Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels

Rupture bilatérale du tendon distal du biceps brachial – Des séquelles fonctionnelles sévères

Dr Hervé Leyral (Centre médical Mermoz, Martignas-sur-Jalle)

Beaucoup plus rares que les ruptures de la longue portion, les ruptures tendineuses distales du biceps brachial exposent à des séquelles fonctionnelles sévères. Elles touchent pour l’essentiel des patients de sexe masculin, physiquement actifs, avec un pic de fréquence dans les quatrième et cinquième décades de la vie. 

Introduction

Contrairement aux ruptures de la longue portion du biceps, pour lesquelles la chirurgie n’est que rarement indiquée, les ruptures distales sont à l’origine d’une perte de force importante en supination et en flexion de l’avant-bras (1), et peuvent nécessiter une prise en charge chirurgicale. Si la chirurgie est indiquée, celle-ci devra être réalisée rapidement afin d’éviter les rétractions tendineuses et optimiser son résultat.

Nous rapportons le cas d’une rupture bilatérale et successive des tendons distaux des biceps brachiaux chez un homme de 53 ans, pratiquant la musculation en loisir.

Cas clinique

Contexte

M. Thierry L., 53 ans, se présente aux urgences pour une lésion du bras droit qu’il identifie lui-même comme une “rupture du biceps”. En effet, il a présenté 3 ans auparavant un traumatisme musculaire similaire au bras gauche, pour lequel une rupture du tendon distal du biceps brachial avait été diagnostiquée, mais qui n’avait pas été traitée chirurgicalement.

Ce matin, en soulevant un haltère, il a ressenti une douleur antérieure au-dessus du coude droit et une perte de force en flexion.

Diagnostic

L’examen retrouve une voussure du biceps brachial droit qui est ascensionné, une perte du relief musculaire du biceps dans sa partie inférieure, et un empattement en regard de cette zone (Fig. 1). Il existe également une diminution objective et douloureuse de la force en flexion et en supination de l’avant-bras.

Figure 1 – Bras droit.

L’examen comparatif retrouve le même aspect au bras gauche, séquellaire du traumatisme antérieur (sans l’œdème du tiers inférieur du bras) (Fig. 2). 

Figure 2 – Bras gauche.

L’échographie montre une rupture complète du tendon distal du biceps brachial droit.

Traitement

Compte tenu du handicap fonctionnel présenté sur le bras gauche, lésé auparavant, mais non opéré, le patient est très demandeur d’une prise en charge chirurgicale. Cela montre l’importance de diagnostiquer et de traiter ces lésions bicipitales.

Le traitement a consisté en une réinsertion du tendon sur la tubérosité radiale par une ancre (Fig. 3 et 4).

Figures 3 et 4 – Réinsertion du tendon sur la tubérosité radiale par une ancre.

Discussion

Le biceps brachial

Le muscle biceps brachial est un muscle bi-articulaire formant le galbe du bras. Son chef court s’insère sur le processus coracoïde de la scapula, son chef long sur le tubercule supra-glénoïdien. Il se termine par un tendon puissant qui croise le muscle brachial en avant et vient s’insérer sur la face postérieure de la tubérosité bicipitale du radius. Ce tendon donne une expansion du lacertus fibrosus qui cravate le tendon des épicondyliens médiaux.

Il est fléchisseur du coude, mais également supinateur.

La rupture du tendon

La rupture du tendon distal du biceps brachial est rare avec une incidence de 2,5 pour 100 000 pour Kelly (2) et concerne 3 à 10 % des lésions bicipitales. Les lésions bilatérales ne sont pas exceptionnelles (3, 4).

Facteurs de risque

L’âge moyen de survenue est de 46 ans, et cette lésion est nettement prépondérante chez les hommes (2).

Les facteurs de risque retrouvés, outre l’âge et le sexe masculin, sont :

• le tabagisme (50 % des patients), 

• la consommation de stéroïdes anabolisants (20 % des patients) (3) 

• et le surpoids (2).

Mécanisme

Le mécanisme de la rupture peut être un traumatisme direct, mais le plus souvent il est secondaire à un traumatisme indirect : 

• élévation du membre supérieur, 

• contre-résistance, 

• coude en flexion contrariée à 90° (plus rarement en extension), 

• main en supination.

Lésion

La lésion peut consister en un arrachement apophysaire de la tubérosité radiale, ou en des lésions intra-tendineuses et plus rarement myo-tendineuses.

Cette lésion distale doit être différenciée des lésions proximales de la longue portion, plus fréquentes et nettement moins graves, décrites par le classique signe de Popeye (Fig. 5).

Figure 5 – À gauche, une lésion de la longue portion du biceps brachial avec le classique signe de Popeye et un biceps refoulé vers le bas. À droite, une rupture du tendon distal du biceps brachial, avec un biceps ascensionné et une voussure située en haut du bras.

Diagnostic

Le bilan paraclinique peut comporter une échographie qui retrouvera une perte de la structure fibrillaire du tendon et une rétraction, avec le classique signe en “battant de cloche”, ainsi qu’un hématome en regard. L’examen précisera la topographie (avulsion de la tubérosité radiale, rupture dans le tendon, rupture myo-tendineuse). Il conviendra de se méfier des artefacts d’anisotropie, pouvant donner des faux positifs. 

Dans les cas douteux, l’IRM est l’examen de référence.

Cependant, la clinique, si elle est typique, suffit à affirmer le diagnostic et à indiquer la chirurgie.

