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Douleur post-traumatique : penser à la myosite ossifiante

Dr Djamila Maiza, Dr Christian Dibie (INSEP, Paris)

Jeune patient de 17 ans consultant pour une tuméfaction douloureuse de la cuisse gauche, à la suite d’un traumatisme par choc direct, lors d’un match de football américain, il y a plus d’un mois. Le syndrome douloureux a cependant diminué d’intensité et persiste sous forme de gêne fonctionnelle modérée. L’examen clinique retrouve un certain degré d’amyotophie des muscles de la loge antérieure de la cuisse gauche, ainsi qu’une masse relativement ferme à la palpation.

Imagerie

Echographie première

L’exploration échographique met en évidence une amyotrophie du muscle droit fémoral droit (Fig. 1A), associée à une formation oblongue longeant la face antérieure de la corticale fémorale à son tiers moyen s’étendant sur environ 13 cm de longueur. Elle présente un centre relativement hypo- échogène cerné de calcifications discontinues (Fig. 1B et C).

Figure 1 – Echographie première.

A : coupes axiales comparatives du muscle droit fémoral (27 mm de diamètre à droite, 21 mm à gauche) ; B : coupes axiales loge antérieure de cuisse droite ; C : coupe sagittale loge antérieure de cuisse droite.

Devant cet aspect et compte tenu du contexte clinique, deux diagnostics sont évoqués : hématome profond partiellement calcifié, myosite ossifiante.

Bilan radiologique

Le bilan radiologique standard (Fig. 2) révèle des calcifications intramusculaires à la face-antéro latérale et médiale du fémur gauche, avec un aspect “peigné”, à distance de la corticale, caractéristique d’une myosite ossifiante.

Figure 2 – Radiographies standards. Profil et face fémur gauche : aspect peigné des calcifications avec liseré clair entre elles et la corticale osseuse.

Scanner et IRM

• Le scanner confirme ce diagnostic en montrant la distribution particulière des calcifications musculaires juxta-corticales, selon une architecture typique zonale, avec un centre hypodense et des calcifications périphériques (Fig. 3A, B).

Figure 3 – Scanner : zone hypodense contenant des calcifi cations en couronne à centre clair, séparées de l’os. A : reconstruction sagittale ; B : coupes axiales.

• L’IRM va mettre en évidence un syndrome inflammatoire des fibres musculaires avec un franc hypersignal sur les séquences T2 avec saturation de graisse (Fig. 4A), ainsi qu’un réhaussement musculaire après injection de gadolinium (Fig. 4B). Elle va également visualiser un signal normal de la corticale et de l’os spongieux du fémur.

Figure 4 – IRM. A : coupes axiale et sagittale en T2, FatSat œdème des fibres musculaires ; B : acquisitions axiales en pondération,T1Gado FatSat, rehaussement musculaire focal, les calcifications sont évidemment moins bien mises en évidence que par le scanner.

Diagnostic positif

• Le diagnostic retenu est donc une myosite ossifiante circonscrite (MOC) du muscle vaste médial gauche.
• L’évolution clinique va être marquée par une nette diminution puis une disparition totale de la douleur et de la gêne fonctionelle.
• Le bilan d’imagerie réalisé 3 mois plus tard montre en radiologie (Fig. 5) un épaississement focal cortical en rapport avec une intégration des calcifications à la corticale diaphysaire, ainsi qu’une disparition du syndrome inflamatoire en IRM (Fig. 6).

Figure 5 – Ossifications avec épaississements corticaux focaux.

Figure 6 – Coupes axiale sen t2 fatSat à 1 mois et 3 mois d’évolution : disparition de l’effet de masse et de l’œdème. Présence d’un anneau semi-circulaire périphérique calcifié.

La myosite ossifiante circonscrite (MOC)

Définition et généralités

• Affection bénigne, localisée, touchant la surface externe de l’os ou les tissus mous à distance de la surface périostée, aboutissant à un processus d’ossification hétérotopique des tissus mous.
• Terrain : adolescent ou adulte jeune (50 % de 20 à 30 ans), mais elle peut toucher tous les âges.
• Antécédent traumatique dans 60 à 75 % des cas.
• Prédominance masculine.
• Athlétisme ++, rugby, taekwendo, football, travailleurs de force.
• Localisation : ubiquitaire mais surtout au niveau des muscles les plus volumineux (cuisse, mollet, fesse, bras).

La myosite ossifiante circonscrite est différente de la myosite ossifiante généralisée ou maladie de Munchmeyer qui est une fibrodysplasie ossifiante et diffuse à transmission autosomique dominante.

Anatomopathologie

Le phénomène de zone histologique est spécifique à la MOC et rend compte de l’imagerie en coupe observée (Fig. 7).

Figure 7 – Phénomène de zone histologique.

4 : fibres musculaires refoulées ; 3 : travées os mature, +/- amas cartil. ; 2 : ostéoblastes bordés dépôts ostéoïdes ; 1 : fibroblastes jeunes. Rares cellules géantes, capillaires.

