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Plaidoyer pour un ECG : Place de l’ECG dans la visite de non contre-indication à la pratique du sport en compétition

Pr François Carré (Hôpital Pontchaillou, Rennes)

Les preuves des effets bénéfiques de la pratique sportive sur la santé et en particulier sur les risques cardiovasculaires sont multiples. Il est cependant aussi bien prouvé que lors de sa pratique intense, le sport augmente transitoirement le risque cardiovasculaire (Fig. 1). Le sport ne crée pas la pathologie mais il révèle une cardiopathie méconnue. Ceci souligne donc l’importance de la prévention et de la détection de ces pathologies.

Figure 1 – A : Le risque de mort subite est augmenté chez les jeunes porteurs d’une pathologie cardiaque non connue qui pratiquent un sport intense (1).

B : Après 35 ans, le risque d’accident cardiovasculaire est transitoirement accru pendant la réalisation d’un exercice intense. Ce risque est d’autant plus élevé que le niveau d’entraînement est faible (2).

Etat des lieux des accidents cardiovasculaires lors de la pratique sportive

Une récente étude française prospective menée dans 3 départements du sud-ouest de la France a dénombré dans la population générale sur un an 127 accidents cardiovasculaires liés à une pratique sportive quelle qu’elle soit. L’âge moyen des patients était de 45,5 ± 14,6 ans. Plus de 80 % des patients étaient des hommes. L’incidence annuelle des accidents cardiovasculaires liés au sport est donc estimée à 6,5 ‰ (10,8 ‰ pour les hommes et 2,2 ‰ pour les femmes). Parmi ces accidents, 40 morts subites (38 hommes), 47 infarctus du myocarde non mortels (42 hommes) et 32 troubles du rythme cardiaque dont 21 supraventriculaires (respectivement 21 et 10 hommes) ont été observés. La course à pied, le cyclisme et la natation étaient les activités les plus concernées (3).

L’incidence précise des morts subites non traumatiques liées à la pratique sportive est difficile à affirmer vu la variabilité des modes d’études, prospective ou rétrospective, des types de recueil, et des populations étudiées. Les chiffres proposés varient entre 0,5 et 2,5 ‰ pratiquants entre 12 et 35 ans et entre 1 et 4 ‰ au-delà (4). Dans 70 à 80 % des cas, elles sont d’origine cardiovasculaire (5). Dans plus de 90 % des cas, la cause finale du décès est une arythmie cardiaque qui complique une cardiopathie méconnue.

La nécessité d’une visite de non contre-indication

Certains pays, comme par exemple le Danemark, ont choisi de ne pas imposer de visite de non contre-indication (VNCI) à la pratique sportive en compétition. En France la loi impose une VNCI pour la pratique des sports en compétition que le sujet soit licencié ou non. Tout médecin qui se sent compétent peut réaliser cette visite et son contenu est laissé au libre choix du praticien. Les sportifs inscrits ou sur le point d’être inscrits sur les listes de haut niveau de leur fédération rentrent dans un cadre particulier. Pour eux, le contenu du bilan médical de leur visite de non contre-indication est précisé par un arrêté ministériel (Tab. 1).

Le bilan cardiovasculaire doit occuper une place importante dans cette VNCI, pour 3 raisons principales : la contrainte majeure que représente l’exercice intense pour le système cardiovasculaire, le fait que la cause principale de contre-indication au moins temporaire à la pratique sportive soit d’origine cardiovasculaire (5) et enfin car comme nous l’avons vu la cause principale des morts subites liées à la pratique sportive est d’origine cardiovasculaire. Le choix des examens du bilan cardiovasculaire repose sur plusieurs critères (Fig. 2). Les contraintes que sont la taille de la population à explorer, la faisabilité des examens et le rapport coût/efficacité permettent de proposer comme choix raisonnable l’association d’un interrogatoire, d’un examen physique et d’un électrocardiogramme 12 dérivations de repos (ECG).

Figure 2 – Critères de choix des examens qui pourraient être inclus dans le bilan cardiovasculaire de la visite de non contre-indication à la pratique sportive en compétition.

C’est ce bilan qui est recommandé depuis 2005 par la Société Européenne de Cardiologie pour tous les compétiteurs âgés de 12 à 35 ans, indépendamment du niveau de pratique (6). Le contenu de ces recommandations donne encore lieu à un débat entre ses partisans et ses opposants (7, 8). Cependant, plusieurs pays, le Comité Olympique international et de nombreuses fédérations internationales, comme celle de football (FIFA) soutiennent l’utilité de l’ECG (9). En septembre 2009, la Société Française de Cardiologie a aussi souligné l’utilité d’associer dans le bilan cardiovasculaire de la VNCI, un interrogatoire et un examen basés sur ceux proposés par la Société Française de Médecine du Sport, et un ECG de repos à réaliser lors de la première visite puis à répéter tous les 3 ans jusqu’à 20 ans puis tous les 5 ans pour tous les demandeurs de licence de compétition entre 12 et 35 ans (10).

