Introduction
La rupture haute bilatérale des ischio-jambiers est rare. Seulement trois cas ont été rapportés de façon imprécise, car inclus dans des séries de cas de ruptures unilatérales. Wood et al. ont opéré un patient qui présentait une atteinte bilatérale sur 71 patients (1). Depuis, Lempainen et al. ont inclus un cas bilatéral parmi 47 sujets opérés d’une rupture partielle des ischio-jambiers (2) et plus récemment, Sandmann et al. ont rapporté un cas bilatéral parmi 15 opérés (3). En plus de ces trois cas, il existe 13 cas bilatéraux sur 103 cas mentionnés, mais sans savoir s’il s’agissait de rupture partielle ou de tendinopathie haute des ischio-jambiers (4, 5). Ainsi, il est possible de déterminer la prévalence des ruptures bilatérales comprise entre 1 et 12 % des ruptures hautes des ischio-jambiers (rupture totale, partielle et tendinopathie) soit 0,1 à 1 % des lésions des ischio-jambiers (2). Les ruptures bilatérales des ischio-jambiers sont donc rares et aucun cas à notre connaissance n’a été décrit et suivi de façon précise. De plus, le traitement n’est pas codifié pour ces cas bilatéraux étant donné que celui des ruptures hautes unilatérales reste controversé (6). Les ruptures complètes des ischio-jambiers avec rétraction de plus de 2 centimètres diagnostiquées avant 4 semaines chez un sujet jeune et sportif semblent représenter les meilleures indications (7-9). Tous les autres cas peuvent être discutés en l’absence de preuves scientifiques robustes.
Cas clinique
Une femme de 50 ans avec un IMC à 32,8 kg/m² (taille : 170 cm ; poids : 95 kg), professeur de sport, sans antécédent médical, a été victime d’une chute en flexion du tronc, jambes écartées lors de la pratique du ski nautique. Elle a ressenti une violente douleur au niveau des deux cuisses et a dû être évacuée aux urgences après transfert par bateau. Les radiographies de bassin n’ont pas mis en évidence de fracture ni d’arrachement osseux.
Diagnostic
En raison des douleurs persistantes, de l’apparition d’ecchymoses à la face postérieure des deux cuisses et d’une impotence fonctionnelle à la marche nécessitant des cannes, une imagerie par résonance magnétique nucléaire a été réalisée. Une rupture bilatérale des semi-tendineux a été diagnostiquée avec du côté gauche une rétraction mesurée à 6 centimètres et du côté droit une rétraction de 2 centimètres (Fig. 1).

Figure 1 – IRM des ischio-jambiers (plan sagittal : séquence DP Fat Sat). Rétraction de 6 cm du côté gauche avec volumineux hématome et rétraction de 2 cm du côté droit
Réinsertion chirurgicale
Au douzième jour, en raison du caractère sportif professionnel, une réinsertion chirurgicale du semi-tendineux gauche a été réalisée. Après incision longitudinale au niveau du pli fessier, l’hématome a été évacué puis le nerf sciatique a été repéré. Le semi-tendineux a ensuite été réinséré. La position assise a été interdite pendant 1 mois alors que la marche était autorisée avec deux cannes. L’extension du genou a été limitée au-delà de 45 degrés par une attelle articulée qui permettait une flexion libre.
Récupération et rééducation
À 1 mois, les étirements des ischio-jambiers ont été débutés. À 3 mois, la douleur était cotée à 2/10 du côté gauche et à 0/10 du côté droit. L’extension du genou gauche était complète et la flexion de hanche genou tendu atteignait 100 degrés. Du côté droit non opéré, la flexion de hanche genou tendu était mesurée à 130 degrés. La distance doigts-sol était limitée par le côté gauche à 26 centimètres. La profession a pu être reprise à 3 mois sans démonstration des activités sportives et la pratique de la bicyclette a été possible à 4 mois.
L’évaluation de la force isocinétique a montré une récupération musculaire progressive à 3, 6 et 24 mois. Le déficit de force était plus grand en mode excentrique par rapport au mode concentrique à 3 et 6 mois (Fig. 2).

Figure 2 – Suivi sur 24 mois des déficits de force isocinétique, concentrique et excentrique, des fléchisseurs du genou (côté opéré gauche versus côté non opéré droit).
Après 10 séances spécifiques de renforcement excentrique des ischio-jambiers à l’aide d’un dynamomètre isocinétique, le déficit excentrique est devenu comparable à celui mesuré en mode concentrique et était compris entre 21 à 27 % aux dépens du côté gauche opéré.
Évolution fonctionnelle
L’évolution fonctionnelle à 2 ans a montré une impossibilité de démonstration sportive pour les sports à pivot comme sa profession le demandait avant la blessure. Cependant, la pratique régulière de la bicyclette a été poursuivie. Le score de Tegner est donc passé de 6 à 4 et le score UCLA à 24 mois était de 35/40. La reprise du footing et des sauts n’a pas été possible en raison de l’appréhension et d’une gêne musculaire à type de crampe du côté gauche présente également lors de la position assise prolongée au-delà d’une heure sans syndrome sciatique associé (Lower Extremity Functional Scale : 64/80). Le côté gauche opéré a donc eu une évolution moins favorable que le côté droit non opéré.