Traitement

À la différence de la rupture proximale du biceps dans sa longue portion, la rupture distale entraîne une perte de force importante en flexion de l’avant-bras (environ 35 %) et surtout en supination (environ 45 %) (1). Cette rupture survenant surtout chez des sujets sportifs ou actifs avec des métiers de force, une réparation chirurgicale est la plupart du temps indiquée. Elle consiste en une réinsertion du tendon du biceps sur son enthèse radiale.

Les résultats fonctionnels sont en général très bons après réparation. Redmond, sur une série de 23 patients, suivis pendant 7,6 années, ne retrouve pas de différence de fonction entre le côté opéré et le côté sain (5).

L’importance du lacertus fibrosus

L’analyse initiale de l’état du lacertus fibrosus, expansion aponévrotique du tendon distal du biceps brachial se terminant sur l’ulna et le fascia antébrachial, est essentielle. Il joue un rôle important dans la biomécanique du coude, en limitant ses mouvements de flexion et d’abduction et la supination de l’avant-bras. Sa lésion est responsable d’une perte de force en flexion, mais surtout en supination, estimée à 50 % sur une étude cadavérique (6).

En cas de lésion du tendon distal du biceps brachial, son intégrité est également associée à une rétraction tendineuse plus limitée et à un déficit fonctionnel moins important, en particulier en supination (7). Le respect du lacertus fibrosus, qui doit être recherché dans le bilan lésionnel initial, peut donc être un argument orientant vers une décision de traitement fonctionnel.

Par ailleurs, selon Conlin et al. (8), la réparation du lacertus fibrosus, concomitamment à celle du tendon distal du biceps brachial est associé à un retour aux activités de loisirs plus précoce, à une diminution plus importante des phénomènes douloureux et à une meilleure restauration de la force.

Enfin, en cas de décision chirurgicale, il est probable que l’absence de lésion initiale du lacertus fibrosus soit associée à une récupération de force plus importante, cela restant à confirmer par des études robustes (9).

Risques de la chirurgie

Une vaste étude rétrospective portant sur 784 patients ayant bénéficié d’une réparation chirurgicale pour une rupture distale du biceps brachial a été menée en 2017 (10). Les auteurs analysaient la fréquence des complications selon la technique chirurgicale utilisée : réparation par un abord à double incision et fixation par un tunnel osseux ou abord antérieur et réinsertion (par bouton cortical, bouton cortical et vis d’interférence ou ancre). Il en ressort un taux global de complications graves peu élevé, quelle que soit l’approche ou la technique. Le taux d’infection était de 1,5 %, celui de rerupture de 1,9 %. La technique de la double incision expose à des taux plus élevés de paralysie du nerf interosseux dorsal (3,4 versus 0,8 %), de formation osseuse hétérotopique et de synostose radio-ulnaire (7,6 versus 2,7 %) et de réopération (8,3 versus 2,3 %). Le risque de paralysie le plus fréquent est celui de paralysie du nerf cutané antébrachial latéral (20,6 % dans la série) et la technique à une incision expose plus à un risque six fois plus élevé de paralysie de ce nerf.  

Conclusion

Responsables d’un handicap réel, les ruptures distales du tendon du biceps brachial nécessitent une réparation chirurgicale rapide. Celle-ci est d’autant plus impérative que les victimes de ces traumatismes sont en général des patients assez jeunes et actifs. Les résultats fonctionnels des chirurgies de réinsertion sont en général très satisfaisants.

 

Bibliographie

1. Nesterenko S, Domire ZJ, Morrey BF, Sanchez-Sotelo JJ. Shoulder elbow strength and endurance in patients with a ruptured distal biceps tendon. Elbow Surg 2010 ; 19 : 184-9.

2. Kelly MP, Perkinson SG, Ablove RH, Tueting JL. Distal biceps tendon ruptures: an epide-miological analysis using a large population database. Am J Sports Med 2015 ; 43 : 2012-7.

3. Schneider A, Bennett JM, O’Connor DP et al. Bilateral ruptures of the distal biceps brachii tendon. J Shoulder Elbow Surg 2009 ; 18 : 804-7. 

4. Green JB, Skaife TL, Leslie BM. Bilateral distal biceps tendon ruptures. J Hand Surg Am 2012 ; 37 : 120-3.

5. Redmond CL Morris T, Otto C et al. Fonctional outcomes after distal biceps brachii repair : a case series. Int J Sports Phys Ther 2016 ; 11 : 962-70.

6. Snoeck O, Coupier J, Beyer B et al. The biomechanical role of the lacertus fibrosus of the biceps brachii Muscle. Surg Radiol Anat 2021 ;
43 : 1587-94.

7. Vishwanathan K, Soni K. Distal biceps rupture: Evaluation and management. J Clin Orthop Trauma 2021 ; 19 : 132-8.

8. Conlin CE, Naderipour A, ElMaraghy A. Outcome of distal biceps tendon repair with and without concomitant bicipital aponeurosis repair. Orthop J Sports Med 2019 ; 7. 

9. Midtgaard KS, Hallgren HB, Frånlund K et al. An intact lacertus fibrosus improves strength after reinsertion of the distal biceps tendon. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 2020 ; 28 : 2279-84.

10. Dunphy TR, Hudson J, Batech M et al. Surgical treatment of distal biceps tendon ruptures: an analysis of complications in 784 surgical repairs. Am J Sports Med 2017 ; 45 : 3020-29.

Vous êtes médecin ?
Accédez à votre espace professionnels