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Une douleur d’épaule chez un danseur de l’Opéra de Paris : atteinte isolée du nerf spinal accessoire

Dr Xavière Barreau - Médecin du sport INSEP, Service médecine de la danse à l’Opéra de Paris

Un danseur professionnel de 27 ans de l’Opéra de Paris se présente pour une douleur sus-claviculaire de l’épaule gauche évoluant depuis une semaine avec des difficultés croissantes sur les porters, élévation antérieure et latérale du bras ainsi qu’une gêne fonctionnelle dans les activités de la vie quotidienne.

Anamnèse

La lésion est survenue au cours de la générale d’une création d’un chorégraphe contemporain pour le ballet de l’Opéra de Paris. Le danseur rapporte en consultation une douleur aiguë sus-claviculaire au cours d’un mouvement associant une rétropulsion du bras à une inflexion opposée de la tête, mouvement qu’il aurait réalisé avec un relâchement total afin d’atteindre des amplitudes extrêmes (Fig. 1).

Figure 1 – Mécanisme lésionnel associant une rétropulsion du bras à une inflexion latérale opposée de la tête.

Examen clinique

À l’inspection de face, il est retrouvé une atrophie du chef supérieur du trapèze exacerbant le creux sus-claviculaire (Fig. 2A). De dos, on peut observer une chute de l’épaule associée à une bascule de l’omoplate en bas et en abduction (Fig. 2B). Un décollement de la partie supérieure de l’omoplate est retrouvé au cours d’un mouvement associant abduction et rotation externe du bras (Fig. 2C).

Figure 2 – A : atrophie du chef supérieur du trapèze exacerbant le creux sus-claviculaire ; B : chute de l’épaule associée à une bascule de l’omoplate en bas et en abduction ; C : décollement de la partie supérieure de l’omoplate retrouvé au cours d’un mouvement associant abduction et rotation externe du bras.

Indolore, ce décollement témoignant d’une amyotrophie du trapèze s’exacerbe si on y oppose une résistance (Fig. 3).

Figure 3 – Testing indolore, mais faiblesse majeure en opposant une résistance à l’abduction et rotation externe du bras.

Examens paracliniques

L’électromyogramme (EMG) du membre supérieur a confirmé une atteinte isolée quasi complète (1/10) du nerf spinal gauche caractérisée par une diminution de l’amplitude du potentiel d’action moteur et un tracé neurogène en recueil sur les trapèzes supérieur et moyen.

Une première IRM du rachis cervicothoracique réalisée quelques jours après le traumatisme lésionnel a confirmé l’absence d’anomalie le long des chaînes jugulo-carotidiennes droite ou gauche. Il n’a pas été retrouvé non plus d’anomalie du plexus brachial dans sa portion interscalénique ni de zone de dénervation ou signe de déchirure musculaire. On note l’absence de discopathie.

L’écho-Doppler des troncs supra-aortiques n’a pas mis en évidence d’anomalies du paquet jugulo-carotidien.

L’IRM de contrôle réalisée 1 mois plus tard a retrouvé une amyotrophie et involution graisseuse partielle du trapèze du côté gauche sans oedème de dénervation encore clairement individualisé (Fig.4).

Figure 4 – Lésion du nerf spinal accessoire. IRM scapulaire en coupe axiale montrant une amyotrophie du muscle trapèze gauche comparativement au côté droit.

Traitement

Après avis auprès d’un neurochirurgien, le danseur a été mis sous corticoïdes à la dose de 60 mg/j pendant 5 jours puis décroissance progressive sur 10 jours. Ensuite, le traitement a été relayé par un traitement antiasthénique à base d’acides aminés, 2 ampoules matin et soir pendant 1 mois. Le reste de la prise en charge a constitué en une adaptation de la pratique de la danse avec suppression des porters ainsi que de la kinésithérapie associée à des massages jusqu’à la fin de la saison (6-8 mois) afin de limiter les compensations musculaires.

Évolution

L’électromyogramme de contrôle réalisé à 4 mois post lésionnel retrouve une repousse nerveuse à 4/10 coïncidant avec une amélioration clinique partielle. L’évolution à 8 mois est très satisfaisante, avec une récupération quasi complète de la force musculaire du trapèze ainsi qu’une disparition totale de la gêne fonctionnelle dans les activités quotidiennes.

Le nerf spinal accessoire

Rappels anatomiques

Le nerf spinal accessoire (SA) est la branche terminale externe du nerf spinal ou XIe nerf crânien. À l’origine, le SA est constitué de filets nerveux spinaux qui s’unissent de façon à constituer une racine médullaire. Celle-ci remonte et traverse leforamen magnum puis s’unit à la racine bulbaire du XIe pour constituer le nerf spinal qui sort du crâne par le foramen jugulaire et se divise en deux branches terminales, l’une interne, se jetant dans le nerf vague, et l’autre externe, le SA (Fig. 5) [1].

Figure 5 – Origine du nerf spinal accessoire. Le SA est constitué de l’association de racines spinales (C2-C5) qui émergent du cordon latéral de la moelle avec la racine craniale du XIe pour constituer le nerf spinal qui sort du crâne par le foramen jugulaire.