En un an : 127 accidents cardiovasculaires liés à une pratique sportive quelle qu’elle soit.

Pourquoi réaliser un électrocardiogramme de repos chez le sportif ?

L’ECG est recommandé dans deux buts principaux. D’une part pour détecter les cardiopathies à risque potentiel de mort subite. En effet, l’exercice intense favorise le développement d’arythmie cardiaque en cas de foyer arythmogène sous-jacent (1). D’autre part pour détecter les cardiopathies qui pourraient être aggravées par une pratique sportive intense. Celle-ci peut majorer un substrat arythmogène, accélérer le développement d’une pathologie sous-jacente, ou favoriser l’expression phénotypique d’une maladie génétique. Une détection précoce de ces maladies permettra de proposer un suivi médical adapté, de débuter éventuellement un traitement et des indications à la pratique sportive adaptée.

L’ECG de repos associé à un examen clinique bien conduit est plus performant que la réalisation isolée de ce seul examen. En effet, un bilan cardiovasculaire avec ECG permet la détection de 60 % des cardiopathies à risques potentiels lors de la pratique sportive contre 3 à 6 % lorsque seul l’examen clinique est réalisé (7, 8). Le coût de l’ECG est relativement faible et son rapport coût-efficacité est validé (11). Les limites de cet examen sont aussi bien connues et ne doivent pas être occultées. En effet, si sa sensibilité (98 %) et sa valeur prédictive négative (95 % soit 5 % de faux négatifs) sont élevées, sa spécificité (55-65 %) et sa valeur prédictive positive (7 %) sont plus modestes (8, 13).

Les deux autres arguments qui sont aussi souvent utilisés par les opposants à l’utilisation de l’ECG méritent d’être discutés plus longuement. Ils concernent la potentielle difficulté de lecture de l’ECG chez le sportif et le nombre élevé de faux positifs dans cette population qui risquent de conduire à des contre-indications injustifiées.

La réalisation et l’interprétation d’un ECG chez un sportif sont classiques. Une seule et unique question doit être posée, cet électrocardiogramme est-il normal oui ou non ? En effet, le but de l’ECG n’est pas de permettre un diagnostic étiologique. Ainsi, devant des anomalies sur un ECG, les cardiologues réalisent un bilan complémentaire. Enfin, la mise en place de “remise à niveau“ pour la lecture de l’ECG va être proposée aux médecins généralistes.

Pour étayer l’argument du grand nombre de faux positifs, ses partisans mettent l’accent sur les spécificités de l’ECG du sportif. Tout d’abord, il ne faut pas relier trop facilement des “bizarreries“ électrocardiographiques à la pratique sportive. Une pratique sportive modérée, c’est-à-dire moins de 6 heures de sport intense par semaine (80 % de la consultation du médecin du sport en moyenne), ne modifie pas l’ECG en dehors d’un ralentissement modeste et facultatif de la fréquence cardiaque. Des particularités ECG peuvent se voir chez certains sportifs de haut niveau d’entraînement. Le sportif de haut niveau d’entraînement, aussi appelé athlète par les auteurs anglo-saxons indépendamment de la discipline sportive pratiquée, est un sujet qui pratique au moins 6 à 8 heures de sport intense (supérieur à 60 % du VO2max) par semaine et depuis plus de 6 mois. Les particularités observées varient plus en fonction du type d’entraînement qu’en fonction du sport pratiqué. Elles sont plus fréquentes chez le sportif masculin endurant ou spécialisé dans des disciplines mixtes comme les sports collectifs. Elles sont peu nombreuses et 95 % de ces particularités sont résumées dans le tableau 2. Observées chez un athlète asymptomatique avec un niveau de performance corrélée à son entraînement, elles ne sont pas pathologiques. Les figures 3, 4 et 5 sont des exemples.

Figure 3 – Chez ce footballeur professionnel asymptomatique, l’ECG montre un rythme sinusal avec une fréquence cardiaque de 60 bpm, un bloc auriculo-ventriculaire du premier degré, une hypertrophie ventriculaire gauche isolée, des ondes T diphasiques mais globalement positives.

Figure 4 – Aspect de bloc de branche droit incomplet (rSr’) en V1 chez un cycliste. Noter que la forme du complexe QRS est souvent aussi modifiée en D3 et aVF.

Figure 5 – Syndrome de repolarisation précoce marqué de C4 à C6 chez un handballeur asymptomatique.

Electrocardiogramme de l’athlète : ce qui nécessite un avis cardiologique

Dans tous les autres cas que ceux résumés dans le tableau 2 et ce même chez un athlète asymptomatique, un bilan cardiovasculaire est justifié. Ces aspects électrocardiographiques ne concernent que 5 % des ECG des athlètes.

