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Incontinence urinaire d’effort (IUE) chez la sportive : un sujet musclé !

Julie Péroua-Viault, Dr Maxence Compagnat, Dr Jérémie Bordes, Pr Jean-Yves Salle, Pr Jean-Christophe Daviet - Service de médecine physique et de réadaptation, CHU de Limoges

L’incontinence urinaire d’effort (IUE) est définie par une fuite involontaire d’urine, non précédée du besoin d’uriner, qui survient à l’occasion d’un effort tel qu’une toux, un rire, un éternuement, un saut, une course, un soulèvement de charges ou tout autre activité physique augmentant la pression intra-abdominale. Les études analysant la prévalence de l’IUE chez la femme sportive ces 20 dernières années ont mis en évidence une forte association entre la pratique des sports à fort impact et à haute intensité et la présence de fuites urinaires à l’effort. La prévalence est très variable. Si elle est quasi nulle pour des sports tels que la natation ou le golf, elle s’élève à plus de 80 % dans le trampoline ou l’haltérophilie.

À ce jour, l’activité physique pratiquée de manière intense est identifiée par la HAS comme un facteur de risque à part entière de l’incontinence urinaire d’effort, au même titre que l’accouchement.

L’incontinence urinaire d’effort : les facteurs de risque

Les différentes études sur ce sujet depuis 1994 ont mis en évidence plusieurs facteurs de risque dont :

  • L’âge : les plus de 65 ans ont 2,5 fois plus d’IUE pouvant être reliée au phénomène naturel de sarcopénie.
  • L’IMC : un indice de masse corporel élevé est un facteur de risque identifié de survenue d’IUE.
  • La parité : les traumatismes obstétricaux pendant l’accouchement sont également des causes de fragilisation du périnée, notamment lorsqu’ils ne sont pas suivis de rééducation périnéale en post-partum.

Physiopathologie de l’IUE chez la sportive

Les facteurs spécifiques à la pratiques sportive

Plusieurs facteurs d’IUE plus spécifiques à la pratique sportive ont été mis en évidence :

  • L’intensité : il existe une forte corrélation entre la prévalence de l’incontinence urinaire d’effort et le niveau de pratique. La pratique d’un sport en compétition est un facteur de risque plus important de fuite urinaire à l’effort que la pratique amateur.
  • Le type de pratique : les activités physiques à fort impact telles que la course à pied, le trampoline, les sports collectifs, la gymnastique, le tennis, etc. sont plus à risque d’incontinence urinaire d’effort.
  • Les troubles du comportement alimentaire : il existerait un lien entre les troubles du comportement alimentaire chez la sportive et les fuites urinaires d’effort, s’expliquant par un défaut d’imprégnation hormonale du plancher pelvien qui serait alors moins tonique.

Le rôle de la musculature abdominale

Chez les femmes sportives, la paroi abdominale, davantage tonique, est source de pression en direction du plancher pelvien. Les activités physiques qui occasionnent des sauts répétés ajoutent une pression abdominale pouvant être multipliée par dix. Cette mécanique d’hyperpression intra-abdominale influe à terme sur la statique pelvienne et finit par produire un déséquilibre entre la sangle abdominale trop “puissante” et le plancher périnéal insuffisamment musclé. Ainsi, l’incontinence urinaire d’effort apparaît chez les jeunes sportives qui développent en proportion davantage leur musculature abdominale que périnéale. Chez la sportive, elle n’est donc pas le fait de traumatismes directs du périnée mais est essentiellement due à un mécanisme indirect d’hyperpression.

Forme et orientation du bassin

Il existerait un lien entre l’incidence pelvienne et l’IUE. L’incidence pelvienne correspond à l’angle formé par la droite reliant le milieu de l’axe des coxofémorales au centre du plateau sacré avec la perpendiculaire à ce plateau en son centre (Fig. 1) : ces éléments sont constants chez un individu donné et ne varient que très peu avec l’âge. Plus l’incidence pelvienne serait grande et plus le risque d’incontinence urinaire d’effort serait important.

Figure 1 – Incidence pelvienne.

Un périnée à orientation horizontale serait davantage soumis aux contraintes abdomino-pelviennes de direction cranio-caudale qu’un périnée à orientation verticale. En effet, dans le premier cas, la résultante des pressions vers le bas se fait davantage en direction du hiatus uro-génital, favorisant les fuites urinaires.

Malgré la meilleure connaissance de ces facteurs de risque propres au sujet sportif, l’IUE reste un sujet tabou. Est-ce par défaut d’information et de connaissance des sportives sur ce sujet ? Est-ce la crainte et la pudeur de ces femmes qui les freinent à évoquer leurs symptômes ?

Enquête sur les croyances et idées reçues

Nous avons mené une enquête dans le but de refaire un point sur l’information des sportives concernant l’IUE et la rééducation pour y pallier. Nous avons également cherché à évaluer l’état des connaissances et des a priori des sportives sur ce sujet. Nous avons ainsi diffusé un questionnaire anonyme avec l’outil Google Forms via les réseaux sociaux, du 5 au 20 mai 2016. 163 réponses sur 178 ont été retenues pour l’étude.

Population étudiée

La moyenne d’âge de ces sportives était de 29 ans avec une pratique hebdomadaire moyenne de 3,9 heures. 77 % étaient nullipares. Ces femmes avaient pour 83 % d’entre elles une pratique sportive de type loisir contre 17 % en compétition.