Diagnostics clinique, étiologique et différentiel

Les étiologies les plus fréquentes de lésion du nerf spinal accessoire sont l’atteinte iatrogène au cours des chirurgies cervicales (curage ganglionnaire cervical carcinologique, biopsie ganglionnaire cervicale, radiothérapie cervicale). Les causes traumatiques sont plus rares (plaie par balle ou arme blanche, luxation acromio-claviculaire, étirement du rachis cervical…) [2, 3], de même que les causes médicales (zona, anomalies neurovasculaires, dilatation de la veine jugulaire). L’atteinte du nerf spinal accessoire par amyotrophie du muscle trapèze entraîne une « dyskinésie scapulaire dynamique » ou « scapula alata dynamique (SAD) », autrement dit une anomalie de position et de mouvement de la scapula, à l’origine d’importantes limitations fonctionnelles et d’une douleur d’épaule [4].

Les causes les plus fréquentes de « scapula alata dynamique » sont :

  • l’atteinte du nerf long thoracique qui innerve le muscle dentelé antérieur,
  • l’atteinte du nerf spinal accessoire qui innerve le muscle trapèze,
  • et l’atteinte du nerf scapulaire dorsal qui innerve le muscle rhomboïde.

En pratique clinique, il est utile de savoir reconnaître l’atteinte du nerf spinal et de pouvoir la différencier des autres atteintes responsables de SAD (Tab. 1).

Le tableau clinique d’atteinte du nerf spinal accessoire comporte (cf. cas clinique) :

  • une douleur de la région scapulaire et acromio-claviculaire par augmentation des contraintes au bord médial de la clavicule,
  • une amyotrophie du trapèze responsable d’une asymétrie de la silhouette de la nuque et une exacerbation du relief de la clavicule,
  • et un déplacement latéral de la scapula avec décollement de l’angle supéro-médial se majorant au cours des manoeuvres contrariées en abduction et rotation externe (Tab. 1) [5].

Le diagnostic doit être confirmé par électromyogramme. Celui-ci est également essentiel pour éliminer les diagnostics différentiels d’une épaule douloureuse et déficitaire (névralgie cervico-brachiale, atteinte du nerf sus-scapulaire, dentelé ou scapulaire dorsal) [6]. L’IRM est un examen intéressant afin d’éliminer les diagnostics différentiels des autres dyskinésies scapulaires et pathologies d’épaule (lésion musculaire, neuropathie ou discopathie cervicale, atteinte du paquet jugulo- carotidien).

Dans la grande majorité des cas, les lésions du nerf spinal accessoire récupèrent complètement en 6 à 12 mois avec le traitement médical. Celui-ci associe un traitement antalgique à une rééducation fonctionnelle orientée sur le renforcement doux et progressif des muscles stabilisateurs de la scapula ainsi qu’un travail de proprioception et de recentrage actif de la tête humérale [7]. Ce n’est qu’en cas d’échec, après plusieurs mois d’un traitement médical bien conduit, qu’un traitement chirurgical pourra être proposé (neurolyse, réparation chirurgicale par greffe ou suture du nerf spinal ou, en dernier recours, reconstruction chirurgicale par transfert dynamique des muscles angulaires de l’omoplate et rhomboïdes) [8, 9].

Bibliographie

  1. Wang F. Nerf spinal accessoire. La Lettre du Neurologue 2013 ; 17 : 16-20.
  2. Friedenberg S, Zimprich T, Harper CM. The natural history of long thoracic and spinal accessory neuropathies. Muscle Nerve 2002 ; 25 : 535‑9.
  3. Camp SJ, Birch R. Injuries to the spinal accessory nerve: a lesson to surgeons. J Bone Joint Surg Br 2011 ; 93 : 62-7.
  4. Nguyen C, Guérini H, Roren A et al. Scapula alata dynamique d’origine neuromusculaire : diagnostic clinique, électromyographique et à l’imagerie par résonance magnétique. Presse Médicale 2015 ; 44 : 1256‑65.
  5. Chan PK, Hems TE. Clinical signs of accessory nerve palsy. J Trauma 2006 ; 60 : 1142‑4.
  6. Seror P. Injury of the external branch of the accessory nerve. Rev Neurol (Paris) 2002 ; 158 : 759‑62.
  7. Fayad F, Lefèvre-Colau MM, Hajjioui A et al. Scapula alata par atteinte du nerf accessoire : à propos de 3 cas. Analyse clinique et cinématique tridimensionnelle. La Lettre du Rhumatologue 2009 ; 356 : 38‑41.
  8. Durandeau A. Notre experience des lésions nerveuses iatrogènes des nerfs périphériques. e-mémoires de l’Académie Nationale de Chirurgie 2012 ; 11 : 020‑024.
  9. Teboul F, Bizot P, Kakkar R, Sedel L. Surgical management of trapezius palsy. J Bone Joint Surg 2004 ; 86 : 1884‑90.

Revues

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