 

Il peut s’agir :

  • Au niveau de l’onde P d’un aspect d’hypertrophie atriale gauche électrique caractérisée par une onde P élargie (> 0,12 s), parfois bifide, et associée à un aspect négatif prédominant en V1.
  • Au niveau du complexe QRS :

– d’un élargissement (> 0,11 s), avec un axe hyper-droit (> 100°) ou hypergauche (< -30°) ;

– d’un aspect d’hypertrophie ventriculaire gauche électrique non isolé, c’est-à-dire associé à une hypertrophie atriale et/ou une déviation axiale et/ou des troubles de la repolarisation (Fig. 6) ;

Figure 6 – Hypertrophie ventriculaire gauche électrique avec sous-décalage du segment ST et ondes T négatives profondes et diffuses chez un volleyeur asymptomatique. Le bilan cardiologique indispensable a montré une cardiomyopathie hypertrophique qui contreindique la pratique du sport en compétition.

– d’un aspect d’hypertrophie ventriculaire droite électrique (Fig. 7) ;

Figure 7 – Aspect d’hypertrophie ventriculaire droite électrique (onde R amples en V1 et V2) avec déviation axiale gauche chez un rameur asymptomatique. Le bilan cardiologique indispensable s’est révélé “négatif“.

– d’ondes Q anormalement larges (> 0,04 s) et/ou profondes (> 4 mm ou > 25 % de l’onde R) ;

 

  • Au niveau de la conduction :

– d’aspect de blocs de branches droit ou gauche complets (Fig. 8) avec une durée de QRS supérieure à 0,12 secondes ;

Figure 8 – Bloc de branche gauche complet chez un cyclotouriste de 64 ans. Le bilan cardiologique indispensable s’est révélé “négatif”.

– d’aspect de blocs auriculo-ventriculaires de haut degré, bloc du deuxième degré avec une onde P bloquée brutalement, sans allongement progressif de l’espace P ou bloc du troisième degré avec dissociation des activités atriales et ventriculaires ;

– d’un aspect de Wolff-Parkinson- White avec un intervalle PR court associé à un QRS élargi dont l’origine est empâté avec présence d’une onde delta ;

 

  • Au niveau de la repolarisation :

– d’un sus-décalage du point J > 3 mm suivi d’un segment ST horizontal ;

– d’un sous décalage du segment ST qui est toujours anormal (Fig. 6) ;

– d’ondes T négatives profondes (supérieures à 2 mm) dans au moins 2 dérivations consécutives en dehors de aVR, D3 et V1 (Fig. 6) ;

– d’une durée de QT corrigée (correction automatique par la fréquence cardiaque selon la formule de Bazett) anormalement longue, chez les athlètes, > 470 pour les hommes et 480 pour les femmes (Fig. 9) ou anormalement courte (inférieure à 300-320) ;

Figure 9 – ECG avec prolongation anormale du QT chez un nageur asymptomatique. L’enquête génétique a confirmé le diagnostic. Le sport en compétition a dû être contre-indiqué.

– d’un aspect de repolarisation dans les précordiales droites évocateur d’un aspect de Brugada (Fig. 10).

Figure 10 – ECG avec repolarisation en précordiales droites évocatrice d’un aspect de Brugada chez un patient sédentaire. Le sport en compétition est contre-indiqué en cas de syndrome de Brugada. Tracé dû à la courtoisie du Dr Pavin (Rennes).

Enfin, pour ce qui concerne le rythme, l’observation de troubles du rythme sur un électrocardiogramme d’athlète est toujours anormal. Si l’observation d’une seule extrasystole supraventriculaire est a priori peu inquiétante, l’observation de n’importe quel autre trouble du rythme nécessite un bilan cardiologique.

Au total, plusieurs études réalisées dans différents pays ont montré qu’un bilan cardiologique complémentaire est demandé par un médecin du sport chez 7 à 10 % des sportifs qui le consultent. La pratique sportive intense doit être interrompue temporairement dans l’attente du bilan. Celui-ci, essentiellement échocardiogramme transthoracique de repos et épreuve d’effort, permet de corriger si besoin cette contre-indication.

Enfin, concernant la prise en charge de l’ECG, celle-ci doit être assumée par le sportif, par son club ou la fédération dont il dépend. Les éventuels examens complémentaires rentrent eux dans le cadre du bilan d’une pathologie éventuelle et sont pris en charge par la sécurité sociale.

En conclusion

La raison d’être d’une visite de non contre-indication à la pratique du sport en compétition est son efficacité. L’association interrogatoire, examen physique, électrocardiogramme de repos a prouvée son efficacité avec un rapport coût/bénéfice acceptable. Elle est recommandée par les Sociétés Européenne et Française de Cardiologie.

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