Prévalence IUE et qualité de vie

Environ 45 % des sportives qui ont répondu présentaient une IUE dont 2/3 étaient gênées au quotidien ou pendant leur pratique sportive (Fig. 2).

Figure 2 – Impact de l’IUE sur la qualité de vie (résultat enquête Google Forms, mai 2016).

Information et connaissance des sportives sur l’IUE

L’information de ces jeunes femmes sur l’IUE était très faible :

  • 60 % n’ont jamais été informées,
  • 10 % ont été informées par le médecin traitant,
  • 7 % par leurs coéquipières,
  • 24 % par une autre source : entourage, Internet, pendant leurs études médicales…
  • Aucune femme n’avait été informée par son coach.

Seules 20 % avaient conscience que ce phénomène d’IUE peut survenir dès le plus jeune âge et ne concerne pas seulement les femmes d’âge mûr. À peine 14 % savaient que la physiopathologie peut s’expliquer par un périnée insuffisamment musclé associé à une hyperpression abdominale et moins de la moitié établissaient le lien avec les sports à impact. 67 % avaient conscience que la rééducation pouvait aider à prévenir l’IUE chez les sportives et seulement 34 % pensaient que la rééducation pouvait améliorer l’IUE une fois installée.

Un sujet éternellement tabou ?

Pourtant, environ 2/3 n’avaient jamais osé en parler et moins de 10 % osaient l’évoquer à leur médecin traitant ou à leur coach. Parmi les femmes incontinentes, à peine 20 %avaient bénéficié d’une rééducation du périnée et 11 % avaient été obligées de modifier ou d’arrêter leur pratique sportive.

Prise en charge de l’IUE

Information des sportives

La prévention repose sur une éducation concernant le périnée, les sports à risque, les exercices adaptés, les règles hygiéno-diététiques telles que la lutte contre la constipation. Il existe des solutions efficaces par la rééducation et les sportives doivent être rassurées sur la réversibilité de ces troubles. Le rôle du médecin traitant et du médecin du sport, principaux acteurs de cette prévention, est donc primordial. La consultation de réalisation du certificat de non contre-indication à la pratique sportive est un temps privilégié, permettant ce dépistage et cette éducation. L’information quant aux exercices adaptés doit aussi être transmise aux entraîneurs et préparateurs physiques. Par exemple, le gainage statique est à préférer au travail “en force” des abdominaux.

Techniques de rééducation

Rééducation périnéale

La rééducation périnéale peut être réalisée par un kinésithérapeute ou une sage-femme sur prescription médicale :

  • Technique manuelle : elle a pour but l’acquisition du verrouillage périnéal. Elle est basée sur une prise de conscience des muscles du périnée et des exercices ciblés sur la contraction et le relâchement en vue de renforcer et de rendre plus tonique le plancher périnéal. Le praticien procède à un toucher vaginal, la patiente devant, en réponse à ces pressions, contracter les muscles du périnée.

Cette technique permet une prise de conscience des mauvaises habitudes, notamment l’inversion de commande (poussée abdominale quand on demande de contracter le périnée) et les co-contractions (par les abdominaux, adducteurs, fessiers…).

  • Biofeedback : dans un second temps, le biofeedback permet, grâce à une sonde vaginale associée à un signal de rétrocontrôle sonore ou visuel, de matérialiser le relâchement ou la contraction du périnée afin d’améliorer la prise de conscience progressive et objective de fonctions physiologiques jusqu’alors inconscientes. Cette méthode aide à récupérer le contrôle des sphincters et la tonicité du périnée.

Renforcement abdominal et travail de la statique lombo-pelvienne

Cette partie de la rééducation est essentielle, en association avec celle du périnée. L’IUE chez la sportive étant en partie due à une hyperpression abdominale, il est indispensable de renforcer non pas les muscles abdominaux superficiels (grand droit et obliques), mais d’insister sur la musculature profonde et notamment sur le renforcement du muscle transverse. Les abdominaux type “crunch” sont à bannir (Fig. 3A). Le transverse constitue la ceinture physiologique de l’abdomen : c’est le muscle stabilisateur et de soutien du bassin. Le travail de gainage est le moyen de le renforcer et de diminuer l’hyperpression abdominale (Fig. 3B).

Figure 3 – A. Abdominaux type “crunch” ; B. Gainage abdominal.

Il est également important de travailler sur la respiration afin de créer une bonne synergie entre le diaphragme inspirateur et les abdominaux, muscles expirateurs.

Enfin, il est nécessaire de travailler sur l’équilibre lombo-pelvien en insistant sur un travail de rétroversion du bassin et d’auto-agrandissement (Fig. 4).

Figure 4 – Impact de la statique rachidienne.

Cette lutte contre l’hyperlordose permet une meilleure répartition des forces intra-abdominales.

Après quelques séances guidées par le thérapeute pour l’acquisition en douceur de la contraction correcte de la musculature striée du périnée, les sportives peuvent utiliser l’auto-rééducation.

Conclusion

L’IUE chez la sportive est un véritable phénomène de santé publique avec une prévalence pouvant aller jusqu’à plus de 80 % selon le type et l’intensité du sport. Cela reste un véritable sujet tabou de par l’atteinte de l’intimité de ces femmes mais aussi par un manque d’information et d’éducation. Le rôle du médecin du sport est primordial devant l’existence de solutions accessibles consistant à la fois en une rééducation périnéale et en un travail de l’équilibre lomboabdominal adapté.

Bibliographie

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