Clinique

Evolution caractéristique en trois stades.

Phase d’installation (< 3 semaines) : masse d’apparition brutale douloureuse rapidement croissante, d’horaire inflammatoire avec impotence fonctionnelle.
Phase mature (environ 2 mois) : tuméfaction maximale mais diminution progressive de la douleur, avec début de récupération fonctionnelle, sauf de rares cas para-articulaires de raideur séquellaire.
Phase de régression (> 3 mois) : disparition complète progressive de la symptomatologie.

Evolution

• Etat général conservé.
• Elévation modérée de la VS et hyperleucocytose.
• Régression spontanée dans 35 % des cas.
• Ostéome secondaire par ossification progressive.
• Complications secondaires à la lésion (compression nerveuse…).
• Pseudo-kyste avec coque osseuse.
• Récidive.
• Rarement : fracture, ostéosarcome : < 1 %.

Imagerie

Entre 0 et 3 semaines

Radiographie simple : normale ou épaississement des parties molles associé parfois à une réaction périostée. Absence de calcification.
Echographie : masse hypervascularisée au Doppler.
TDM : masse des tissus mous iso- ou hyperdense. Absence de calcification. Rehaussement après injection de produit de contraste.
IRM : masse en isosignal en T1 par rapport au muscle avec parfois niveau liquide-liquide et en hypersignal en T2 FatSat. Rehaussement après injection de gadolinium.

Entre 3 et 8 semaines

Radiographie simple : calcifications floconneuses évoluant en ossification périphérique, à distance de l’os, associées parfois à une réaction périostée. Le centre de la lésion est plus clair.
TDM : anneau périphérique de calcifications. La masse est séparée de l’os par un liseré clair.
IRM : masse centrale bien définie, l’oedème a un diamètre supérieur à celui de la masse palpée. Présence d’un anneau périphérique.

Au-delà de 2 mois

• Lésion mûre.
Radiographie simple : maturation de l’ossification périphérique venant parfois au contact de l’os. Ossification en couronne.
TDM : confirme l’aspect visible à la radiographie et montre une augmentation de la densité de la masse.
IRM : diminution de l’effet de masse et disparition de l’oedème. Présence d’un anneau périphérique.

Diagnostic différentiel

Tab. 1.

À RETENIR

• La clinique, surtout au stade précoce, n’est pas spécifique. Il faut insister sur un bon interrogatoire qui permet de montrer la nette diminution des douleurs avec le temps contrairement à une pathologie tumorale maligne.
• La biologie n’est pas contributive.
• L’imagerie joue un rôle primordial pour le diagnostic positif, le diagnostic différentiel et le suivi de l’évolution caractéristique en trois phases de la MOC.
• La MOC est essentielle à connaitre, car la présence d’ossifications des parties molles adjacentes à l’os fait toujours craindre une localisation tumorale chez un jeune patient.
• Le traitement doit être conservateur avec une surveillance radio-clinique.
• DANGER de réaliser une biopsie précoce et limitée qui peut révéler du tissu indifferentié d’un processus sarcomateux et être à l’origine d’un diagnostic erroné, et d’un traitement inadapté.

Pour en savoir plus

• Wybier M, Quillard A, Parlier C, Champsaur P. Myositis ossificans circumscripta and its variants. Ann Radiol 1997 ; 40 : 201-6.
• Konishi E, Kusuzaki K, Murata H et al. Extraskeletal osteosarcoma arising in myositis ossificans. Skeletal Radiol. 2001 ; 30 : 39-43.
• Nuovo MA, Norman A, Chumas J, Ackerman LV. Myositis ossificans with atypical clinical, radiographic, or pathologic findings: a review of 23 cases. Skeletal Radiol 1992 ; 21 : 87-101.
• De Smet AA, Norris MA, Fisher DR. Magnetic resonance imaging of myositis ossificans: analysis of seven cases. Skeletal Radiol 1992 ; 21 : 503-7.
• Geukens DM, Vande Berg BC, Malghem J et al. Ossifying muscle metastases from an esophageal adenocarcinoma mimicking myositis ossificans. Am J Roentgenol 2001 ; 176 : 1165-6.
• May DA, Disler DG, Jones EA et al. Abnormal signal intensity in skeletal muscle at MR imaging: patterns, pearls, and pitfalls. Radiographics 2000 ; 20 : S295-315.
• Gielen JI, Lecomte Y, Bienfait JC.Probleme diagnostique de la myosite ossifiante circonscrite. Acta Orthopeadica Belgica ; 64 : 331-5.
• Courroy JB. La myosite ossifiante. amdts.free.fr/pps/2009/12.pdf.
• Malghem J, Lecouvet F, Galant C et al. Myosite ossifiante circonscrite. Imagerie de de l’appareil musculo-squelettique. Sauramps medical.

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