ligament collatéral ulnaire (LCU) est de loin le plus souvent atteint. Celui-ci comporte deux faisceaux : un faisceau principal venant s’insérer sur la plaque palmaire ou ligament palmaire et les sésamoïdes du pouce (tendu en flexion de la MCP), et un faisceau accessoire qui vient s’insérer sur la base de la première phalange (tendu en extension de la MCP).

Effet d’une chute

Lors d’une chute, un sujet va naturellement tenter d’amortir le choc avec le membre supérieur. C’est la paume de la main qui entre en contact avec le sol. La main est ouverte avec le pouce en abduction et légère opposition. L’avant-bras est en pronation.
La chute du skieur a comme particularité qu’il tient la poignée du bâton de ski dans la main, et que le sol est mou.

Le bâton

Le bâton va avoir un double effet. D’abord la préhension du bâton augmente l’opposition du pouce. Ensuite la pointe du bâton (partie opposée ou poignet) va buter contre le sol, entrainant une majoration de la pronation de l’avant-bras. Le pouce et non la paume de la main va donc entrer en premier en contact avec le sol.
Le sol mou favorise le plantage du pouce dans la neige. La colonne du pouce subi alors une inclinaison radiale forcée.

La dragonne

La dragonne du bâton n’est en rien impliquée dans le mécanisme d’accident, contrairement à une idée reçue (Fig. 1).

Figure 1 : Le pouce est le premier à rentrer en contact avec la neige lors d’une chute en ski.

Les signes cliniques

Le skieur victime de ce type d’accident se présente en consultation avec divers signes cliniques, dont certains évoquent d’emblée une entorse grave :
• un hématome fusant le long de l’extenseur du pouce et parfois présent uniquement à la face dorsale de l’IP.
• une attitude spontanée en inclinaison ulnaire de la MCP,
• un œdème local,
• une douleur paradoxalement peu importante,
• une palpation douce d’une masse tissulaire sur le bord ulnaire de la tête du métacarpien, qui permet d’évoquer un effet Stener (avec toutefois près de 50 % de faux négatifs).

Le bilan radiographique

À ce stade, il est indispensable de demander un bilan radiographique, afin de ne pas méconnaître une fracture arrachement ou une fracture autre de la colonne du pouce. Une déformation en valgus spontané ou une subluxation palmaire de la phalange sont des facteurs de gravité (rupture large du LCU s’étendant à la capsule dorsale dans le dernier cas).
Les radiographies en valgus dynamique forcé ne sont plus recommandées du fait d’une sensibilité faible et de nombreux faux négatifs, liés à la douleur et l’appréhension du patient.

Le testing clinique

Identifier la rupture

Le testing clinique du LCU peut alors commencer. Le but de cet examen est de faire la part des choses entre une rupture partielle ou totale du LCU (touchant alors les deux faisceaux ligamentaires). Cette rupture totale entraîne une laxité importante au testing, et peut s’accompagner de l’effet Stener tant redouté. Ceci correspond à une interposition de l’aponévrose de l’adducteur du pouce entre les moignons ligamentaires (aponévrose qui glisse normalement harmonieusement en superficie du LCU lors des mouvements de flexion extension), empêchant dès lors toute cicatrisation par absence de mise en contact des moignons. Cette instabilité majeure est très mal tolérée, car elle interdit toute prise de force avec la main (Fig. 2 et 3).

Figure 2 : Dessin représentant l’aponévrose (en vert) de l’adducteur du pouce qui vient s’insérer sur le tendon en vert du long extenseur du pouce, et vient balayer lors des mouvements le ligament collatéral ulnaire (en bleu).

Figure 3 : Rupture du ligament collatéral ulnaire à sa portion distale avec volumineux moignon proximal. Les deux extrémités sont éloignées l’une de l’autre par aponévrose de l’adducteur : c’est l’effet Stener.

En pratique

Le testing du ligament principal se teste en flexion de la MCP et celui du ligament accessoire en extension de la MCP. Les valeurs seuils de laxité pour parler d’entorses graves restent très discutées, oscillant de 10° à 45° comparativement au côté sain. Toutefois, une laxité différentielle entre deux pouces sains de 15° n’est pas rare. Il nous semble donc prudent de prendre une valeur seuil de 35° de laxité. Un arrêt mou lors du testing peut aussi être perçu (comme lors d’une manœuvre de Lachman au genou), mais il est fort difficile à percevoir dans notre expérience.

La douleur

La douleur ressentie par le patient lors du testing peut constituer un sérieux obstacle à l’analyse fine de la lésion anatomique. Une anesthésie locale péri-articulaire apporte un confort d’examen et une fiabilité bien supérieure.