Discussion
Blessure
Le cas d’une rupture bilatérale des ischio-jambiers semble exceptionnel surtout lorsque le diagnostic a pu être réalisé précocement après une blessure d’origine sportive. En cas de rupture unilatérale, la pratique du ski nautique représente l’activité sportive la plus à risque de rupture haute des ischio-jambiers selon environ un quart à plus d’un tiers des cas décrits dans la littérature (1, 10). Le mécanisme en flexion du tronc avec cuisses écartées selon une position quasiment symétrique a pu, à lui seul, expliquer la rupture bilatérale des ischio-jambiers par dépassement des capacités de contraction musculaire excentriques lorsque les ischio-jambiers se sont étirés brutalement (11). Cependant, certains facteurs de risque tel un certain degré d’obésité (IMC à 32,8 kg/ m²) et un âge de 50 ans ont peut-être contribué à cette rupture.
Choix thérapeutique
D’un point de vue thérapeutique, nous rapportons qu’à un recul de 2 ans du traumatisme, le côté opéré a présenté une évolution moins favorable que le côté qui ne l’a pas été et cela, malgré une rééducation spécifique isocinétique excentrique des ischio-jambiers réalisée au-delà de 6 mois du traumatisme. Le choix du traitement chirurgical a été justifié par les faits que notre patiente présentait une profession sportive et que la lésion du côté gauche semblait plus grave en raison de la taille de la rétraction. Cette réparation chirurgicale a été réalisée précocement à 12 jours du traumatisme, ce qui semble permettre un meilleur succès par rapport à une réparation tardive au-delà de 4 à 6 semaines (10, 12). En fait, le traitement chirurgical reste controversé car son efficacité n’est montrée qu’au travers de l’étude de séries de cas opérés sans comparaison avec le traitement non chirurgical. Lors d’une méta-analyse réalisée en 2011 par Harris et al., seulement 14 cas non opérés ont pu être comparés à 286 cas opérés, dont deux cas bilatéraux précités non décrits isolément (10). Les réparations réalisées avant 4 semaines semblaient avoir moins de risque de re-rupture. Mais d’importantes limites étaient rapportées comme les faibles effectifs étudiés et évalués rétrospectivement, les variétés anatomiques des ruptures, l’hétérogénéité des populations âgées en moyenne de 40 ans, plus ou moins sportives, les réparations chirurgicales, les évaluations subjectives et objectives ainsi que les durées de suivi qui étaient différentes en l’absence d’étude prospective randomisée.
Rééducation post-opératoire
Les protocoles de rééducation sont également hétérogènes ou non décrits (13). Plus récemment, van der Made et al. ont montré les mêmes limites après étude de 387 patients selon 13 études incluses (6). En prenant la borne basse des résultats post-opératoires, 76 % des sujets retournent au sport antérieur avec seulement 55 % au même niveau. Le déficit de force isocinétique concentrique des ischio-jambiers est compris entre 0 et 26 %. Des douleurs résiduelles sont présentes dans 8 à 61 % des cas. Jusqu’à 71 % des patients n’ont pas confiance dans leur jambe opérée pour reprendre leur activité physique antérieure comme cela a été le cas pour notre patiente (14).
Traitements non chirurgicaux
En ce qui concerne la rupture partielle du semi-tendineux non opérée, une compensation musculaire est possible par le biceps fémoral (biceps femoris) et le semi-membraneux (semimembranosus) qui sont restés insérés sur l’ischion. Cela peut suffire pour la réalisation des actes de la vie quotidienne, mais également pour la reprise du sport. La reprise du sprint chez un cas clinique est rapportée à 2 mois après rupture unilatérale du biceps fémoral et du semi-tendineux (déficit de force isocinétique de 15 %) (15). La chirurgie à type de débridement et/ou réparation ne doit être réservée qu’aux échecs du traitement non chirurgical en cas de rupture partielle (1, 9, 10, 16). Différents procédés thérapeutiques pourront avoir été réalisés auparavant comme les ondes de choc, les injections de corticoïdes ou de facteurs de croissance (plasma enrichi en plaquettes) qui présentent surtout un intérêt antalgique et peut-être cicatriciel si les insertions musculaires ont été étirées plutôt que rompues (17). Ces différents traitements n’ont pas été envisagés chez notre patiente du côté droit étant donné l’évolution spontanément favorable ou du côté gauche opéré en l’absence d’expérience suffisante. La position assise interdite pendant le premier mois a peut-être participé à l’obtention de l’indolence et du résultat final.
Conclusion
La rupture bilatérale haute et partielle des ischio-jambiers est rare. Le traitement n’est pas codifié même si la réinsertion chirurgicale semble intellectuellement satisfaisante. Selon notre cas clinique, des douleurs résiduelles, une appréhension du sujet et un déficit de force musculaire peuvent persister après chirurgie. En cas de traitement non chirurgical, les autres chefs musculaires qui restent insérés sur l’ischion sont capables d’apporter des compensations fonctionnelles satisfaisantes pour reprendre des activités physiques modérées. Cependant, la reprise des activités nécessitant des courses, sauts et changements de direction ou le ski nautique a été impossible. Afin de mieux déterminer la meilleure conduite thérapeutique à tenir, il sera nécessaire de colliger plusieurs cas cliniques présentant cette pathologie bilatérale et rare qui compromet fortement la reprise du sport.