L’effet Stener

Le fait de tester le LCU rompu peut inquiéter. Ne risque-t-on pas de transformer une lésion grave sans effet Stener en une lésion avec effet Stener dont le traitement sera obligatoirement chirurgical ? Adler et al. ont répondu à cette question en testant 10 pouces de cadavre avec lésion chirurgicale du LCU. Aucun effet Stener n’a été provoqué lors de leur examen.

L’imagerie

L’échographie s’est quasiment imposée comme l’examen de référence (sensibilité 98 %, spécificité 89 % selon Bordet 2009), juste derrière l’IRM, plus difficile d’accès. Les manœuvres, en particulier dynamiques, avec mise en valgus forcé progressif et surtout avec mobilisation passive de l’inter-phalangienne du pouce, permettent de distinguer une rupture large du LCU et une incarcération de l’aponévrose de l’adducteur dans le 2e cas. Cet examen ne nécessite pas de grande courbe d’apprentissage et est totalement indolore (Vidéos 1 et 2).

Vidéo 1 : Entorse du pouce simple. Lors des mouvements de l’interphalangienne du pouce, l’aponévrose balaye en superficie le ligament collatéral ulnaire dont on perçoit la solution de continuité, signant une entorse grave.

Vidéo 2 : Effet Stener. Lors des mouvements de l’interphalangienne du pouce, l’aponévrose vient s’incarcérer sous le moignon proximal du ligament collatéral ulnaire rompu.

Le traitement

Le traitement dépend des résultats du testing et de l’imagerie.

Fracture

En cas de fracture arrachement non déplacée, le testing ligamentaire doit être exécuté. Le risque de déplacement de la fracture est faible, mais présent. Si la laxité est inférieure à 35°, avec ou sans fracture, un traitement orthopédique est proposé.

Entorse simple

Le traitement consiste en la mise en place d’un gantelet en résine ou d’une orthèse thermo-formable immobilisant uniquement la métacarpo-phalangienne du pouce durant 3 à 6 semaines en cas d’entorse simple, et durant 6 semaines en cas d’arrachement osseux non déplacé. Malgré ce traitement, l’arrachement osseux peut évoluer en pseudarthrose dans 25 à 60 % des cas selon les séries, ce qui ne semble pas altérer le résultat fonctionnel final.
Il faut demander au patient de mobiliser activement chaque jour l’inter-phalangienne du pouce laissée libre afin d’éviter toute adhérence entre l’aponévrose de l’adducteur et le ligament lésé sous-jacent (Fig. 4).

Figure 4 : L’articulation inter-phalangienne est laissée libre.

Entorse grave

Si la laxité est supérieure à 35°au testing, il s’agit d’une entorse grave (avec ou sans arrachement osseux) qui peut ne pas cicatriser malgré un traitement orthopédique bien conduit. Le patient doit en être prévenu (Fig. 5).

Figure 5 : Laxité supérieure à 35°.

Absence d’effet Stener

En l’absence d’effet Stener mis en évidence en échographie ou IRM, le traitement orthopédique (gantelet durant 6 semaines) ou la réparation chirurgicale peuvent être proposés. La supériorité de l’un ou de l’autre n’a jamais été étudiée.
Les partisans du traitement chirurgical arguent que la réparation secondaire d’un ligament mal cicatrisé est plus compliquée qu’une suture en aigu. De ce fait, certaines équipes opèrent systématiquement toute lésion considérée grave.

Présence d’effet Stener

En cas d’effet Stener, le traitement ne peut être que chirurgical afin de repositionner le moignon ligamentaire proximal.

Arrachement osseux très déplacé

Enfin, en cas d’arrachement osseux très déplacé, ou emportant plus de 25 % de la surface articulaire, un brochage chirurgical est recommandé.

Le choix et la qualité du traitement initial conditionnent l’évolution. Un pouce instable après entorse du LCU évolue rapidement vers l’arthrose, ne laissant alors plus d’autre choix thérapeutique que l’arthrodèse chirurgicale, certes bien tolérée.

La prévention

Peut-on prévenir l’entorse du pouce en ski alpin ?

Il est possible de lâcher le bâton lors de la chute, mais attention au retour de bâton fixé au poignet par la dragonne.
L’autre possibilité consiste à tenir la poignée de bâton comme un Joystick, limitant ainsi tout contact du pouce avec la neige lors de la chute (Fig. 6).

Figure 6 : Tenir la poignée du bâton comme un joystick (à gauche).

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